Vera Ivanovna Kryzhanovskaia, la psychographe qui signait J.W. Rochester |
Voilà une des thèses parmi les plus incongrues qui courut à la fin du 19e siècle dans les milieux spirites français. Cette thèse fut énoncée au détour d'un roman, La Reine Hatasou, dont l'auteure est Vera Ivanovna Kryzhanovskaia, une psychographe d'origine russe qui aurait écrit des romans en transe médiumnique dont l'auteur véritable n'était autre que l'esprit du Comte John Wilmot Rochester. Ce roman, que l'on trouvait à la vente à la fin du 19e siècle, semble avoir malheureusement disparu à l'exception d'un exemplaire conservé par la Bibliothèque générale de France, mais on en trouve encore des commentaires dans les revues spirites et des mentions dans les journaux de la même époque. A notre connaissance, les plus importantes des recensions de Reine Hatasou figurent dans le numéro du 1er mai 1892 de la Revue spirite et dans le numéro du 1er août 1900 de la revue bimensuelle L'Echo du merveilleux.
Après une brève présentation de la dite revue, nous retranscrivons la recension de Reine Hatasou que publia George Malet dans l'Echo du merveilleux pour nous intéresser ensuite à la biographie de la psychographe Vera Ivanovna Kryzhanovskaia, qui prétendait écrire en transe sous la dictée de Lord Rochester. On trouvera encore en annexe une transcritpion de l'article de la Revue spirite.L'Echo du merveilleux
La revue bimensuelle L'Écho du merveilleux parut entre 1897 et 1914 sous la direction de Gaston Méry, un essayiste, pamphlétaire et journaliste français d'extrême droite. Disciple d'Édouard Drumont, il fut le rédacteur en chef du journal antisémite La Libre Parole. Il est l'inventeur du terme 'racisme' , qui apparaît pour la première fois dans son roman Jean Révolte. Sa revue l'Echo du Merveilleux consacra plusieurs numéros à authentifier les apparitions mariales de Marie Martel à Tilly-sur-Seulles.
La revue entendait donner le change à ce qu’elle nommait non sans mépris la 'science officielle', en poussant la contestation des avancées scientifiques tout en légitimant les caractéristiques étranges de certains phénomènes : médiumisme, extra lucidité, fakirisme (Papus), composition spontanée, voyance, spiritisme et occultisme, distinguant entre le prodigieux véritable et l’affabulation.
La recension de George Malet
La recension de George Malet
Dans les Reportages dans un fauteuil du numéro du 1er août 1900, George Malet résume un épisode du roman La Reine Hatasou, un roman publié en 1891 qui narre entre autres l'histoire du prince égyptien Horensab. En lisant l'article de Malet, on pourra s'appliquer à déceler les parallélismes entre la vie du prince et celle du roi de Bavière, qui ne serait autre qu'une de ses réincarnations lointaines.
REPORTAGES DANS UN FAUTEUIL
Le Charmeur de Memphis et la Secret du Roi de Bavière.
" Je croyais les fantastiques romans d'outre-tombe de lord Rochester un peu oubliés chez les spirites. Mais il n'en est rien. A la suite de mon dernier reportage, j'ai reçu plusieurs lettres m'avertissant que Le Pharaon Mernephta n'est pas le seul récit dicté par l'ombre du spirituel courtisan de Charles II au médium slave Mme W. K. Tant s'en faut: il y a encore Herculanum, les Episodes de la vie de Tibère, l'Abbaye des Bénédictins, La vengeance du Juif, etc. Tous pleins d'intérêt, plusieurs même supérieurs à Mernephta, me disent mes correspondants. En quoi j'ai le regret de ne pas être de leur avis. La plupart de ces romans sont illisibles. Aucun n'a ce charme singulier, cette simplicité parfaite ut déconcertante dans l'inouïsme qui caractérise Mernephta. Pas même cet autre récit de l'antique Egypte, La Reine Hatasou, curieux pourtant, le seul qui mérite d'être lu. J'en analyserai quelques chapitres pour l'explication spécieuse qu'il donne d'un récent et tragique mystère historique [La mort du roi Louis II de Bavière NDLR].
