Exemplaire de la deuxième partie des Königs-Historien conservé à la Bayerische Staatsbibliothek de Munich |
Dans la la deuxième partie de ses Königs-Historien (1), intitulée König Ludwig II. und Richard Wagner, Joseph Ludwig Craemer fait le récit de la soirée du 25 août 1865 à Hohenschwangau. Pour fêter son anniversaire, le roi avait souhaité la mise en scène nautique de l'arrivée de Lohengrin et de ses adieux au cygne. Richard Wagner, Hans von Bülow et le prince de Tour et Taxis avaient uni leurs efforts pour la réalisation de ce projet.
Photographies présentées en illustration dans le livre de J.L. Craemer |
La fête de Lohengrin sur l'Alpsee (d'après le texte de J.L. Craemer)
Le château de Hohenschwangau est situé entre plusieurs lacs, dont le plus grand porte le nom d'Alpsee. Le lac est encadré des deux côtés par de hautes montagnes. Il se situe à la frontière avec le Tyrol que ce qu'on appelle la route royale relie au village de Hohenschwangau et à ses châteaux.
Sur l'Alpsee, le roi et Richard Wagner avaient projeté l'organisation d'une représentation de Lohengrin. Le jour de la représentation avait été fixé au 25 août, jour anniversaire du roi, et à cette fin des arrangements musicaux avaient été réalisés à Munich par le Kapellmeister von Bülow.
On confia les répétitions musicales au maître de musique Siebenkäs (2) du 1er régiment d'infanterie. Le roi demanda au directeur du théâtre de la cour (Hoftheater) de faire fabriquer par son technicien Benkmaier un cygne flottant, dont la tête et les ailes devaient pouvoir se mouvoir grâce à un mécanisme interne, et dans lequel il y eût place pour un chanteur ainsi que pour un manoeuvre qui puisse faire fonctionner le mécanisme.
Le rôle de Lohengrin fut confié à l'aide du camp du roi, le prince Paul de Tour et Taxis. C'est Wagner en personne qui se chargea de faire répéter le prince à Hohenschwangau. Le roi avait commandé une armure de Lohengrin, qui devait correspondre dans les moindres détails aux résultats des recherches scientifiques.
Bien sûr, ces préparatifs prirent beaucoup de temps et exigèrent de nombreuses répétitions. Encore faut-il ajouter que le spectacle devait représenter la seule l'arrivée de Lohengrin sur le cygne et qu'il devait avoir lieu la nuit, le lac et les montagnes étant éclairés par des feux de Bengale, ce qui nécessitait l'assistance d'un important personnel chargé des effets d'éclairage.
En dehors du roi, tous ces projets étaient confiés aux bons soins de Wagner et de Bülow, et du technicien Benkmaier. Ce dernier a raconté avoir eu besoin de plus de temps que prévu pour réaliser la pyrotechnie des fusées, des illuminations et des autres effets d'éclairages, ce qui déplut au roi.
Tout l'arrangement musical fut réalisé par Hans von Bülow avec la fanfare renforcée du 1er régiment royal bavarois d'infanterie sous la direction du maître de musique Siebenkäs, qui dirigea les répétitions musicales et fit jouer régulièrement le prologue de Lohengrin par sa fanfare lors des gardes royales.
Le cygne, qui avait été soigneusement testé, fut installé avec tous ses "accessoires" dans le prolongement de l'hôtel Alpenrose. Il était relié par cable métallique à une roue qui devait l'entraîner vers l'endroit où le roi et Richard Wagner attendaient le chanteur. L'orchestre était placé à un endroit "invisible" entre les épicéas qui poussaient au-dessus du Schwansee juste en dessous du château Hohenchwangau.
Le technicien Benkmaier avait fait converger ses fils en haut de la voie royale où était installé un atelier provisoire. C'est de là qu'il devait organiser tout son dispositif d'éclairage, qui fonctionna fort bien. Mais cela ne se passa pas sans accident. Des fusées explosèrent et retombèrent sur la fanfare, en blessant plusieurs instrumentistes à la tête, aux bras et aux épaules, et abîmant leurs vêtements. Mais le roi ne fut pas mis au courant de l'accident.
Lorsque vint le moment du début de la représentation, on put apercevoir Lohengrin sur son cygne, et comme il approchait, la musique commença et le chanteur princier fit entendre sa voix. Arrivé au rivage, il débarqua, fit ses adieux à son cygne et chanta son rôle devant son royal auditeur.
