Sieglinde (Anja Kampe). Les photos sont d'Enrico Nawrath © Bayreuther Festspiele |
Placido Domingo a chanté Parsifal à Bayreuth en 1992, 1993 et 1995, puis Siegmund en l'an 2000, à l'époque où Wolfgang Wagner dirigeait le Festival. Il fait cette année ses débuts bayreuthois en tant que chef d'orchestre pour Die Walküre, précisément le dernier opéra dans lequel il a lui-même joué il y a 18 années de cela, et qu'il a déjà dirigé au Marriinsky de Saint-Pétersbourg. Les années ont passé, la voix de Placido Domingo a changé, il chante aujourd'hui des parties pour baryton et parallèlement à sa carrière de chanteur mène depuis les années 80 une carrière de chef d'orchestre au cours de laquelle il a déjà dirigé plus de 600 soirées d'opéras ou de concerts, un chiffre qui reste néanmoins modeste si on le compare avec ses prestations de chanteur: Placido Domingo avoue plus de 4200 soirées en tant que chanteur.
Le retour de Placido Domingo sur la colline verte était attendu d'autant que c'est la première fois qu'un chef espagnol dirige à Bayreuth. C'est, avec le retour de Waltraut Meier en Ortrud, l'une des grandes sensations de la saison bayreuthoise avec celle de la création des décors du nouveau Lohengrin par un artiste aussi célèbre que le peintre lipsiote Neo Rauch.
Mais en ce qui concerne le grand chanteur espagnol, les fruits n'ont pas passé la promesse des fleurs, aussi poétique que soit notre imagination, aussi ému que soit notre coeur face à la carrière d'un de plus grands ténors que la terre ait porté à ce jour. Le public ne lui a pas ménagé ses huées au moment des applaudissements qui se sont vues couverts par l'expression d'un mécontentement sans doute justifié, mais qui manquait d'élégance. Placido Domingo en semblait pour le moins étonné, et ne s'est plus présenté ensuite en solitaire face au public, on ne le revit qu'une fois dans la chaîne des chanteurs tous très applaudis quant à eux.
C'est que la musique de la Walkyrie a paru bien inconsistante sous la direction du chef madrilène, qui, dans des interviews parues dans la presse allemande, avouait pourtant y avoir longuement travaillé et s'être fait conseiller par Daniel Barenboim ou par Christian Thielemann, notamment quant à l'acoustique particulière du Festspielhaus. La direction de Placido Domingo de cette Walkyrie dans la mise en scène de Castorf a aussi souffert de la comparaison avec le fabuleux travail précis, rigoureux, millimétré de Kirill Petrenko qui avait dirigé le Ring de Castorf avec son extraordinaire talent, porté par une visioon et une fureur sacrées. La tension dramatique était la grande absente de la soirée, et ce dès l'ouverture qui manquait singulièrement de relief, des passages entier de la partition furent tirés en longueur avec des tempi étonnamment lents qui ont dû déconcerter plus d'un chanteur. Et peut-être même la gentillesse légendaire de Domingo et son caractère avenant l'ont-ils desservis dans la direction de cette oeuvre qui n'est pas dénuée de bruit et de fureur.
Wotan (John Lundgren) |
Et c'est l'excellence de la distribution qui a sauvé la soirée, des chanteurs et des chanteuses tous exceptionnels auxquels le chef, tout à l'élément de son premier métier, a apporté un soutien inconditionnel. Le Siegmund de Stephen Gould et la Sieglinde d'Anja Kampe ont remporté une immense ovation. Anja Kampe, enfin à Bayreuth, exprime avec une conviction de plus en plus poignante tant les douleurs blafardes de la femme forcée au mariage, battue et violentée que la passion amoureuse grandissante ou, après la révélation de sa fécondation, la détermination de sauver l'enfant à naître. L'authenticité de son jeu de scène est saisissante, d'une beauté confondante. Anja Kampe a évolué dans ce rôle qui lui est devenu comme une seconde peau pour le porter à la perfection. Elle rend la myriade d'émotions émanant du destin tragique de la jeune femme avec un intelligence vocale remarquable. Stephen Gould semble se jouer avec souplesse des difficultés du rôle de Siegmund qu'il incarne de manière impressionnante, ses "Wälse! Wälse!" constituent un véritable morceau d'anthologie. On reste subjugué par le souffle et l'endurance de son Heldentenor et la force de conviction de son interprétation. John Lundgren chante le rôle de Wotan à Bayreuth en alternance avec Greer Grimsley, un grand chanteur américain avec qui il partage également le Hollandais volant. John Lundgren livre avec son Wotan un travail approfondi, et celui qui nécessite probablement le plus d'endurance et de constance dans la Walkyrie. Un chanteur au travail précis, pour lequel chaque syllabe compte, qui prononce parfaitement chaque consonne finale, avec le goût et le sens de la textualisation. Lundgren fait du monologue de la narration historique par Wotan de l'histoire de l'anneau un grand moment d'opéra. La voix a des profondeurs d'une beauté admirable tout autant que le jeu scénique, avec une maîtrise peu commune des mimiques du visage. Catherine Foster reprend pour la sixième année consécutive le rôle de Brünnehilde dans cette production, un rôle dans lequel la soprano britannique qui vit à Weimar a fait ses débuts bayreuthois en 2013 et qu'elle rend avec son soprano dramatique dont le volume, les hauteurs et l'impulsivité sauvage impressionnent. La basse allemande Tobias Kehrer fait une grande entrée réussie à Bayreuth dans trois parties, le veilleur de nuit des Meistersinger, Titurel dans Parsifal et surtout Hunding dans la Walkyrie. Enfin, last but not least, la mezzo-soprano russe Marina Prudenskaya chante à la fois la Walkyrie Schwertleite et une terrifiante Fricka, qui apparaît portée dans les bras d'un serf, le fouet à la main, domina intransigeante, impérieuse et cruelle dont le fouet s'abat sur tout ce qui est à sa portée. La beauté du timbre et la force d'expression de la mezzo péterbourgeoise subjuguent et en font une des plus vibrantes découvertes de la soirée.
La mise en scène de Frank Castorf qui, on le sait, a transporté le Ring aux pays de l'or noir, a ceci d'intéressant qu'elle fait souvent suivre les chanteurs par un cameraman qui capte des images aussitôt diffusées sur de grands écrans, ici de grands voiles blancs qui tombent ici et là de l'impressionnant décor. Les prises de vues souvent en gros plans donnent à voir les mimiques des chanteurs, ce qui permet d'approcher au plus près leur travail d'acteur, un plus pour la plupart des spectateurs qui sans cela ne pourraient apprécier la qualité des expressions sinon à l'aide de jumelles. L'attention du public, quelque peu frustré par la direction musicale, s'est naturellement concentrée sur le jeu des acteurs et l'incomparable qualité des chanteurs, tous très applaudis.
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