Photo du facebook du Richard Strauss Festival |
Le Festival Richard Strauss a donné hier soir son en 1er concert en plein air dans la grande cour de l'Abbaye d'Ettal. Au programme la Sinfonietta de Janáček et la Symphonie alpestre de Strauss. L'entreprise était un peu hasardeuse car elle dépendait du temps, mais les dieux de la montagne avaient voulu qu'elle fût couronnée de succès. Après tout, la symphonie de Strauss leur était dédiée, il fallait donc qu'ils lui soient favorables. Et sans doute les bons moines bénédictins qui ont ouvert toutes grandes les portes de l'abbaye pour accueillir le festival pour deux soirées avaient-ils eux aussi prié la Vierge miraculeuse et Saint Corbinien pour que le ciel reste clément.
Et quel bonheur! Il faut dire que le cadre baroque de la grande cour est de toute beauté et qu'Alexander Liebreich, le dynamique directeur du Festival, a particulièrement bien soigné son entreprise en confiant l'installation du podium couvert et de la sonorisation à des équipes professionnelles réputées pour leur qualité et surtout en invitant l'excellent Orchestre philarmonique de Brno ( - quel meilleur choix pour interpréter du Janáček, qui en son temps avait grandement contribué à créer l'orchestre? - ) et en en confiant la direction musicale à Antonello Manacorda, un chef dont la direction raffinée allie précision, sensibilité et sens de la définition des contours. Le public avait le choix entre des sièges traditionnels ou l'installation dans la zone pique-nique, pour laquelle la brasserie locale proposait d'appétissants paniers.
La Sinfonietta, aussi baptisée Sinfonietta militaire par le compositeur qui voulait ainsi rendre hommage à l'armée tchèque, est une œuvre pour orchestre en cinq mouvements de Leoš Janáček. Comme le titre l'annonce, le premier mouvement est d'allure martiale avec une monumentale fanfare dévolue aux cuivres où la percussion martèle les rythmes dans un concert de sonneries de plus en plus concentré. Il est suivi d'un andante très mélodique sur un rythme de danse villageoise avec les hautbois et les clarinettes. Le moderato est au départ d'atmosphère plus poétique dans le clair-obscur de son début qui peu à peu évolue vers une scène très animée et expressionniste de sonneries de chasse avant que tout ne retombe vers un climat de paix. L'allegretto nous entraîne dans une fête populaire un peu rustre sur un thème de trompette. L'allegro final commence par une présentation gracieuse et mélodique dans la rencontre des flûtes et des cordes pour s'accélérer ensuite dans une farandole générale et héroïque, et enfin reprise du thème générique en guise de coda. Une pièce au charme folklorique qui crée une atmosphère de fête foraine savoureuse, pour laquelle le compositeur s'inspire des danses entraînantes de son pays. L'écriture d'une extrême netteté exploite les ressources de la modernité avec une grande clarté d'instrumentation judicieuse et équilibrée. Toutes ces qualités et ces caractéristiques sont rendues avec une extrême précision par Antonello Manacorda et l'orchestre qui s'appliquent à souligner l'ingéniosité, la légèreté et plus souvent encore l'éclat des alliances sonores de cette petite symphonie qui marie si joliment les couleurs et compose si habilement les timbres. Pour beaucoup d'entre nous, cette Sinfonietta fut une joyeuse découverte!
Une charmante corniste de l'Orchestre philarmonique de Brno |
La Symphonie Alpestre (Eine Alpensymphonie) convient parfaitement au décor montagnard des Alpes de l'Ammergau au coeur desquelles se dresse fièrement le joyau architectural de l'Abbaye d'Ettal. La symphonie de Strauss nous invite à les parcourir musicalement puisque elle suit très précisément le parcours d'une journée de randonnée en montagne, de l'aube au crépuscule. On est entraînés dans une ascension sonore en 21 épisodes dans un cheminement descriptif naturaliste en fondu enchaîné (et qui ne suit donc pas les divisions classiques de la symphonie, on peut sans doute parler davantage d'un poème symphonique). Le langage musical straussien décrit successivement la splendeur du lever de soleil, une chute d'eau, une prairie émaillée de fleurs, l'errance parfois angoissée hors des sentiers battus, un glacier (c'était un temps ou ils existaient encore), l'arrivée au sommet et la contemplation sublime et calme du panthéon divin, et bientôt les nuages, l'orage et ses colères aussi grandioses que dangereuses, la redescente dramatique vers la plaine paisible et le repos de la nuit. Cette symphonie, le dernier poème symphonique de Strauss, témoigne du goût prononcé du compositeur munichois pour la montagne, qui avait fait de Partenkirchen et du pays de Werdenfels sa patrie d'élection. Ici encore, l'orchestre et son chef ont pleinement rendu la puissance et le coloris de la palette orchestrale et la virtuosité des timbres instrumentaux.
Toute la soirée fut accompagnée du vol enchanteur et du chant des hirondelles qui semblaient valser en l'air aux rythmes des danses villageoises de Janacek accompagner de leurs gazouillis les musiques panthéistes et cosmiques de Strauss, saluant aussi la réussite du pari d'Alexander Liebreich de renouveler le Festival en l'installant au coeur même de la nature. Et c'est un public aux anges qui a salué d'une ovation gigantesque cette heureuse soirée musicale dans les coulisses magnifiques des l'Abbaye d'Ettal.
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