La Reine Hatasou (vous ne l'ignorez pas sans doute?) fut un Pharaon de cette XVIII° dynastie dont les règnes représentent l'époque la plus glorieuse de l'histoire de la vieille Egypte. Elle était fille de Thoutmès Ier et sœur de Thoutmès III, dont M. Victor Loret a récemment retrouvé le tombeau ; et pendant la minorité de ce dernier, elle porta virilement la couronne de la Haute et de la Basse-Egypte. En ce temps, vivait près de Memphis un prince apparenté à la maison royale, du nom d'Horensab, très beau, très opulent, mais qui, pour on ne savait quelles causes, avait pris le monde en dégoût. Reclus dans son vaste palais où nul habitant de Memphis n'était admis, il sortait seulement la nuit sur le Nil, dans une barque décorée d'or et de pourpre que douze rameurs noirs et muets faisaient voler sur les eaux sacrées.
Tentées par la douceur des nuits, d'autres barques flottaient souvent sur le fleuve, pleines de bruits d'instruments, de jeunes voix, de frais éclats de rire, portant les beautés de Memphis et leurs courtisans. Au passage de la barque princière tout se taisait; les jeunes filles regardaient avec avidité ce prince jeune et beau et mystérieux, couché sur des coussins de soie. Quand l'une d'elles lui plaisait, le prince au passage lançait une rose dans sa barque. Et ces roses, -d'une beauté sans pareille, exhalaient un délicieux parfum. La jeune fille, flattée, la respirait en souriant et la mettait à sa ceinture. Et les jours d'après, on la voyait distraite et pâle, n'ayant plaisir qu'à respirer la rose dont l'éclat et le parfum ne diminuaient pas. L'image du beau prince l'obsédait. Elle s'échappait de sa maison pour aller rôder vers le palais du charmeur et ne revenait plus.
Plusieurs jeunes filles de Memphis disparurent ainsi sans que l'on soupçonnât le prince. Et cependant les bruits les plus étranges couraient sur net immense palais clos, dans les jardins duquel on entendait et voyait la nuit des chants et des lueurs de fêtes et où des centaines de jeunes esclaves, les plus beaux et les mieux faits, achetés par les intendants d'Horensab, s'engouffraient sans on ressortir. Mais un jour, le prince eut l'imprudence de s'attaquer à une jeune Egyptienne de haute race, Neith, protégée par la Reine, dont elle était la fille inavouée. Malgré le sang du Pharaon, Neith fut fascinée comme les autres par le mystérieux et enivrant arôme et la fière petite patricienne, la rose à la main, les yeux égarés, gravit furtivement l'escalier de marbre du palais du charmeur.
Cette belle conquête devait le perdre. Neith était aimée d'un officier aux gardes qui la chercha désespérément. Aidé par un prêtre de Phrà, auquel la jeune fille s'était adressée se croyant victime d'un maléfice, lorsque le sortilège de la Rose commençait d'opérer en elle, aidé encore par une femme jalouse et abandonnée, le soldat parvint à s'introduire dans le palais du prince Horensab. Et l'on découvrit des choses monstrueuses : orgies, cruautés, sacrilèges. Des centaines de femmes entouraient d'un culte idolâtrique le prince, impassible dilettante trop raffiné pour céder aux appétits de la chair ; toutes portaient au sein les roses enchantées dont le parfum magique emplissait le palais Ces roses étaient mouillées du suc d'une plante qu'il fallait arroser de sang humain. Et chaque jour une de ces malheureuses était sacrifiée pour la soif de la plante ; après quoi le prince faisait jeter le corps exsangue de la victime dans la gueule flamboyante d'une statue de Moloch. Un vieux mage Chitéen présidait à ces sacrifices. On coupait la langue à tous les esclaves pour que si l'un s'échappait il ne pût rien révéler.
L'officier et le prêtre, après avoir tout vu, purent s'échapper de cet antre et coururent dénoncer le Prince au Pharaon. Les crimes étaient trop grands pour que la qualité du coupable pût le sauver. Il fut condamné à être enterré vivant dans le temple d'Ammon. Le sorcier Chitéen s'était échappé. La jeune Neith, délivrée, restait encore sous le charme. Le parfum de la rose imprégnait encore son sein et l'image du criminel qu'exécrait toute l'Egypte remplissait son coeur. Un jour le mage parut devant elle : - Si tu aimes encore Horensab, lui dit-il, parviens jusqu'à lui ; remets-lui ce flacon, il sera sauvé.
Neith accepta le flacon et parvint jusqu'au prisonnier, dont elle baigna de larmes les mains enchaînées. Il eut, dans sa joie, un mouvement généreux. - Enfant, lui dit-il, ton amour seul m'est resté fidèle. Je vais te faire un sacrifice digne de ton dévouement, je vais renoncer à cet amour et t'en guérir. Mouille tes lèvres de cette liqueur; le charme sera délivré et tu ne me verras plus qu'avec aversion. Le reste du flacon suffira, pour me dérober aux rigueurs de mes juges.
Elle ne voulait pas être guérie de son amour ; mais, éperdue, inconsciente, elle obéit pourtant, et le prince acheva le flacon. Quand ils eurent bu, ils restèrent quelques instants à se regarder avec des expressions diverses : la surprise, la stupeur, le dégoût, une horreur tragique se peignaient sur les traits de la jeune fille; une torpeur glacée, une rigidité de mort s'emparaient du prince. Elle recula et s'enfuit en levant les bras au ciel. Il tomba lourdement sur le sol, comme un cadavre.
Quand les prêtres d'Ammon-Phrà se présentèrent, pour la cérémonie de l'emmurement, on trouva le prince étendu, rigide, glacé ; on le crut mort, mais il fut décide qu'il serait muré quand même dans l'enceinte d'une petite cour attenant au temple. Une haute et étroite cavité était déjà creusée dans la muraille ; le corps y fut posé debout ; les ouvriers se hâtèrent de replacer les pierres, et le visage redoutable du charmeur disparut à tous les yeux. Au moins, on le croyait...
Mais voyez ceci :
La nuit est magnifique. Au ciel d'un azur foncé, la lune resplendit, inondant de ses flots d'argent Memphis endormie. Dans les vastes bâtiments du temple d'Ammon, un profond silence règne, à peine troublé par le cri lointain des veilleurs. Dans une petite cour isolée, les rayons de la lune baignaient une muraille recrépie de frais. Sur cette surface blanche, une tache grise parut tout à coup se former : elle se fonça, devint rougeâtre, ondula comme une vapeur ; cette vapeur se fixa, et la forme très nette d'un homme de haute taille parut suinter du mur. Ses yeux grands ouverts étaient fixes et ternes, ses lèvres frémissantes, ses narines dilatées.
L'être mystérieux et terrible traversa la cour sans toucher le sol, et disparut dans l'intérieur du temple. Le fantôme flotta le long des corridors et pénétra dans la salle où dormaient prêtresses et chanteuses. Son oeil vitreux se fixa sur l'une d'elles, dont un rayon de lune éclairait le jeune visage : il se pencha sur la dormeuse. Celle-ci se débattit faiblement et s'éveilla. Elle allait crier, mais, fascinée par le regard terrible qui plongea dans le sien, elle retomba sans connaissance.
Un instant après, le fantôme se relevait et glissait hors de la salle, plus lentement, comme alourdi. Sa victime gisait, décolorée, une plaie rose à la gorge, pendant qu'il disparaissait à travers le mur d'où il avait surgi.
Le prince Horensab était devenu vampire ! Son flacon contenait un poison destiné à sauver les apparences de la mort. Il pouvait éviter ainsi l'exécution de la sentence et être sauvé par le mage Chitéen. Muré vivant quand même, le prince se trouva dans le cas de maint léthargique trop précipitamment enterré. De ceux-là, les trois quarts périssent; mais certains, parfois, dans des circonstances particulières, s'éveillent dans la tombe, à une sinistre activité. Les êtres qui ont gardé sourdement cet appétit cannibalesque, ancestral, qui se réveille, paraît-il, chez les vieux forçats, sont extrêmement impressionnés par l'influence lunaire (1). Elle transforme leur léthargie en une sorte de somnambulisme lucide, où leurs sens acquièrent une hyperacuité singulière; et comme le corps, puisqu'il vit toujours, a besoin de se nourrir, le somnambule du sépulcre, le Vampire se met en quête d'une victime dont le sang chaud satisfera son appétit à la vieille mode ancestrale.
