L'actrice Rosa Babette Herzfeld-Link, une des Pompadours de Louis II |
Le roi fait annuler La Pucelle d'Orléans
L'information nous arrive via la presse française, qui reproduit un article berlinois: le 30 avril 1879, le quotidien parisien Le Gaulois relayait un article d'un journal berlinois, le Berliner Boersen Courier, qui évoquait les représentations privées du roi Louis II de Bavière. Le 7 mai 1879, le Journal des débats politiques et littéraires, lui aussi édité à Paris, reprenait ce même article dans ses Nouvelles diverses (p.3).
"On sait, que le roi de Bavière a fait organiser un théâtre à son usage exclusivement personnel. Le Berliner Boersen Courier sur les représentations qui ont lieu dans ce théâtre les curieux détails suivants: « Au grand regret de S. M. on ne pourra pas faire figurer au répertoire de la série actuelle des représentations secrètes La Vierge d'Orléans (1); la cause en est que l'artiste chargée du rôle de l'héroïne, à Munich, Mme Herzfeld-Link (2), ne plaisait pas au monarque et a été licenciée de la troupe. Le roi regrette d'autant plus de ne pouvoir faire jouer La Vierge d'Orléans, qu'il préfère à tous les autres opéras, qu'il a fait peindre à grands frais des décors spéciaux pour les représentations particulières.
De même que pour toutes les autres oeuvres montées dans ces conditions, ces décors ne doivent servir à aucune des représentations publiques, même les plus brillantes. Celui de la cathédrale de Reims, que le roi a fait exécuter pour le tableau du couronnement, est un véritable chef-d'œuvre de peinture décorative et la scène du cortège du sacre, comme elle est mai organisée pour le roi, est d'une splendeur et d'une richesse qui défient la description. On sait qu'il y a quelques années le roi fit à Reims une excursion soudaine dont on ignorait le but. A son retour il ordonna de recommencer le décor de la cathédrale, voulant qu'elle fût reproduite avec fidélité jusque dans ses moindres détails.
Les révélations sur l'attitude du roi Louis dans ces représentations secrètes sont de nature à intéresser le lecteur. On sait déjà que S. M. bavaroise tient rigoureusement à être seule dans la salle. Même l'intendant des spectacles le baron von Perfall (3), ne peut se montrer. Un jour, blotti au fond d'une loge, il fut aperçu, malgré l'obscurité, par le regard perçant du roi qui en fut très irrité et le lui fit savoir immédiatement. Quand le baron von Perfall veut assister aux représentations, il est obligé de se cacher dans les coulisses, derrière un portait.
Le roi est d'une extrême amabilité envers vers les artistes, mais il est particulièrement sévère sur un point: aussitôt qu'un acteur a sauté le plus petit mot ou prononcé un "et" à la place d'un "ou", il lui en fait faire l'observation sur la scène de la façon la plus dure par un laquais qui se tient en permanence dans l'antichambre de la loge royale. Par contre, il a l'habitude, après les scènes qui l'ont particulièrement charmé, d'envoyer aux artistes des cadeaux de grande valeur. Sous ce rapport, il est d'une générosité incroyable, et, si une représentation a produit en lui une impression saillante, il arrive souvent que vers deux heures du matin on sonne à la porte des artistes, hommes ou femmes, et qu'un laquais apporte, soit un bracelet, soit une croix, soit une broche, soit une bague au comédien, à la chanteuse ou au chanteur qui a eu le bonheur de plaire particulièrement au roi.
Ces témoignages de bienveillance magnifique font que les artistes passent beaucoup de caprices à leur unique auditeur."
Commentaire
A noter que le grand spécialiste allemand des représentations privées, Kurt Hommel, ne mentionne pas la représentation manquée de 1879 dont il est ici question ici dans sa remarquable étude Die Separatvorstellungen von König Ludwig II. von Bayern, Laokoon-Verlag, München. 1963. L'information du Journal des débats se voit partiellement contredite par le fait que l'artiste "licenciée de la troupe" se retrouve sur scène quelques jours plus tard dans le rôle de la Pompadour, du moins d'après Hommel (p. 219).
Notes
(1) Il doit s'agir non d'un opéra (Rosa Herzfeld-Link était actrice, et non chanteuse d'opéra) mais de la pièce de théâtre La Pucelle d'Orléans de Schiller, que le roi fit représenter les 1er et 3 novembre 1875 en représentations privées (voir la coupure de presse du
Würzburger Presse, 05.11.1875) , et dont il fit annuler une représentation en 1879.
Würzburger Presse, 05.11.1875) , et dont il fit annuler une représentation en 1879.
(2) Rosa Babette Herzfeld-Link (Nuremberg, 1846 - Munich, 1900). Née dans une famille de comédiens, elle monta sur les planches dès l'âge de 14 ans. Elle épousa le comédien Albrecht Link avec qui elle travailla au théâtre de la cour de Munich, ou elle obtint son premier engagement en 1878.Pparmi ses rôles principaux, on retiendra Lady Macbeth, Elisabeth ou Orsina. Le 9 mai 1879, elle jouait le rôle de la Pompadour dans le Narziß de Brachvogel.
(3) Le baron Karl von Perfall est né à Munich le 29 janvier 1824 et mourut dans la même ville, âgé de quatre-vingt-trois ans, en 1907 . Après avoir étudié le droit, il entra au service de l'Etat, puis, sous la direction de Moritz Haupmann à Leipzig, fit des études de musique de 1848 à 1849. En 1850, ayant quitté son emploi, il dirigea le Liedertafel de Munich, puis l'Oratorienverein, qu'il avait fondé en 1854. Il devint alors intendant de la musique de la Cour ; en 1867, l'intendance, c'est-à-dire la direction des théâtres royaux, Hoftheater et Residenztheater, lui fut confiée. Le baron von Perfall les conserva jusqu'en 1893, quand M. von Possart lui succéda, laissant à son prédécesseur le titre purement honorifique d'intendant de la musique, ayant la haute main sur les théâtres et le Conservatoire. Cet établissement, à Munich, et celui de Wüzbourg furent sa création. Perfall avait fait représenter à Munich plusieurs opéras et composa un certain nombre d'œuvres chorales.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire