Introduction
Le 21 février 1884, Der Sozialdemokrat, un journal socialiste interdit en Allemagne et publié à Zurich vitupère avec virulence le Roi Louis II dans son feuilleton. Il s'attaque à la Maison Wittelsbach, à la forme de gouvernement qu'est la monarchie, dénonce la folie de Louis II, l'usage abusif qu'il fait du pouvoir et sa déchéance physique et morale, notamment en matière de sexualité. Il dit également savoir que le prince Luitpold manigance pour s'emparer du pouvoir.
Le Sozialdemokrat est évidemment une publication partisane et anti-monarchiste, d'autant plus que l'idéal de Louis II, à contre-courant de son époque, est la monarchie de droit divin. Il se fait d'autant plus virulent que la liberté d'expression était prohibée par les lois bismarckiennes. Il n'en est pas moins intéressant: le document confirme que la Bavière de 1884 était parfaitement au courant du caractère dispendieux du roi, de sa faillite financière, de son homosexualité et de l'intérêt du prince Luitpold, le futur régent, pour une prise de contrôle de la couronne. Un document qui intéressera certainement les tenants de la théorie du complot dans la tragique affaire de la mort du roi Louis II.
Qu'était Der Sozialdemokrat?
Le journal fut de 1879 à 1890 l'un des plus importants journaux socialistes/socio-démocrates de langue allemande publiés internationalement. Après la promulgation par Bismarck de la loi socialiste (Sozialgesetzgebung ou Sozialgesetze, en fait des lois anti-socialistes) dans l'Empire allemand (1878), Der Sozialdemokrat fut tant qu'elles durèrent l'organe principal de la social-démocratie allemande. Le journal fut publié par Paul Singer à partir de septembre 1879 à Zurich, puis de 1888 à 1890 à Londres. En Allemagne, où il était illégal, il fut distribué sous le manteau. Il était essentiellement destiné aux socialistes en exil - notamment en Suisse, en France et au Royaume-Uni. Le journal fut envoyé en Allemagne par la poste jusqu'en 1886, mais ce procédé fut par la suite prohibé.
Traduction libre du texte du feuilleton de l'édition du 21 février 1884. (Traduction de Luc Roger, tous droits réservés)
La maison Wittelsbach
Une contribution à l'histoire naturelle des rois.
1. Louis II
Devise: Sine ira et studio. (Tacite) [Sans colère ni sympathie, c'est-à-dire en toute impartialité, formule par laquelle Tacite déclare dans ses Annales son intention d'exposer les faits historiques en toute impartialité et objectivité, ndlr].
Tant que les états byzantins [sans doute les états soumis à une monarchie de droit divin] existeront, il y aura aussi des histoires secrètes. Un historien qui veut accomplir son devoir de fournir une image fidèle des faits est forcé, aujourd'hui, sous la pression de la force brutale, de publier ce qu'il sait à l'étranger. Ce qui manque encore à la grande masse du peuple, c'est la connaissance des choses telles qu'elles sont. Une fois que le peuple aura reconnu la comédie monarchique, il saura que ce roi n'est qu'un homme, la crainte et la dévotion s'évanouiront, et ce que nous avons semé commencera à mûrir.
La maison Wittelsbach, et en particulier son chef, le roi Louis II, voila sur quoi nous voulons attirer l'attention aujourd'hui. Louis II, que la presse vénale et toute la canaille de l'Ordre établi célèbrent comme héros, comme amateur d'art et comme guide suprême de l'Etat, est en réalité un fou. Il est affligé, pour utiliser le terme technique des psychiatres, d'une « tare héréditaire », c'est-à-dire qu'il y a déjà eu des malades mentaux dans sa famille, et que ce terrible héritage pèse sur lui et le peuple.
"Et s'il n'était pas un grand patron,
Voilà belle lurette qu'il serait dans un asile de fous!
comme il est dit dans le "Neues Wintermärchen" ("Nouveau conte d'hiver"). Louis Ier, un tyran malin à qui il ne manquait que le pouvoir pour être un Néron, était déjà à la frontière de la folie. Le frère du roi actuel de la Bavière, le prince Othon, réside dans son château de Schleissheim, c'est un dangereux fou furieux qui maltraite ses gardiens et qui essaye en vain de taper son crâne princier contre les murs capitonnés de sa chambre. Les fils de princes ont en tant que fous le privilège d'être les propriétaires de leurs propres asiles et de tirer leur salaire de la distillation de la sueur du peuple travailleur.
