Buste de Wilhelmine Schroeder-Devrient par Ernst Rietschel (1804-1861), plâtre, Stadtmuseum dDesden |
Voici comment le Grand dictionnaire universel du XIXe siècle de Pierre Larousse la présentait dans son édition 1866-1877 (page 381).
"SCHRŒDER-DEVRIENT (Wilhelmine SCHRŒDER, connue sous le nom de Mme) cantatrice allemande, [...] , née à Hambourg le 6 octobre 1805, morte à Cobourg le 26 janvier 1860. Elle débuta à cinq ans au théâtre de Hambourg par de petits rôles d'Amour, dans le corps de ballet. Portée vers la tragédie par la nature ardente qu'elle tenait de sa mère, elle aborda, à peine âgée de quinze ans, le rôle d'Aricie de la Phèdre de Racine, traduite par Schiller, et se fit ensuite applaudir dans la plupart des pièces originales du tragique allemand. Mais, en 1821, quittant la tragédie pour l'opéra, elle parut à l'improviste dans le rôle de Pamina de la Flûte enchantée, joua ensuite Léonore, dans Fidelio, et éclipsa toutes les cantatrices ses devancières. Célèbre dès lors par la beauté de sa voix et son talent dramatique, elle parcourut l'Allemagne et recueillit partout les plus grands succès. En 1823, elle épousa à Berlin Charles Devrient [...] qui l'emmena à Dresde; mais cette union fut rompue par un divorce au bout de cinq ans. Conservant néanmoins le nom de Devrient ajouté au sien, elle revint à Berlin (1828). Elle eut à lutter contre le mauvais vouloir de Spontini, qui ne pouvait pas lui pardonner d'avoir refusé de paraître dans sa Vestale, après Mlle Schechner, et fit applaudir le nom de Weber et le sien, dans l'Euryanthe, qu'elle chanta sur la scène de Kœnigstadt. Appelée au Théâtre-Italien de Paris, en 1830, elle y reçut un accueil favorable de retour en Allemagne, une série d'ovations l'attendait sur son passage. Engagée de nouveau à Paris pour une saison, elle n'y réussit cette fois que médiocrement; elle dut se retirer devant les Pasta, les Sontag et les Malibran. C'était en 1832. Londres la dédommagea de la froideur parisienne, et son succès y fut si unanime qu'on voulut l'applaudir encore en 1833 et en 1837. Après une excursion à Saint-Pétersbourg, elle revint à Dresde. En 1842, sur les sollicitations de Meyerbeer, elle se rendit à Berlin et y joua le rôle de Valentine des Huguenots. Remariée en 1850 avec un riche Livonien, elle suivit son second mari en Livonie. La voix de cette célèbre cantatrice était belle, large et pleine de force, mais elle manquait de timbre; sous le rapport de la mimique, Mme Schrœder-Devrient est demeurée sans rivale; nulle n'a su tirer un meilleur parti de l'expression dramatique et du geste. Les rôles qui lui ont valu ses plus éclatants triomphes sont ceux de Fidelio, d'Euryanthe, de Donna Anna, de Desdemone, de la Vestale, de Roméo, d'Emmeline, de la Somnambule, de Norma et de Valentine. "
Edouard Schuré consacre un chapitre de ses Précurseurs et révoltés (publié en 1904 chez Perrin à Paris) à la cantatrice. Dans son introduction (PP: 255-2569, il relate une visite qu'il fit à Tribschen, pendant laquelle il tomba sous le charme d'un buste de Wilhelmine Schroeder-Devrient:
"WILHELMINE SCHRŒDER-DEVRIENT UNE PRÊTRESSE DE THÉÂTRE
La première fois que j'allai voir Richard Wagner, à sa villa de Tribschen, près Lucerne, il me conduisit dans un salon sombre et richement meublé, qui ouvrait sur sa chambre de travail. Un silence profond enveloppait la tranquille maison de campagne. A travers les fenêtres, obscurcies par d'épais rideaux, on ne voyait que la ver-.dure claire des tilleuls touffus qui, de toutes parts protégeaient la demeure contre les regards indiscrets. Parfois un coin du lac bleu miroitait entre leurs feuillages mouvants. Un demi-jour crépusculaire caressait les étoffes de soie et de velours. Dans sa pénombre se dressaient, çà et là, sur des stèles, les statuettes marmoréennes de héros wagnériens, Tannhauser, Lohengrin, Tristan et les autres. Mes yeux éblouis par ces merveilles, en buvaient tous les charmes, quand ils furent invinciblement attirés par un buste de femme, aux traits énergiques, occupant l'un des coins du salon et qui semblait la prêtresse mystérieuse de ce sanctuaire.
– Qui donc, pensais-je, est cette femme, dont le marbre même porte de son âme un si fier rayon ?
