Boris Prýgl (Der Diktator), Réka Kristóf (Charlotte), Paula Iancic (Maria), Galeano Salas (Der Offizier) |
L'Opéra Studio monte comme chaque année au Théâtre Cuvilliés une production visant à mettre en valeur les jeunes talents qui bénéficient du prestigieux programme de formation du Bayerische Staatsoper. Cette année, il présente deux courts opéras rarement représentés de la première moitié du 20e siècle: Le dictateur (Der Diktator) d'Ernst Křenek et La cruche brisée (Der zerbrochene Krug) de Viktor Ullmann, deux compositeurs d'origine juive dont les oeuvres furent classées comme "dégénérées" (entartete) par le régime nazi et dont le second connut l'effroyable destin d'être incarcéré au camp de Terezin (Theresienstatd) avant d'être gazé à Ausschwitz. Les deux oeuvres ont en commun la double thématique de l'abus du pouvoir.
Ernst Křenek, Der Diktator (Le Dictateur)
Le dictateur, opus 49 d'Ernst Křenek, est un opéra tragique en un acte sur un livret du compositeur. Il fut créé le 6 mai 1928 au Hessisches Staatstheater de Wiesbaden. Křenek , surtout connu pour son opéra-jazz Johnny mène la danse (Jonny spielt auf), était considéré par les nazis comme un "bolchevik culturel" et ses oeuvres passèrent à la trappe après leur arrivée au pouvoir en 1933. Křenek, converti au catholicisme après 1930, et qui éprouvait une sympathie critique pour le fascisme italien, n'échappa pas aux lois raciales du troisième Reich. Il émigra aux Etats-Unis en 1937, et ne revint jamais en Allemagne.
Synopsis
Le charisme d'un homme puissant mène deux femmes à la mort. Ernst Křenek raconte dans son court opéra ce qu'il appela lui-même « une histoire d'assassinat sanglante tirée de la vie privée d'un dictateur contemporain». Křenek composa cet opéra en août 1926, dans la foulée de Johnny mène la danse. Son modèle pour le dictateur est clairement Benito Mussolini, arrivé au pouvoir en Italie en 1922: "Par dictateur, je n'entends pas ici le modèle d'une certaine idéologie politique, mais un type d'homme dont les caractéristiques principales se manifestent par la dangereuse domination qu'il exerce sur son environnement, y compris sur le plan politique, qui ne m'intéresse pas dans le cas présent." L'action de l'opéra se déroule en Suisse, où un dictateur chef de guerre est en vacances avec sa femme Charlotte. Il convoite Maria, la jolie femme d'un officier aveuglé par une blessure de guerre. Maria décide de tuer le dictateur pour venger son mari blessé et le menace avec un revolver. Cependant, au moment crucial, elle succombe au charme séduisant du dictateur et laisse tomber le revolver. La femme du dictateur est secrètement témoin de la scène et, jalouse, menace son mari avec l'arme dont elle s'est emparée. Au moment où le coup part, la femme de l'officier se jette en avant pour faire écran et meurt à la place du dictateur. L'officier aveugle et sans méfiance reste seul en scène et cherche sa femme en criant.
Le dictateur déroute le public par son action impérieuse et sans merci, exprimée par une écriture musicale très émotive marquée par l'intensité de l'expression dramatique, dans laquelle l'influence vériste est très perceptible. Cette intensité est admirablement rendue par le Münchener Kammerorchester, placé sous la direction vibrante de Karsten Januschke. La mise en scène de Martha Teresa Münder et les décors de Marie Pons rappellent le Huis clos de Jean-Paul Sartre; ils réduisent encore la petite scène du Cuvilliés en enfermant les personnages dans un caisson ouvert en forme de parallélépipède irrégulier. Les protagonistes qui un moment ne participent pas directement à l'action se couvrent alors le visage d'un masque blanc dans un jeu d'absence-présence, tandis que l'action se voit compliquée par des projections de scènes tournées en noir et blanc et qui réfléchissent le jeu dramatique par un effet miroir. L'enfermement des personnages dans un espace réduit entraîne un accroissement de la tension dramatique de cet opéra qui n'en manque déjà pas. Boris Prýgl chante le rôle-titre, Paula Iancic interprète Maria,tandis que Réka Kristóf chante Charlotte en artiste invitée.