La lune l'aide; elle absorbe la pesanteur de son corps; elle le dématérialise au point qu'il traverse le sol, voire même les murs, et se dirige avec une précision infaillible vers la victime que ses sens aiguisés ont choisie à distance, jeune, saine. Il s'abat sur elle, la fascinant du regard, la mord généralement au cou dont il ouvre l'artère et suce tout son sang, à moins qu'il n'en soit empêché. Car, s'il entend un bruit, un être vivant, il fuit, sachant bien que son action est criminelle; avec une vélocité extraordinaire, il regagne son tombeau, guidé par l'instinct qui ramène le somnambule à son lit. Alors, s'il est rassasié, il reprend son immobilité jusqu'à ce qu'une nouvelle nuit de pleine lune l'excite à recommencer sa chasse homicide. La mort de la jeune prêtresse excita grand émoi au temple. Mais. lorsque de nouvelles victimes furent frappées de la même manière dans plusieurs maisons de Memphis, une terreur sacrée régna sur la ville. Le suceur de sang restait introuvable. On s'avisa enfin que les vêtements des victimes étaient faiblement imprégnés de cet étrange parfum qu'exhalaient les roses du Charmeur. Quelques personnes crurent reconnaître le Prince, dans l'Ombre effrayante qui apparaissait silencieusement au bord des fenêtres éclairées par la lune; des mères, paralysées par la terreur, l'avaient vu glisser vers le berceau de leur enfant... Bref, on démura le corps d'Horensab, qui apparut avec l'apparence cadavérique, les yeux ouverts et vitreux. Mais nul signe de décomposition, ce qui parut suspect au grand prêtre. Saisissant le couteau des sacrifices, il le plongea dans la gorge du prétendu cadavre, dont les yeux vitreux s'animèrent soudain et se fixèrent sur ceux du prêtre avec une expression de douleur et de haine mortelle. Puis le regard terrible s'éteignit.
- Mais le secret du roi de Bavière?
Eh hien, après mainte incarnation, toujours poursuivi par les ombres irritées de ses victimes, le prince Horensab était devenu le roi Louis II de Bavière, et il semblait devoir, sous cette dernière forme, se racheter de ses vieux crimes en partie expiés, lorsque par malheur il rencontra le mage Chitéen en la personne de Richard Wagner. Le mage noir reconquit sa fatale influence sur son disciple. Par sa musique étrange et sauvage, il le ramena aux rêves stériles et malsains. La Roi eût pu se reprendre dans la solitude où il était renfermé comma fou, loin du dangereux Wagner. Mais dans le médecin qui le surveillait, il reconnut justement ce même grand prêtre qui lui avait mis le couteau dans la gorge, à Memphis : de la le désir de vengeance du Roi et cette lutte mystérieuse où tous deux périrent!
GEORGE MALET.
(1) Ai-je besoin de dire que cette théorie du vampirisme appartient à Mme W. K. ou à l'ombre de Rochester? "
*****
Ainsi, selon ce récit, le roi Louis II fut-il un prince sanguinaire puis un vampire dans des vies antérieures... On aura remarqué les points communs entre le roi et le prince:
- Ils sont tous deux de sang royal.
- Tous deux sont de grande beauté et opulents.
- Tous deux ont pris le monde en dégoût et vivent reclus dans de vastes palais.
- Ils ne sortent que la nuit, le prince dans une barque décorée d'or, le roi dans des carrosses ou des traîneaux décorés d'or.
- Ils aiment l'un et l'autre les roses.
- Ils disposent d'un nombreux personnel: les esclaves "les plus beaux et les mieux faits" du prince, les serviteurs recrutés parmi les chevau-légers ou par l'intendant Hesselschwerdt du roi.
- Tous deux sont amants de la lune. (Louis II, le Roi Lune d'Apollinaire).