Devinant ma question muette, le maître dit d'une voix grave, tandis que son regard effleurait le buste d'un éclair de joie « Voilà ma Muse! C'est elle qui m'a fait comprendre tout ce qu'il est possible d'exprimer par le chant ».
La tête puissante, dont je ne pouvais détacher mes yeux, était celle de Wilhelmine Schrœder-Devrient. Wagner ne la mentionne que deux ou trois fois dans ses écrits, en paroles brèves mais royales. Voici les plus significatives. « Ce fut l'apparition d'une personnalité exceptionnelle, qui transforma mon amour pour l'opéra en un enthousiasme de portée plus haute. Cette femme était la Schrœder-Devrient qui vint donner une représentation au théâtre de Leipzig. (Ceci se passait aux environs de 1834. Wagner avait alors 27 ans, la Schrœder en comptait 30). Le contact le plus lointain avec cette femme extraordinaire me frappait comme un courant électrique. Longtemps après jusqu'au jour d'aujourd'hui, je la voyais, je l'entendais, je la sentais, quand le besoin impétueux de la création artistique s'emparait de moi (1). »
(1) Communication à mes amis, Œuvres complètes de Wagner. T. IV page 314. Wagner retrouva la Schrœder-Devrient, dix ans après, lorsqu'il fut nommé chef d'orchestre au Théâtre de Dresde. Elle créa la Senta du Vaisseau-Fantôme sous sa direction. Survint la révolution de 1849, la Schrœder partit pour Francfort et Wagner, exilé, pour la Suisse. Depuis lors, ils se perdirent de vue. Il ne semble pas d'ailleurs que la grande cantatrice ait éprouvé pour le réformateur de l'opéra la sympathie ardente et l'admiration illimitée qu'il ressentait pour elle. [...] "
"WILHELMINE SCHRŒDER-DEVRIENT UNE PRÊTRESSE DE THÉÂTRE
La première fois que j'allai voir Richard Wagner, à sa villa de Tribschen, près Lucerne, il me conduisit dans un salon sombre et richement meublé, qui ouvrait sur sa chambre de travail. Un silence profond enveloppait la tranquille maison de campagne. A travers les fenêtres, obscurcies par d'épais rideaux, on ne voyait que la ver-.dure claire des tilleuls touffus qui, de toutes parts protégeaient la demeure contre les regards indiscrets. Parfois un coin du lac bleu miroitait entre leurs feuillages mouvants. Un demi-jour crépusculaire caressait les étoffes de soie et de velours. Dans sa pénombre se dressaient, çà et là, sur des stèles, les statuettes marmoréennes de héros wagnériens, Tannhauser, Lohengrin, Tristan et les autres. Mes yeux éblouis par ces merveilles, en buvaient tous les charmes, quand ils furent invinciblement attirés par un buste de femme, aux traits énergiques, occupant l'un des coins du salon et qui semblait la prêtresse mystérieuse de ce sanctuaire.
– Qui donc, pensais-je, est cette femme, dont le marbre même porte de son âme un si fier rayon ?
Devinant ma question muette, le maître dit d'une voix grave, tandis que son regard effleurait le buste d'un éclair de joie « Voilà ma Muse! C'est elle qui m'a fait comprendre tout ce qu'il est possible d'exprimer par le chant ».
La tête puissante, dont je ne pouvais détacher mes yeux, était celle de Wilhelmine Schrœder-Devrient. Wagner ne la mentionne que deux ou trois fois dans ses écrits, en paroles brèves mais royales. Voici les plus significatives. « Ce fut l'apparition d'une personnalité exceptionnelle, qui transforma mon amour pour l'opéra en un enthousiasme de portée plus haute. Cette femme était la Schrœder-Devrient qui vint donner une représentation au théâtre de Leipzig. (Ceci se passait aux environs de 1834. Wagner avait alors 27 ans, la Schrœder en comptait 30). Le contact le plus lointain avec cette femme extraordinaire me frappait comme un courant électrique. Longtemps après jusqu'au jour d'aujourd'hui, je la voyais, je l'entendais, je la sentais, quand le besoin impétueux de la création artistique s'emparait de moi (1). »
(1) Communication à mes amis, Œuvres complètes de Wagner. T. IV page 314. Wagner retrouva la Schrœder-Devrient, dix ans après, lorsqu'il fut nommé chef d'orchestre au Théâtre de Dresde. Elle créa la Senta du Vaisseau-Fantôme sous sa direction. Survint la révolution de 1849, la Schrœder partit pour Francfort et Wagner, exilé, pour la Suisse. Depuis lors, ils se perdirent de vue. Il ne semble pas d'ailleurs que la grande cantatrice ait éprouvé pour le réformateur de l'opéra la sympathie ardente et l'admiration illimitée qu'il ressentait pour elle. [...] "
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