Le roi serra alors dans ses bras le prince chanteur tout chatoyant dans son armure argentée. Il tendit les mains au compositeur en lui disant : " Merci à vous , Maître, mille mercis pour ce précieux cadeau. C'est exactement ainsi que je m'étais imaginé l'arrivée de Lohengrin. Je suis aujourd'hui entièrement comblé. Ce que j'ai entendu et vu a ravi mon cœur et mes sens comme jamais auparavant! "
Se tournant vers l'acteur qui jouait Lohengrin, le roi lui dit: "Cher Paul, vous avez fait quelque chose de divin, et le souvenir de cette nuit restera gravé dans nos mémoires!" Ensuite le roi, Richard Wagner et le prince Taxis se rendirent lentement au château de Hohenschwangau, aux sons de la musique d'opéra. Les montagnes et le lac étaient magnifiquement illuminés. Le roi s'arrêta et dit: "Qu'est-ce donc que cette musique, ce n'est plus la musique de Lohengrin, ça ressemble à une marche victorieuse de tournoi?" Un valet fut aussitôt envoyé vers la fanfare, dans le fourré. Il reçut, comme seule réponse de Hans von Bülow, une petite enveloppe adressée au roi dans laquelle se trouvait la partition de la marche imprimée en lettres d'or.
Le roi aimait ce genre de petites surprises. Aussi voulut-il exprimer ses remerciements particuliers au grand musicien Bülow et y ajouta une pierre précieuse, ce dont le le compositeur fut d'autant plus surpris qu'elle était de grande valeur.
La route qui va du lac au château se parcourt en réalité en fort peu de temps; mais il leur fallut près d'une demi-heure pour se retrouver dans le petit jardin du château. La musique joua longtemps, et finalement «l'adieu au cygne» arriva à sa conclusion, qui fut accompagnée d'une manière grandiose par la dernière partie du feu d'artifice.
Arrivé dans le jardin du château, le Prince Taxis prit congé du roi et de ses amis, serrant aussi la main du maître, mais ne le quitta pas sans que Wagner l'eût encore félicité pour sa grandiose interprétation de Lohengrin. Le prince Lohengrin se dépouilla aussitôt de son armure et de son manteau, puis reprit son service d'aide de camp du roi.
Pendant ce temps, le petit cercle des personnes qui avaient participé à la réussite de la soirée s'était réuni au restaurant Alpenrose, et elles furent bientôt rejointes par Taxis, à qui Bülow avait également fait cadeau d'une copie de sa dernière composition.
Taxis s'était également enquis des musiciens militaires blessés par les feus de Bengale et le chirurgien du corps, le Dr. Schleiß von Löwenfeld, l'informa que les feux d'artifice qui avaient été allumés avaient occasionné beaucoup plus de brûlures qu'on ne le pensait au départ. 16 hommes souffraient de brûlures plus ou moins graves, mais avaient pu recevoir le traitement médical nécessaire.
Le roi resta longtemps avec Richard Wagner dans le jardin du château, profitant de la vue qu'offrait le beau clair de lune. C'était une vue charmante sur l'Alpsee depuis le point de vue d'où le cygne de Lohengrin s'était approché du roi. En plus de cela, les feux de montagne qui avaient été allumés tout autour n'étaient pas encore éteints à minuit, et donnaient encore une impression de "Mille et Une Nuits" vers l'ouest.
Suite à l'intervention de Wagner, l'armure que portait le Prince Taxis n'était pas la même que celle de celle qui avait à l'époque été réalisée pour le Roi. Elle différait aussi de celles que portaient les ténors professionnels. Cette nuit-là, une sorte de débat scientifique s'éleva, au cours duquel le roi, convaincu par Wagner, finit par se ranger à l'avis du compositeur.
Il était déjà minuit passé: le roi et l'artiste se tenaient toujours devant la fontaine de l'Alhambra dans le petit jardin du château. Ce que les deux amis se sont encore dit restera probablement un éternel secret; mais les initiés pensent que la conversation porta certainement sur l'art de Wagner et sur l'avenir du musicien.
Le roi avait déjà autrefois exprimé le souhait de faire tirer comme Lohengrin par un vrai cygne, mais Wagner n'en était pas d'accord. Et cependant douze ans plus tard il devait réaliser ce projet sur le petit lac artificiel de sa grotte de Linderhof. Il fit atteler un cygne vivant à sa petite gondole dorée. Le roi prit place dans la gondole, mais bien sûr sans penser à se faire tracter, la force du cygne aurait été insuffisante pour faire se déplacer la pesante nacelle alourdie du poids du roi.
