Dans les années 1920, Louis Barthou publiait un petit livre, La vie ardente de Wagner, que l'on trouve aussi sous le titre La vie amoureuse de Wagner. Le Figaro en publait une critique dans son Supplément littéraire du dimanche 4 juillet 1925.
Le Carnet du Bouquiniste
La vie amoureuse de Richard Wagner par Louis Barthou, de l'Académie française - Ernest Flammarion, éditeur.
Comme il nous change, ce petit livre, de tant de biographies sèches et glacées, dont on n. saurait nier généralement ni la documentation précise et solide, ni l'intelligence, ni même la finesse et la profondeur d'analyse, mais qui font songer trop souvent à cette jument de Roland qui, elle aussi, avait toutes les qualités, sauf qu'elle était morte. Animé d'une vie intense, captivant, empoignant, le récit de M. Louis Barthou ressuscite non seulement la physionomie de Richard Wagner et de celles qu'il a aimées, mais il nous restitue avec une admirable puissance d'évocation l'atmosphère de fièvres et d'orages où s'est débattu, jusqu'au seuil de la vieillesse, le génie passionné du grand musicien.
Richard Wagner a en effet puisé dans l'amour ses plus belles inspirations et l'histoire de son existence si tourmentée, comme celle de son œuvre prodigieuse, sont inséparables de celle de son cœur. Trois femmes surtout y ont régné, de sorte que « Sa vie amoureuse, prise dans son ensemble, apparaît comme une trilogie dont Minna, Mathilde et Cosima sont les principaux personnages ».
C'est au Théâtre de Magdebourg dont il venait d'être nommé chef d'orchestre, que Wagner rencontra pour la première fois, en 1834, Minna Planer. Elle tenait l'emploi de première amoureuse et était âgée de vingt-cinq ans Wagner n'en avait que vingt et un. Ni l'un ni l'autre, n'étaient des ingénus: Wagner avait passé sa prime jeunesse dans la dissipation; Minna, fille d'un mécanicien avait été séduite à seize ans et était mère d'une fillette qu'elle faisait passer pour sa soeur. Mais tandis que sort passé la mettait en garde contre les entreprises des galants, Wagner continuait d'aspirer éperdument à l'amour. Il s'acharna à la conquête de Minna et l'épousa le 24 novembre 1836. « Jaloux et irascible, écrit M. Louis Barthou, pauvre et somptueux, sûr de sa force et rebuté dans ses entreprisses, il apportait en dot à sa femme du génie, un mauvais caractère et des dettes. » Minna non plus n'était pas sans défaut: maladroite et bornée, elle avait plus de vertus ménagères que de simple vertu, plus de sens pratique que de véritable intelligence. Elle se laissa enlever par Dietrich et Wagner pardonna; elle s'enfuit de nouveau avec cet amant et lorsque Dietrich l'abandonna, le mari trompé pardonna encore. C'est que Wagner cherchait la paix du foyer et sa femme coupable avait de l'ordre, il cherchait la paix du cœur et l'exigeante et tracassière Minna n'était incapable ni d'affection, ni de dévouement.
Ensuite, la vie artistique de Wagner, pendant la période agitée et féconde qu'il passa à Dresde domina sa vie conjugale. Rienzi (20 octobre 1842), le Vaisseau fantôme (2 janvier 1843) et Tannhäuser (19 octobre 1845), sont les glorieuses étapes de cette marche ascendante.
En 1849, Wagner est mêlé au mouvement révolutionnaire et il part pour un exil de treize ans. Il vient à Paris en 1850 et c'est pendant ce séjour que s'ébauchent ses éphémères amours avec l'américaine Jessie Laussot.
Il devait les oublier bientôt, car il allait faire connaissance à la fin de 1851, à Zurich, avec le ménage Wesendonck, entrer dans son intimité, associer sa propre existence à celle de ses amis. Il allait surtout concevoir l'amour le plus ardent de sa vie, s'éprendre de Mathilde qui fut l'inspiratrice de Tristan, ce chef-d'œuvre surhumain. M. Louis Barthou nous conte les péripéties de ce roman pathétique, l'achat de l'Asile sur la Colline Verte, l'installation de Wagner, ses relations du voisinage avec les Wesendonck, puis la séparation et le départ pour Venise. Il ne nous dit pas précisément si Mathilde a été la maîtresse de Wagner, mais il semble, à lire l'admirable correspondance du génial musicien que peu de doute puisse encore subsister à cet égard.
Les années, cependant, continuent de se dérouler, et l'œuvre de Wagner à grandir. Il achève Tristan à Lucerne, demeure à Paris de septembre 1853 à août 1861. Il écrit les Maîtres chanteurs et va habiter à Biebrich, près de Mayence, en février 1882. Minna reparaît et les querelles, reprennent. Wagner se console auprès de Mathilde Mayer en un « Idylle domestique », puis auprès d'une actrice du théâtre de Francfort Frederik Meyer.
En 1863, au retour d'un voyage en Russie, il s'établit à Penzing, tout près de Vienne il est seul, accablé de dettes. En mars 1864, il paraît perdu.
C'est alors qu'il est sauvé par un prince de dix-huit ans, Louis II de Bavière. Le jeune roi, admirateur fervent de son œuvre, lui achète une maison près de son château de Berg. Wagner possède enfin le cadre somptueux qu'il a toujours rêvé. Mais son cœur est inassouvi et an troisième et dernier amour y naît. Wagner s'éprend de Cosima de Bulow, la femme de son disciple le plus affectionné, la fille naturelle de Liszt, son fidèle ami, et de la comtesse d'Agoult.
« Mathilde Wesendonck, note M. Barthou, avait été une inspiratrice Cosima était une dominatrice. Pour inspirer Tristan, il fallait une femme de cœur pour encourager la formidable entreprise des Niepelungen, M fallait une femme de tête. » Cosima a été cette femme-là. Elle eût sacrifié sa vie au maître et abandonna tout pour lui. Après la mort de Minna, tous deux s'installent à Tribschen, près de Lucerne, dans ce séjour que Nietzsche a nommé l'Ile des Bienheureux. Cosima obtient ensuite le divorce et elle épouse Wagner le 25 août 1870. Quand le compositeur se fixera à Bayreuth, le 22 avril 1872, il aura achevé Siegfried et le premier acte du Crépuscule.
Jusqu'à la mort de Wagner, Cosima restera la maîtresse de son cœur et la prêtresse de son art. La représentation de Parsifal, en 1882, sera sa récompense, et lorsque son Dieu mourra auprès d'elle, à Venise, en 1883, elle saura comprendre tout son devoir. « La fille de Liszt, écrit en terminant M. Louis Barthou, a, depuis plus de quarante ans, porté le deuil de Richard Wagner avec la dignité agissante qui convenait à un grand génie, à une grande oeuvre et à un grand amour. »
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Louis Barthou
Louis Barthou
Jean Louis Barthou dit Louis Barthou, né le 25 août 1862 à Oloron-Sainte-Marie (Basses-Pyrénées) et mort par arme à feu le 9 octobre 1934 à Marseille, fut journaliste, avocat, homme politique, écrivain et académicien français. Républicain modéré il essaya de reconstituer des alliances contre le péril nazi. Ecrivain et historien, on trouve parmi ses ouvrages deux livres consacrés à Wagner, le livre sous rubrique publié en 1925 et l'année précédente Wagner et le recul du temps.
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