Victor Tissot (Source: Gallica) |
En 1876, Victor Tissot publiait Les Prussiens en Allemagne (chez E. Dentu, à Paris), un ouvrage qui faisait suite à son Voyage au pays des milliards. Il y consacre plusieurs pages au roi Louis II de Bavière. Dans ce deuxième extrait, Victor Tissot décrit les particularités et le caractère du souverain bavarois: "Louis II est de la famille des violettes...".
"Le roi de Bavière et le roi de Wurtemberg. — Louis II est inconstant comme une femme et variable comme un baromètre. — Son rôle pendant la guerre de 1866. [...]
Le roi de Bavière et le roi de Wurtemberg se partagent la souveraineté de l'Allemagne du Sud. Bien que ces deux princes soient voisins, ils ne se ressemblent pas. L'un a perdu à peu près le respect de son peuple; l'autre le conserve, malgré ses excentricités. A Stuttgard, on dit tout haut : "Charles a acheté une paire de bretelles. " A Munich, on dit encore : " Notre roi a acheté un piano ". Il n'y a que les Prussiens qui se permettent avec la couronne de Bavière d'impertinentes familiarités.
Charles de Wurtemberg ne compte plus que trois sujets fidèles dans son royaume : son tailleur, son bottier et son barbier.
Louis II, s'il n'a pas d'admirateurs, a des partisans. Le peuple des campagnes lui est dévoué.
A deux heures précises, chaque jour, Charles sort de son palais, à pied, avec un parapluie sous le bras, son petit chien derrière lui, et un de ses ministres à ses côtés. Il faut qu'il se montre. Il a besoin de coups de chapeau comme on a besoin de pain pour vivre. On ne lui en donne pas toujours. Souvent, pour attirer l'attention des passants, il reste plusieurs heures à sa fenêtre à tambouriner aux vitres. Il raisonne : « Je tambourine, donc je suis. »
C'est ainsi qu'il affirme et prouve que le Wurtemberg possède encore un roi. Il est comme les tournesols qui sont toujours à la recherche du soleil.
Louis II, au contraire, est de la famille des violettes. Il se cache aux regards; il redoute l'éclat du jour. Il ne sort jamais que la nuit, au grand galop de ses chevaux. Un piqueur précède la voiture à vingt pas, tenant un falot au poing. Les roues du véhicule royal sont garnies de caoutchouc; et quand il passe, léger et rapide, on dirait un équipage fantastique.
Ce n'est pas un roi ordinaire que ce bon petit roi. Il est arrivé trop tôt ou trop tard. Dans notre Europe toute hérissée de baïonnettes, il ressemble à un oiseau du paradis transporté au milieu de la Forêt-Noire. On ne se le figure que dans un décor étoilé, avec musique de Wagner et donjon gothique, cas- cade au fond, cerfs familiers et blanches statues qui sourient sous des draperies de feuillages à demi soulevées.
On dirait que la Bavière l'a emprunté à un conte de fées. Il est né en 1845, à Nymphenburg, c'est-à-dire au Castel des Nymphes.
Nymphenburg, à une lieue de Munich, est un château splendide, entouré d'un parc plus splendide encore. C'était le séjour de prédilection du père du roi Maximilien II, qui prit en 1848 les rênes du pouvoir , par suite de l'abdication de Louis Ier , « protecteur » de Lola. Maximilien n'était point un méchant homme : son règne fut pavé de bonnes intentions. Mais il eut le tort de ne jamais savoir ce qu'il voulait. Tantôt il faisait des risettes au libéralisme, tantôt il lui montrait les dents, tantôt il boudait la Prusse, tantôt il lui donnait des rendez- vous. C'était la versatilité incarnée. Il appelait cela tenir l'équilibre et faire de la politique de juste milieu.
Louis II a hérité de son père ce caractère flottant, indécis, plein de soubresauts et de boutades. Il a l'inconstance de la femme et la variabilité d'un baromètre. Il passe sa vie à monter et à descendre. A peine a-t-il mis sa main dans celle de la Prusse qu'il la retire et s'enfuit comme s'il s'était brûlé. Quand il croit avoir démérité des catholiques, il répare bien vite ses incartades en envoyant des tableaux ou des chandeliers aux églises. Il est ombrageux comme un cheval sauvage. Il n'a jamais voulu avoir d'entrevue avec l'empereur Guillaume, de crainte qu'à Berlin on ne célébrât trop pompeusement sa vassalité : voilà quatre ans qu'il joue à cache-cache avec le descendant de Barberousse. Que de fois la grave Gazette générale de l'Allemagne du Nord a annoncé que le khédive de Munich s'apprêtait à rendre hommage au sultan de Berlin ! L'année dernière, la gazette officieuse avait même déjà publié un compte rendu anticipé de l'entrevue. Trois jours après, elle dut tout démentir, Louis II avait quitté clandestinement sa capitale et s'était sauvé dans les montagnes.
Il aime ces fuites intempestives, qui ressemblent aux disparitions de théâtre. Ses ministres sont quelquefois quinze jours sans savoir où il est. En 1873, ils durent se mettre à sa poursuite pour une affaire très-importante. Il était parti pour l'Italie, à cheval, à travers le Tyrol. Les ministres harassés galopèrent deux jours et deux nuits avant de le pouvoir rattraper.
Au mois d'août 1874, il y eut grand émoi à Munich. Le roi avait disparu. Personne à la cour ni à la ville ne savait ce qu'il était devenu. Les vieilles femmes disaient déjà que M. de Bismarck l'avait fait coudre dans un sac et jeter dans la Sprée. Deux ou trois jours se passèrent et l'inquiétude allait grandissant, quand on apprit par les journaux de Paris qu'un certain comte de Berg était descendu à l'hôtel de l'ambassade allemande. On fut rassuré; le roi Louis seul pouvait se cacher sous ce pseudonyme, qui est le nom d'un de ses châteaux.
Enfin, l'année dernière, nouvelle disparition subite. Où était-il? A Reims; il avait voulu visiter la cathédrale le jour de la Saint-Louis.
Les lauriers de Miltiade n'ont jamais troublé son sommeil. Il a toujours eu la prudence de n'accompagner ses soldats que sur son piano. En 1866, pendant que le sang des Bavarois coulait à Kissingen, et que sur le champ de bataille de Sadowa se jouaient les destinées de l'Allemagne du Sud, il respirait l'air balsamique des forêts, au bord du lac de Starenberg. Le tonnerre des canons ne venait pas troubler sa solitude. La nuit, il se promenait en barque, et le jour il errait poétiquement dans les bois. Lorsque le ministre von der Pfordten arriva au château pour annoncer que la bataille était perdue, que Nuremberg était pris, et que les Prussiens marchaient sur Munich, il trouva le roi costumé en Tristan. Louis II se lamenta bien un peu à la triste nouvelle, puis il courut à son piano jouer une romance de Schubert.
Tout le monde eut sa part dans cette guerre : le soldat la tragédie, la bourgeoisie le drame, le roi l'idylle. La politique l'ennuie. [...] "
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