- Ils ne ne succombent ni l'un ni l'autre aux charmes des femmes, tout en jouissant d'un énorme succès auprès de la gent féminine. (Louis II, le Roi Vierge de Catulle Mendès).
- Tous deux sont des dilettantes raffinés.
- Tous deux sont jugés, enfermés dans leurs palais et vont y trouver la mort.
La réaction du Progrès spirite aux propos du comte Rochester
Nous avions déjà évoqué l'an dernier, dans un article précédent, la réaction du Progrès spirite, une revue concurrente de L'Echo du merveilleux, qui ne pouvait admettre que la mémoire du roi de Bavière soit ainsi souillée par la mauvaise langue de l'esprit Lord Rochester. (Pour lire notre article, cliquer sur le lien: Esprit, es-tu là? Louis II de Bavière au regard des médiums du Progrès spirite). Les esprits contactés par les médiums étaient volontiers malveillants, et Rochester était connu pour être une langue de vipère. Les esprits se combattaient parfois par médiums interposés. L'esprit de Louis II avait tenu à ce que sa mémoire soit lavée de toute tache et l'esprit de Rochester s'était amendé.
Vera Ivanovna Kryjanovskaïa, alias J.W. Rochester, alias Mme de Semenoff (1857-1924)
La Bibliothèque nationale de France (BnF) recense cette auteure psychographe sous plusieurs appellations dont l'énoncé pourra être utile au chercheur ou au bibliophile en recherche de l'un de ses romans (en français, on trouve ne trouve que trois romans réédités): Вера Ивановна Крыжановская, Vera Ivanovna Kryjanovskaïa, Wera Krijanowsky, Vera J. Kryjanovskaï, Ročester, J. W. Rochester, Y. W. Rochester, Mme de Semenoff, W. K.
Vera Ivanovna Kryzhanovskaia, connue également sous son nom de femme mariée Vera Ivanovna Semenova (Varsovie 14 Juillet, 1861 - Tallinn, 29 Décembre 1924) fut une médium psychographe russe. Entre 1885 et 1917 elle écrivit une septantaine de romans et de nouvelles dont beaucoup sont signés sous le nom de Rochester, du nom de l'esprit qui la possédait.
Issue d'une vieille famille noble de la province de Tambov, elle nacquit à Varsovie, en Pologne, où son père. le major général Ivan Antonovich Kryzhanovsky, commandait une brigade d'artillerie. Sa mère venait d'une famille de pharmaciens.
Dès son plus jeune âge, la jeune femme, qui reçut une excellente éducation, s'intéressa à l'histoire de l'Antiquité et à l'occultisme.
Son père décéda alors que Vera n'avait que dix ans, et cette mort laissa sa famille dans une situation difficile. En 1872, Vera reçut le soutien d' une association de bienfaisance pour l'éducation des filles nobles de Saint-Pétersbourg, où elle put fréquenter en tant que boursière l'Institut Catherine la Grande. Mais la santé fragile et les difficultés financières de la jeune fille l'empêchèrent d'y terminer ses études, qu'elle interrompit en 1877. Elle poursuivit ses études à la maison.
C'est à cette époque que l'esprit du poète anglais J. W. Rochester (1647-1680), en profitant des dons psychiques de la jeune fille , se matérialisa et lui proposa de se dévouer corps et âme au service du Bien en écrivant sous sa dictée. Après ce contact avec celui qui allait devenir son guide spirituel, Vera , atteinte de tuberculose chronique, aurait été guérie de cette maladie alors extrêmement grave et souvent mortelle.