"Notre" Louis, à en juger par tous ses faits et gestes, est aussi fou que son frère, mais, pour des raisons de "fierté nationale", il ne peut pas l'être. Car avec lui tomberait toute une armée de parasites; si on l'incapacitait, la cour actuelle et la clique du gouvernement disparaîtraient , pour faire de la place à d'autres parce que le parti opposé à la cour royale bavaroise n'est pas meilleur qu'elle. À sa tête se trouve le prince Luitpold, qui lorgne avec envie sur le trône et se bat de toutes ses forces contre son parent «oint par les saintes huiles». Si deux coquins se crêpent le chignon, ils seront plus susceptibles de dévoiler leurs secrets. Et ainsi, au moyen de canaux déviés, ont petit à petit circulé un grand nombre de faits sur le «roi vierge» dont nous avons pu prendre connaissance et dont nous ne voulons citer ici que quelques cas significatifs et avérés.
Les professeurs et les prostituées sont toujours disponibles pour de l'argent, a dit un collègue couronné de notre Wittelsbach. Voila qui est bien vrai. Des serviteurs bien payés proclament sans cesse et sur tous les tons, verbalement comme par écrit , que que «Sa majesté est un esprit puissant et original», que «certainement c'est un génie». C'est à ce titre qu' il cherche la solitude la plus profonde; c'est seulement pour se plonger dans de profondes réflexions sur le bien-être du peuple qu'il s'ensevelit dans ses châteaux dans la magnifique tranquillité de la nature montagnarde.
Tout ceci n'est que qu'un mensonge, l'un des millions de mensonges qui sont racontés au peuple envoûté par des dirigeants sournois.
Louis II souffre d'un haut degré de paranoïa, dont le symptôme principal est justement cette aversion du contact avec les humains et la peur de dangers imaginaires. C'est là-dessus que repose toute la puissance des parasites supérieurs qui se prélassent dans des fauteuils ministériels. La manie du roi (sa folie), présentée comme quelque chose de pur et de merveilleux, est exploitée pour l'éloigner de tout contact avec toute personne à L'exception de ses favoris et de ses laquais, des conseillers aux serviteurs. L'activité criminelle de ces «piliers de l'ordre et de la conduite morale» nourrit le délire du roi, qui est déjà fort important.
Il vit la plus grande partie de l'année loin de Munich, dans des châteaux solitaires [...]; il s'y enferme dans les pièces les plus reculées. Tourmenté par ses obsessions, qui lui font voir des ennemis partout, il traîne nerveusement la nuit. Lorsque il est à Munich, il vit enfermé dans la Résidence, et ne parcourt les jardins de la cour que dans des dans les voitures fermées menées dans un galop endiablé. Lorsque le roi est présent on peut voir partout dans ces jardins les casques à pointe des gendarmes On dit et on entend que ses ministres ont déclaré que cette garde était absolument nécessaire "pour le protéger des socio-démocrates" . Pour ses ministres lui ont « des protections contre les sociaux-démocrate, ». Et ce n'est pas un hasard si ses conseillers les plus intimes ont toujours été des officiers supérieurs de la police et des procureurs.
Bechmanm, l'ancien ministre de l'Intérieur, est maintenant chef de la policce. Feilitzsch, un traître gredin, qui semble aussi bien à la solde de la Prusse que le digne camarade Nostiz-Wallwitz en Saxe, était directeur de la police. Le chef de la police, Pfister, est devenu son secrétaire de cabinet (un poste de confiance comme il faut): Pfister, chef de la police politique, est un arriviste impitoyable que rien n'arrête. Pfister, le fils d'un pauvre professeur, devenu multimillionaire grâce à un mariage d'argent, propriétaire du bazar de la bourse, se caractérise par la brutalité et la cruauté de sa haine socialiste; mais il fait preuve d'autres qualités ecore, tout aussi gracieuses. Schmederer, son propre beau-frère. à qui il a volé son héritage, peut chanter une chanson pour l'amour de sa famille.
Il vit la plus grande partie de l'année loin de Munich, dans des châteaux solitaires [...]; il s'y enferme dans les pièces les plus reculées. Tourmenté par ses obsessions, qui lui font voir des ennemis partout, il traîne nerveusement la nuit. Lorsque il est à Munich, il vit enfermé dans la Résidence, et ne parcourt les jardins de la cour que dans des dans les voitures fermées menées dans un galop endiablé. Lorsque le roi est présent on peut voir partout dans ces jardins les casques à pointe des gendarmes On dit et on entend que ses ministres ont déclaré que cette garde était absolument nécessaire "pour le protéger des socio-démocrates" . Pour ses ministres lui ont « des protections contre les sociaux-démocrate, ». Et ce n'est pas un hasard si ses conseillers les plus intimes ont toujours été des officiers supérieurs de la police et des procureurs.
