Victor Fleury (1857-1957) publia en 1911 la thèse* pour le doctorat ès-lettres qu'il défendit à la Faculté des lettres de l'Université de Paris. Il avait consacré sa recherche au poète Georges Herwegh (1817-1875), un des plus grands poètes allemands du 19ème siècle et qui fut ami de Richard Wagner .
Nous avons extrait de cet excellent travail aujourd'hui consultable en ligne (Gallica/BNF) les extraits consacrés aux relations du poète et du compositeur (pp. 156 à 158, puis 161 et suivantes):
Nous avons extrait de cet excellent travail aujourd'hui consultable en ligne (Gallica/BNF) les extraits consacrés aux relations du poète et du compositeur (pp. 156 à 158, puis 161 et suivantes):
- A Zürich, il [Georg Herwegh] éprouva le désir d'explorer le domaine de la philologie comparée et se mit à étudier avidement les vieux idiomes aryens : le sanscrit, le perse, afin de remonter jusqu'aux racines primitives. Il discutait volontiers sur l'étymologie. Il suivit, avec son ami le docteur Bizonfy, le cours de l'orientaliste Schweizer. Le vieux-norois de l'Edda lui était familier, et ses connaissances linguistiques prêtèrent un aussi grand secours à Richard Wagner que celles du professeur Ettmüller pour l'étude des sources des Nibelungen.
- Le journaliste hambourgeois, François Wille, avait acheté à Henri Simon sa propriété de Mariafeld sur les bords du lac de Zürich ; Herwegh s'y rendit en 1852 avec Wagner. « Je recueillis alors », dit Eliza Wille, présente aux entretiens, « bien des choses concernant l'antique philosophie cosmogonique des Hindous et j'appris à connaître la pureté du bouddhisme » Herwegh avait apporté les oeuvres de Schopenhauer. La vogue du grand pessimiste ne s'était pas encore répandue dans le monde entier et ses paradoxes offraient l'attrait de la nouveauté. Wagner qui avait écrit sous l'influence de Feuerbach son Oeuvre d'Art de l'Avenir (1849) fut initié par Herwegh à la philosophie de Schopenhauer : l'auteur des Nibelungen vit pour la première fois les Parerga et Paralipomena sur la table du poète.
- Schopenhauer montra d'ailleurs peu de reconnaissance à Wagner qui ne manquait jamais de lui envoyer un exemplaire de tout ce qu'il publiait, car il lui fit dire un jour qu'il n'entendait rien à la musique. Mais le philosophe apprit de Volger avec plaisir, en 1856, que Herwegh avait contribué à propager ses doctrines .
- Wagner qui, par plaisanterie, qualifiait Herwegh de « rat de bibliothèque », car il avait parfois de la peine à l'arracher à ses lectures, était frappé de l'universalité de son intelligence. Il le prit pour médecin lorsqu'il fit une cure aux eaux de Saint-Moritz : « Il connaît à fond la physique et la physiologie » expliquait-il à sa femme « et m'est à tous égards plus sympathique que n'importe quel praticien ». Le musicien résumait encore ses impressions en ces termes : « Je trouvais chez Herwegh le sens d'une foule de choses auxquelles les esprits des autres restaient fermés ».
- Au nombre de ses meilleurs amis de Zürich, Herwegh comptait Guillaume Rüstow, l'architecte Semper et Wagner.
- Herwergh fit la connaisance de Wagner au mois d'avril 1851. Tous deux caressèrent le projet d'attirer en Suisse Louis Feuerbach et ce fut un crève-coeur pour le philosophe de ne pouvoir les rejoindre. Au cours de l'été 1852 ils entreprirent ensemble un voyage aux lacs italiens. Herwegh assistait en mai 1853 aux trois concerts de Zürich où le maître déploya une supériorité qui souleva un enthousiasme unanime : « Avec ses ressources prodigieuses et ses virtuoses » écrivait plus tard le poète dans son éloge du Tannhäuser « le Conservatoire de Paris que nous avons eu souvent l'occasion d'admirer pour l'exécution des oeuvres de Beethoven n'a rien donné de pareil aux concerts du petit orchestre de Zürich... Wagner comme chef d'orchestre n'a jamais été égalé ». C'était aussi l'avis de Madame Herwegh.