Pour ce roi amateur d'art, cette nuit de Lohengrin du 25 août 1865 dut rester un souvenir inoubliable, mais il ne répéta cependant jamais l'expérience. Les représentations privées au théâtre de la cour semblent avoir paralysé son désir de la reproduire.
En dehors du roi, tous ces projets étaient confiés aux bons soins de Wagner et de Bülow, et du technicien Benkmaier. Ce dernier a raconté avoir eu besoin de plus de temps que prévu pour réaliser la pyrotechnie des fusées, des illuminations et des autres effets d'éclairages, ce qui déplut au roi.
Tout l'arrangement musical fut réalisé par Hans von Bülow avec la fanfare renforcée du 1er régiment royal bavarois d'infanterie sous la direction du maître de musique Siebenkäs, qui dirigea les répétitions musicales et fit jouer régulièrement le prologue de Lohengrin par sa fanfare lors des gardes royales.
Bülow organisa une répétition générale en présence de Wagner dès le 11 août, soient 14 jours avant la fête nocturne, dont le compositeur se montra entièrement satisfait. Ce résultat fut télégraphié au roi, à la suite duquel il donna son accord pour l'organisation de la fête de Lohengrin sur l'Alpsee, accord également transmis par télégramme.
La fête qu'avait organisée Wagner pour l'anniversaire du roi en 1864 avait dû être reportée; mais celle de 1865 eut effectivement lieu, et il était prévu qu'elle commençât à 22H30.
Le cygne, qui avait été soigneusement testé, fut installé avec tous ses "accessoires" dans le prolongement de l'hôtel Alpenrose. Il était relié par cable métallique à une roue qui devait l'entraîner vers l'endroit où le roi et Richard Wagner attendaient le chanteur. L'orchestre était placé à un endroit "invisible" entre les épicéas qui poussaient au-dessus du Schwansee juste en dessous du château Hohenchwangau.
Le technicien Benkmaier avait fait converger ses fils en haut de la voie royale où était installé un atelier provisoire. C'est de là qu'il devait organiser tout son dispositif d'éclairage, qui fonctionna fort bien. Mais cela ne se passa pas sans accident. Des fusées explosèrent et retombèrent sur la fanfare, en blessant plusieurs instrumentistes à la tête, aux bras et aux épaules, et abîmant leurs vêtements. Mais le roi ne fut pas mis au courant de l'accident.
Paul de Tour et Taxis en Lohengrin in Ludwig Below, Dem Toten die Ehre |
Lorsque vint le moment du début de la représentation, on put apercevoir Lohengrin sur son cygne, et comme il approchait, la musique commença et le chanteur princier fit entendre sa voix. Arrivé au rivage, il débarqua, fit ses adieux à son cygne et chanta son rôle devant son royal auditeur.
Le roi serra alors dans ses bras le prince chanteur tout chatoyant dans son armure argentée. Il tendit les mains au compositeur en lui disant : " Merci à vous , Maître, mille mercis pour ce précieux cadeau. C'est exactement ainsi que je m'étais imaginé l'arrivée de Lohengrin. Je suis aujourd'hui entièrement comblé. Ce que j'ai entendu et vu a ravi mon cœur et mes sens comme jamais auparavant! "
Se tournant vers l'acteur qui jouait Lohengrin, le roi lui dit: "Cher Paul, vous avez fait quelque chose de divin, et le souvenir de cette nuit restera gravé dans nos mémoires!" Ensuite le roi, Richard Wagner et le prince Taxis se rendirent lentement au château de Hohenschwangau, aux sons de la musique d'opéra. Les montagnes et le lac étaient magnifiquement illuminés. Le roi s'arrêta et dit: "Qu'est-ce donc que cette musique, ce n'est plus la musique de Lohengrin, ça ressemble à une marche victorieuse de tournoi?" Un valet fut aussitôt envoyé vers la fanfare, dans le fourré. Il reçut, comme seule réponse de Hans von Bülow, une petite enveloppe adressée au roi dans laquelle se trouvait la partition de la marche imprimée en lettres d'or.