Publicité pour les oeuvres de l'esprit de Lord Rochester dans un journal spirite |
Elle commença son travail d'écriture automatique psychographique dans sa dix-huitième année. En 1880, lors d'un voyage en France, elle participa avec succès à une session de médiumnité. À l'époque, ses contemporains furent stupéfaits de son abondante productivité, malgré sa santé fragile. C'est à Paris qu'elle publia en 1886 sa première œuvre psychographique, un roman historique intitulé Episode de la vie de Tibère, oeuvre médianimique dictée par l'esprit de J.W. Rochester. On pense que la médium fut influencée par la doctrine spirite d'Allan Kardec, la théosophie d'Helena Blavatsky et l'occultisme de Papus. C'est encore à Paris que Vera produisit une série de romans historiques psychographes tels que Le Pharaon Mernephtah, L'Abbaye des Bénédictins, La Romance d'une reine, Le Chancelier de fer de l'ancienne Egypte, Herculanum, Le signe de la victoire ou La nuit de Saint-Barthélemy, qui attirèrent l'attention du public tant par leurs sujets captivants que par leurs intrigues passionnantes. Son roman Le Chancelier de fer fut primé par l'Académie des sciences de France. En 1907, l'Académie des sciences de Russie lui décerna une mention d'honneur pour son roman Les luminaires tchèques.
Son mari, S. V. Semenov, occupa un poste à la chancellerie de Sa Majesté et, en 1904, fut nommé camérier du tsar Nicolas II de Russie. Semenov était par ailleurs un spirite célèbre, il présidait le Cercle de recherches psychique de Saint-Pétersbourg.
Dès son retour à Saint-Pétersbourg en 1890, Vera commeça à traduire son oeuvre française en russe, tout en continuant d'écrire de nouvelles œuvres, dont des romans psychographiés. Un critique russe la qualifia de première dame de la science-fiction russe.
Avec le déclenchement de la révolution russe, Semenov fut arrêté et exécuté dans la prison Kresty. Vera s'exila en Estonie avec sa fille Tamara, où elle connut les affres de la privation. Pendant plus de deux ans, elle fut contrainte de travailler dans une exploitation forestière, un travail bien au-dessus de ses forces qui affecta sa santé. Elle mourut de tuberculose en 1924, dans la misère.
L'oeuvre
Avec ses romans historiques psychographes, elle devint la première représentante du roman ésotérique occulte en Russie, où divers journaux publièrent ses oeuvres ( Svet, Mosk. Ved., Novoe Vremia, Rus. Vest., Rodina et Pamsky Mir). Le thème principal de cette production est la lutte universelle entre les forces du bien et du mal et l'interdépendance des forces cachées dans l'être humain avec le cosmos. Dans les ouvrages qu'elle écrivit en écriture automatique, l'esprit de Rochester fait du spiritisme en action. Sous la forme attrayante du roman, et à travers la pluralité des existences, il applique la doctrine spirite à toutes les conditions de la vie de ses héros et héroïnes.
Après la révolution russe, elle fut considérée comme une représentante des courants bourgeoises œuvres, incompatibles avec l'idéal soviétique, furent bannies et détruites. À sa mort, elles furent rééditées en russe en Lettonie et en Allemagne.
L'article d'Adolphe Laurent de Faget dans La Revue spirite du 1er mai 1892
L'article d'Adolphe Laurent de Faget dans La Revue spirite du 1er mai 1892
"LA REINE HATASOU
Roman de l'ancienne Egypte, par J.-W. ROCHESTER (W.-K.). 2 volumes in-18 de plus de 800 pages, avec portrait de l'auteur: 7 francs.
Nous sommes heureux d'annoncer la publication d'un nouveau roman philosophique et historique de J.-W. Rochester, l'esprit désincarné auquel nous devons cette série attachante et instructive qui commence à Episode de la vie de Tibère, passe par l'Abbaye des Bénédictins, le Pharaon Mernephtah, Herculanum, et ne s'est point arrêtée à la Vengeance du Juif, dernier ouvrage paru que nous avons étudié ici-même.
La mine est féconde et l'esprit de Rochester a pris à tâche de l'exploiter patiemment, courageusement. II continue sa route vers le progrès, vers la justice et vers l'amour, sans se laisser entraver par les ronces qui barrent le chemin. Si son coeur est blessé par l'indifférence ou le scepticisme d'un grand nombre de lecteurs qui demandent à la littérature moderne de ne refléter que les joies brutales de la matière, que les applaudissements de ceux qui aiment l'idéal lui soient un encouragement suffisant pour qu'il puisse achever son oeuvre avec la certitude d'avoir été compris.