- Le foyer du poète s'anima d'une vie nouvelle lorsque Liszt y parut en 1853. La biographie de Herwegh se confond durant plusieurs années avec l'histoire de ses relations avec les deux grands musiciens. Liszt rêvait de se l'associer pour la composition d'un livret sur le Christ « Nous nous sommes embarqués » écrivait-il à son amie la princesse de Sayn-Wittgenstein « par le plus beau soleil avec Wagner sur le bateau à vapeur du lac de Zürich pour nous rendre à Brunnen qui est un des plus beaux points du lac des Quatre-Cantons... Au Grütli nous nous sommes arrêtés aux trois sources et l'idée me vint de proposer à Herwegh Brüderschaft en prenant de l'eau dans le creux de ma main, à chacune des trois sources. Wagner en fit autant avec lui. Plus tard nous sommes revenus assez en détail sur notre projet du Christ, vous savez ce dont je veux parler, et je pense qu'il le réalisera bientôt et grandement ». Liszt avait aussi l'intention de fonder une revue littéraire et musicale et d'en confier la direction à Herwegh, mais il abandonna ce plan de même que celui du Christ.
- En juillet 1853 Herwegh accompagna Richard Wagner à Saint-Moritz . Le poète fut ensuite convié à toutes les premières auditions des oeuvres de Wagner : l'Or du Rhin chez le compositeur lui-même (1854), Tannhäuser au théâtre de Zürich (17 févr. 1855), la Walkyrie à l'hôtel Baur (22 oct. 1856), Tristan et Isolde chez Wesendonck (1857).
- Hans et Cosima de Bülow passèrent aussi à Zürich, peu de temps après leur mariage, et s'y arrêtèrent encore en 1858 à l'occasion du baptême du plus jeune fils de Herwegh dont Madame de Bülow fut la marraine et l'architecte Semper le parrain.
- Wagner, la même année, invita Georges Herwegh à plusieurs reprises dans son nouveau châlet près de la somptueuse villa des Wesendonck, devenue un centre élégant de réunion dont Mathilde Wesendonck, l'Isolde de Wagner, jeune femme gracieuse et raffinée, faisait les honneurs avec charme.
- L'amitié de Herwegh et de Wagner survécut au départ du grand compositeur pour Venise ; l'attachement témoigné par Madame Herwegh à Minna Wagner n'y porta pas ombrage. A son retour d'Italie, Wagner exprimait à son ami son désir de l'attirer près de lui à Lucerne et lui confiait qu'il lisait avec un réel plaisir ses articles pleins de verve et ses vers toujours juvéniles. Herwegh défendit le Tannhäuser contre la cabale montée par Meyerbeer qui fit échouer cet opéra, à Paris, après trois représentations ; il avait prévu le revirement d'opinion qui ne pouvait manquer de se produire. Lorsque Wagner, harcelé par ses créanciers, vint se réfugier en 1864 chez Wille pour y terminer ses Maîtres-Chanteurs, il ne put résister à la tentation de revoir le poète à Mariafeld.
- Tout à coup sa fortune changea : le roi de Bavière lui offrit de faire jouer ses oeuvres avec la plus magnifique mise en scène. Au mois de mai 1865, Wagner priait Herwegh d'assister à Münich aux grandes représentations de Tristan et Isolde qui s'annonçaient comme un triomphe. Mais les Bavarois s'alarmèrent des prodigalités de leur souverain : le nouveau théâtre que Semper méditait de construire sur un plan grandiose avait ému la colère des philistins, et le favori s'éloignait de la capitale devant l'impopularité croissante. Herwegh chante alors sur sa lyre avec une ironie légère et sans malveillance l'odyssée de Wagner: Vielverschlagner Richard Wagner, Ans dem Schiffbruch von Paris Nach der Isarstadt getragner, Sangeskundiger Ulyss ! Ungestümer Wegebahner, Deutscher Tonkunst Pionier, Unter welche Insulaner, Teurer Freund, gerieist du hier !...Er- bestellte sich bei Sempern Car ein neu Komödienhaus !... (in Neue Gedichte p. 138 : An Richard Wagner, janv. 1866.).
- La visite du jeune roi au célèbre musicien dans son exil de Triebschen inspire une autre satire au poète : La Ballade du roi perdu (mai 1866). Les deux amis n'eurent pas la chance de se rencontrer à Münich en 1869 . Dans une lettre envoyée à l'occasion de son second mariage, le compositeur jetait un regard en arrière sur les années passées à Zürich dont il dictait le récit à sa femme : « Ton nom y revient souvent » écrivait-il à Herwegh. Mais le poète n'a jamais voulu pardonner à Wagner sa soumission à l'Empire et l'en a raillé avec amertume dans une de ses dernières poésies :Die nüchterne Spree hat sich berauscht Und ihren Verstand verloren.../ Die einzig wahre Zukunftsmusik Ist schliesslich doch Krupps Orchester.
Post précédent sur le sujet: Georg Herweg, La ballade du roi perdu
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