dimanche 16 septembre 2018

Hombres. Quand Verlaine évoquait en la nommant l'homosexualité du roi de Bavière.

Louis de Bavière, 
Le roi vierge au grand cœur pour l’homme seul battant.


Toutes les études consacrées au roi Louis II de Bavière citent le poème thuriféraire A Louis II de Bavière, un poème que composa Verlaine en 1886, dès l'annonce de la mort du monarque, à la louange du défunt souverain (voir notre post). Mais ces mêmes études ignorent généralement que l'avant-dernier quatrain du premier poème de Hombres (1), le dernier recueil composé par le grand poète, évoque clairement l'homosexualité du Roi Vierge.

Hombres est le titre du vingt-deuxième et dernier recueil poétique en vers de Paul Verlaine, publié à titre posthume et  clandestinement en 1903 ou en 1904 par Albert Messein.  Il s'agit du dernier des trois recueils érotiques de l'auteur, après Les Amies (1867) et Femmes (1891), qui traitent respectivement de l'homosexualité féminine et de l'hétérosexualité. Il fut écrit à l'hôpital en 1891 et traite quant à lui de l'homosexualité masculine. 

Verlaine s'est à plusieurs reprises servi d'un pseudonyme, dont le plus célèbre est celui du pauvre Lélian. Pour ses poèmes érotiques, il signa d'un pseudonyme espagnol: le licencié Pablo de Herlagnez (avec différentes graphies: Herlañes, Herlagnez, Herlagnèz, Herlanes). Pablo est la traduction espagnole de Paul, et Herlagnez n'est autre que son nom de famille hispanisé, les lettres e,r,l,a,n,e étant communes aux deux patronymes. (2)

Avertissement: il s'agit d'un recueil de poésies érotiques, si on fait le choix de le lire, on se verra confronté à un langage extrêmement direct et cru. Le lecteur que ce type de langage indispose sera bien avisé de ne pas continuer la lecture de ce post. 

HOMBRES

I

Ô ne blasphème pas, poète, et souviens-toi.
Certes la femme est bien, elle vaut qu’on la baise,
Son cul lui fait honneur, encor qu’un brin obèse
Et je l’ai savouré maintes fois, quant à moi.

Ce cul (et les tétons) quel nid à nos caresses !
Je l’embrasse à genoux et lèche son pertuis
Tandis que mes doigts vont fouillant dans l’autre puits
Et les beaux seins, combien cochonnes leurs paresses !

Et puis, il sert, ce cul, encor, surtout au lit
Comme adjuvant aux fins de coussins, de sous-ventre,
De ressort à boudin du vrai ventre pour qu’entre
Plus avant l’homme dans la femme qu’il élit,

J’y délasse mes mains, mes bras aussi, mes jambes,
Mes pieds. Tant de fraîcheur, d’élastique rondeur
M’en font un reposoir désirable où, rôdeur,
Par instant le désir sautille en vœux ingambes.

Mais comparer le cul de l’homme à ce bon cu
À ce gros cul moins voluptueux que pratique
Le cul de l’homme fleur de joie et d’esthétique
Surtout l’en proclamer le serf et le vaincu,

« C’est mal, » a dit l’amour. Et la voix de l’Histoire.
Cul de l’homme, honneur pur de l’Hellade et décor
Divin de Rome vraie et plus divin encor,
De Sodome morte, martyre pour sa gloire.

Shakspeare, abandonnant du coup Ophélia,
Cordélia, Desdémona, tout son beau sexe
Chantait en vers magnificents qu’un sot s’en vexe
La forme masculine et son alleluia.

Les Valois étaient fous du mâle et dans notre ère
L’Europe embourgeoisée et féminine tant
Néanmoins admira ce Louis de Bavière,
Le roi vierge au grand cœur pour l’homme seul battant.

La Chair, même, la chair de la femme proclame
Le cul, le vit, le torse et l’œil du fier Puceau,
Et c’est pourquoi d’après le conseil à Rousseau,
Il faut parfois, poète, un peu « quitter la dame ».

1891.

(1) Le recueil peut aisément se lire en ligne, par exemple sur wikisource. On en trouve de nombreuses éditions, dont certaines proposent des illustrations érotiques, comme celle d'Elysium Press ou une édition bilingue anglaise avec les illustrations de Michael Ayrton.
(2) Olivier Bivort a publié une étude très complète sur l'utilisation de ce pseudonyme par Paul Verlaine:  Don Pablo Maria de Herlañes ou la ferveur espagnole de Verlaine. Le pdf de cette étude se trouve actuellement accessible en ligne.

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