Viktor Ullmann: Der zerbrochene Krug (La cruche brisée)
Né en 1898 à Teschen, alors en Autriche-Hongrie, aujourd’hui Český Těšín en Tchéquie – mort gazé le 18 octobre 1944 à Auschwitz-Birkenau), le pianiste et compositeur autrichien était issu d'une famille juive convertie au catholicisme. Comme Ernst Křenek, ViktorUlmann connut la censure nazie s'appliquant aux œuvres musicales que le régime tenait pour "dégénérées". La Cruche brisée fut composée dans les années 1941-1942, juste avant sa déportation le 8 septembre 1942 à Theresienstadt (Terezin), qui servit de vitrine culturelle à l'horreur nazie. Son œuvre la plus connue est l’opéra Der Kaiser von Atlantis composé en 1944 dans le camp de concentration de Theresienstadt, et qui est devenu l’ouvrage symbole de la destruction de plusieurs générations d’artistes juifs.
Les photos sont de Wilfried Hösl |
La Cruche brisée, une adaptation musicale de la pièce d'Heinrich Kleist, comédie légère pleine d'humour d'une quarantaine de minutes, a pour cadre historique la Hollande du XVIIe siècle et narre la recherche d'un coupable ayant brisé un objet familial précieux lors d'une visite nocturne chez une demoiselle. L'action se déroule dans le tribunal de village en Hollande: le juge Adam doit statuer sur la plainte de dame Marthe qui se plaint du bris d'une cruche dans la chambre de sa fille Eve. Mais voila, le responsable n'est autre que le juge lui-même... Ullmann fait énoncer la moralité de la fable par ses personnages: nul ne peut être juge qui n'a la conscience complètement pure
L'oeuvre est précédée d'une ouverture orchestrale de 8 minutes, plutôt disproportionnée par rapport à l'acte chanté qui ne dure que 30 minutes. L'intérêt de cette courte pièce de musique est son importante distribution, qui permet de mettre les nombreux talents de l'Opera Studio munichois en valeur: Anna El-Khashem (Eve), Paula Iancic (première servante), Niamh O’Sullivan (Brigitte, seconde servante), Alyona Abramowa (Marthe), Galeano Salas (Ruprecht), Milan Siljanov (Adam), Long Long (Licht), Boris Prýgl (Veit), Oleg Davydov (Walter) und Alexander York (serviteur).
Andreas Weirich, qui travaille dans le secteur de la mise en scène au BSO depuis 2008, organise sa mise ne scène autour du thème de l'arbre et de la pomme. Les décors sont ici aussi de Marie Pons. L'arbre d'abord, un arbre mort au tronc noueux et torturé, déploie ses branches au travers de la scène et sert aussi de tribunal sur lequel le juge vient se jucher, rappelant la tradition des arbres de justice rendus notamment célèbres par Saint Louis, roi de France. La pomme que les protagonistes s'offrent ou se dérobent et croquent, la pomme est aussi le symbole bien connu de la séduction et du péché. et si le serpent n'est pas présent, c'est qu'il se love dans l'âme du juge, qui est à la fois juge et partie non avouée.
Les deux oeuvres permettent le chant en puissance, et le théâtre rococo de Munich avec son volume réduit y est propice. Et les jeunes chanteurs et chanteuses de l'Opéra studio utilisent avec brio cette possibilité et s'adonnent à corps joie au jeu théâtral. Le public, qui a l'occasion de découvrir ces oeuvres mineures et rarement jouées du répertoire, salue leur performance avec une satisfaction évidente et de longs applaudissements.
Prochaines représentations: les 27 et 29 avril. Places restantes.
Prochaines représentations: les 27 et 29 avril. Places restantes.
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