La Reine Hatasou est puissamment écrite. Cet ouvrage met en relief les époques lointaines où le pouvoir des prêtres rivalisait déjà avec celui des monarques, où le fanatisme et la superstition s'alliaient aux premières lueurs de la vraie foi. Que de héros terribles ou gracieux viennent donner à cette oeuvre le reflet charmant ou sinistre de leur personnalité ! C'est d'abord, après le Pharaon lui-même, Neith, la noble fille d'Halasou, dont l'origine a été tenue secrète, ce qui ajoute au roman une délicieuse nuance de mystère; c'est Keniamoun, le brillant officier des gardes, qui aime Neith et sacrifiera son amour au bonheur de la femme aimée ; c'est encore Sargon, le prince chitéen, qui, devenu l'époux de la fille du Pharaon, la poignardera, le soir même de ses noces. Comment oublier Roma, le généreux, l'esprit éclairé, qui, bien que prêtre du temple d'Hator et marié, aimera Neith et sera aimé d'elle, sans franchir la barrière que le devoir élève devant son amour! Une foule d'autres personnages, tous bien saillants, bien en pied, dont le caractère ne se dément pas un seul instant, donnent au roman - par le choc de leurs passions, de leurs haines, de leurs sentiments vils, frivoles ou élevés, une expression originale, puissante et tout le charme d'une étude vécue.
Dans la deuxième partie de cet ouvrage entre en scène le prince Horemseb, parent éloigné d'Hatasou, qui vit - retiré en apparence - dans son palais de Memphis, entouré d'un luxe royal. C'est un charmeur irrésistible qui, par sa beauté, sa distinction naturelle, et surtout par les arômes funestes qu'il répand sur des fleurs qu'il fait respirer à ses victimes, range sous sa loi presque tous les coeurs féminins. Mais ce n'est pas l'amour que rêve le prince : c'est l'éternelle vie. Pour l'obtenir, et sous l'influence de Thaadar, prêtre très versé dans les sciences occultes, il sacrifiera de belles et pures jeunes filles à l'infâme vérité qu'ils adorent, à ce Moloch dont les entrailles embrasées dévoreront tant de précieuses existences ! Enfin, trahi par une femme miraculeusement échappée à l'affreux sort qu'il lui réservait, le prince Horemseb, - dont le pouvoir magique s'est étendu jusque sur la fière Neith, - est arrêté, emprisonné et jugé par les prêtres.
Neith cherche à le protéger de la mort ignominieuse qui l'attend. Elle va le visiter dans son cachot et lui faire boire une liqueur préparée par Thaadar et qui endort le prince. Condamné a être muré vivant, et bien qu'il ne soit plus qu'un cadavre aux yeux abusés des médecins, Horemseb est renfermé dans cette étroite cavité qui doit être en même temps sa prison et sa tombe. Mais la vertu de la liqueur lui rend possible une existence particulière faite de léthargie et de vampirisme, et Horemseb, quoique muré par les prêtres, sort, fantôme odieux, du sépulcre qu'on lui a bâti, pour continuer la série épouvantable de ses crimes. Il devient suceur de sang!
Les spirites en particulier liront avec le plus vif intérêt tout ce qui se rattache à cette redoutable et bizarre existence du vampire, de même que les évocations spirites faites dans les temples et les autres scènes de spiritisme ou de magie que retrace Rochester.
Nos félicitations fraternelles à l'esprit ami qui répand la lumière de nos doctrines en des pages toujours pleines de de logique et de force, qu'il sait encadrer dans les péripéties émouvantes d'un roman à sensation. Remercions-le de travailler avec tant de dévouement et de zèle au bonheur de ses frères en humanité, en éclairant leurs convictions et en élevant leur esprit, tout en charmant leur imagination par des récits charmants et variés. A. Laurent de Faget."
Note
Les lecteurs qui savent le russe ou le portugais sont avantagés car on trouve des traductions de ce roman dans ces deux langues dans des éditions récentes: ЦАРИЦА ХАТАСУ (aussi en e-book) / Hatasu – a rainha do Egito.
La Bibliothèque nationale de France ne semble disposer que d'un seul exemplaire. On peut tenter sa chance chez les bouquinistes, mais rien ne semble disponible en ligne pour le moment. En français, l'édition de 1891 comporte deux volumes.
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