Le roi aimait ce genre de petites surprises. Aussi voulut-il exprimer ses remerciements particuliers au grand musicien Bülow et y ajouta une pierre précieuse, ce dont le le compositeur fut d'autant plus surpris qu'elle était de grande valeur.
La route qui va du lac au château se parcourt en réalité en fort peu de temps; mais il leur fallut près d'une demi-heure pour se retrouver dans le petit jardin du château. La musique joua longtemps, et finalement «l'adieu au cygne» arriva à sa conclusion, qui fut accompagnée d'une manière grandiose par la dernière partie du feu d'artifice.
Arrivé dans le jardin du château, le Prince Taxis prit congé du roi et de ses amis, serrant aussi la main du maître, mais ne le quitta pas sans que Wagner l'eût encore félicité pour sa grandiose interprétation de Lohengrin. Le prince Lohengrin se dépouilla aussitôt de son armure et de son manteau, puis reprit son service d'aide de camp du roi.
Pendant ce temps, le petit cercle des personnes qui avaient participé à la réussite de la soirée s'était réuni au restaurant Alpenrose, et elles furent bientôt rejointes par Taxis, à qui Bülow avait également fait cadeau d'une copie de sa dernière composition.
Taxis s'était également enquis des musiciens militaires blessés par les feus de Bengale et le chirurgien du corps, le Dr. Schleiß von Löwenfeld, l'informa que les feux d'artifice qui avaient été allumés avaient occasionné beaucoup plus de brûlures qu'on ne le pensait au départ. 16 hommes souffraient de brûlures plus ou moins graves, mais avaient pu recevoir le traitement médical nécessaire.
Le roi resta longtemps avec Richard Wagner dans le jardin du château, profitant de la vue qu'offrait le beau clair de lune. C'était une vue charmante sur l'Alpsee depuis le point de vue d'où le cygne de Lohengrin s'était approché du roi. En plus de cela, les feux de montagne qui avaient été allumés tout autour n'étaient pas encore éteints à minuit, et donnaient encore une impression de "Mille et Une Nuits" vers l'ouest.
Suite à l'intervention de Wagner, l'armure que portait le Prince Taxis n'était pas la même que celle de celle qui avait à l'époque été réalisée pour le Roi. Elle différait aussi de celles que portaient les ténors professionnels. Cette nuit-là, une sorte de débat scientifique s'éleva, au cours duquel le roi, convaincu par Wagner, finit par se ranger à l'avis du compositeur.
Il était déjà minuit passé: le roi et l'artiste se tenaient toujours devant la fontaine de l'Alhambra dans le petit jardin du château. Ce que les deux amis se sont encore dit restera probablement un éternel secret; mais les initiés pensent que la conversation porta certainement sur l'art de Wagner et sur l'avenir du musicien.
Le roi avait déjà autrefois exprimé le souhait de faire tirer comme Lohengrin par un vrai cygne, mais Wagner n'en était pas d'accord. Et cependant douze ans plus tard il devait réaliser ce projet sur le petit lac artificiel de sa grotte de Linderhof. Il fit atteler un cygne vivant à sa petite gondole dorée. Le roi prit place dans la gondole, mais bien sûr sans penser à se faire tracter, la force du cygne aurait été insuffisante pour faire se déplacer la pesante nacelle alourdie du poids du roi.
Pour ce roi amateur d'art, cette nuit de Lohengrin du 25 août 1865 dut rester un souvenir inoubliable, mais il ne répéta cependant jamais l'expérience. Les représentations privées au théâtre de la cour semblent avoir paralysé son désir de la reproduire.
(1) Joseph Ludwig Craemer, Königs- Historien / 2. Theil: König Ludwig II. und Richard Wagner, München, Selbstverlag des Herausgebers, 1895.
(2) Richard Wagner connaissait Johann W. Siebenkäs, parce que celui-ci avait dirigé sa Huldigungs-Marsch (Marche d'hommage au roi Louis II). Il lui écrivit une lettre de remerciement le 6 octobre 1864 dans laquelle il lui exprimait sa reconnaissance pour sa prestation très précise:il avait dirigé la fanfare du 1er régiment d'infanterie à l'automne 1864 pour jouer la marche d'hommage au roi qui avait suivi ce concert d'une fenêtre de la résidence munichoise. Il s'agit de la seule lettre connue de Wagner à Siebenkäs.
Texte traduit et arrangé par Luc Roger. Tous droits réservés.
Post précédent touchant au sujet: Paul de Thurn et Taxis en Lohengrin.
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