Bechmanm, l'ancien ministre de l'Intérieur, est maintenant chef de la policce. Feilitzsch, un traître gredin, qui semble aussi bien à la solde de la Prusse que le digne camarade Nostiz-Wallwitz en Saxe, était directeur de la police. Le chef de la police, Pfister, est devenu son secrétaire de cabinet (un poste de confiance comme il faut): Pfister, chef de la police politique, est un arriviste impitoyable que rien n'arrête. Pfister, le fils d'un pauvre professeur, devenu multimillionaire grâce à un mariage d'argent, propriétaire du bazar de la bourse, se caractérise par la brutalité et la cruauté de sa haine socialiste; mais il fait preuve d'autres qualités ecore, tout aussi gracieuses. Schmederer, son propre beau-frère. à qui il a volé son héritage, peut chanter une chanson pour l'amour de sa famille.
En dehors de son caractère policier, ce sont les lmillions de Pfister,qui ont constitué e principal motif de sa nomination. Car le roi est fortement dispendieux. Il veut singer Louis XIV, a gaspillé des millions et est profondément endetté, si profondément qu'il n'est plus le propriétaire de ses châteaux, mais seulement le sous-locataire du Baron Hirsch, qui a fait appliquer ses scellés partout. Le roi du pays est l'esclave endetté roi de l'argent - une image délicieuse.
Si Louis II était intelligent, il deviendrait certainement socialiste contre cette force du capitalisme.
Si Louis II était intelligent, il deviendrait certainement socialiste contre cette force du capitalisme.
Les édifices précieux qu'il a fait construire, dont l'intérieur est magnifiquement meublé, ont dévoré d'immenses sommes d'argent. Le roi n'ayant pu continuer à construire,cela a entraîné de nombreuses mises à pied. Ce n'est pas seulement le grand capital mais ce sont aussi les artisans qui ont été siphonnés par le roi. Il s'est fait faire un ciel de lit en or pour son lit par un maître-artisan munichois, qu'il n'a pas encore payé aujourd'hui: il y a là un quintal d'or! Les domestiques ne reçoivent souvent leur salaire que le quinze du mois - il n'y a pas d'argent dans la caisse.
Pour de telles folies, le commun des mortels serait placé sous curatelle, mais le Prince? Les «patriotes» de Munich ont consulté dans leur club à ce sujet, mais bien sûr, ils n'osent pas agir contre le roi.
Et pour terminer notre diagnostique de la compréhension de Louis II, on peut prouver qu'il se complait dans le plus vicieux de tous les vices, la pédérastie [souvent synonyme d'homosexualité au 19e à la fin du 19e siècle, ndlr]! Seuls de jeunes serviteurs sont embauchés, et le voluptueux couronné viole ses palefreniers. Ceux qui refusent de céder à ses avances sont immédiatement renvoyés; les autres sont généreusement récompensés. Ainsi, un jockey a-t-il reçu 30 000 marks pour le prix de son silence. Peuple bavarois, c'est à cela que l'on emploie l'argent de tes impôts! peuple impôts, les Bavarois! La sauvagerie du rut royal ne se voit jamais satisfaite. Les amants masculins sont traités ici comme ailleurs on traite des maîtresses. du roi
Une autre preuve de la folie césarienne est le fait qu'un serviteur tombé en disgrâce ne peut apparaître devant le roi que sous un masque noir. Du Louis XIV tout craché!
A en juger par la pathologie, le roi souffre très probablement d'une paralysie générale progressive. Il souffre déjà de troubles de la parole, il ne peut plus que bégayer. Et - merveilleuse ironie du système dirigeant - il est interdit aux proches immédiats du roi de lui adresser la parole. La communication se fait par écrit. Louis manifeste aussi des troubles de l'alimentation et de la boisson typique de cette sorte de maladie. Il avale des quantités monstrueuses de viande et est un buveur régulier qui boit des bouteilles entières de liqueurs fines. Sa silhouette gigantesque le fait ressembler à un tonneau, tant il a pris de ventre.
Caractéristiques sont aussi lesgrâces qu'il accorde . Il pardonne aux criminels les plus vulgaires et les plus raffinés, avec une espèce de joie tranquille empreinte de malice et de violence; car son caractère est complètement corrompu.
Le corps, l'esprit et la moralité de Louis II sont en totale banqueroute.
Bajuvarier [Les chroniqueurs francs désignaient par Bavarii (en alld. Bajuwaren, c'est-à-dire « peuple de Bohême ») les Bavarois, un peuple germanique qui s'était établi à la fin des Grandes invasions sur un territoire recouvrant, outre la Bavière historique, la plus grande partie de l'Autriche et du Tyrol méridional. L'auteur de l'éditorial, en signant Bajuvarier, se profile comme un Bavarois de souche. Ndlr. ]
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