Le Festival de Musique ancienne d'Innsbruck a mis à son programme le spectacle Pygmalion de Christophe Rousset et de son ensemble les Talens lyriques dans une mise en scène et avec les chorégraphies de Natalie van Parys exécutées par les Cavatines, un ensemble de ballet qui s'est fait une spécialité du répertoire chorégraphique baroque. Le spectacle fut coproduit par les Musikfestspiele Potsdam Sanssouci 2016 et le Centre de musique baroque de Versailles en coopération avec les Innsbrucker Festwochen der Alten Musik.
Ce spectacle nous entraîne au coeur du théâtre musical français en présentant pour la première fois dans l'histoire du festival tyrolien un Acte de ballet, cette courte pièce (en un acte) de divertissement qui combine spectacle et musique avec pour sujet une intrigue amoureuse et souvent tirée de la mythologie, dont Jean-Philippe Rameau fut un des compositeurs les plus célébrés qui, par ses idées, créa un nouveau style de ballet. Le spectacle nous entraîne dans la France de la première moitié du 18e siècle, avec, en entrée des compositions de Louis-Nicolas Clérambault et de Jean-Féry Rebel.
Ce spectacle au programme si alléchant n'a cependant pas tenu toutes ses promesses: si Christophe Rousset et ses Talens lyriques rendent de manière précise et inspirée la beauté lyrique et la théâtralité musicale des danses du 18e siècle , la mise en scène et le chant n'étaient pas vraiment au rendez-vous, à l'exception notable du Pygmalion d'Anders J. Dahlin.
La Muse de l'Opéra (Chantal Santon-Jeffery) © Innsbrucker Festwochen / Rupert Larl |
Une cantate de Louis-Nicolas Clérambault ouvre la soirée, interprétée par Chantal Santon-Jeffery qui incarne la Muse de l'Opéra. Le fort beau décor d'Antoine Fontaine présente au centre de la scène un trône allégorique baroque, animé de personnages qui font partie intégrante de l'édifice et s'en détachent pour danser, avant de rejoindre leurs places de figurations. La Muse de l'Opéra chante et figure tout à tour les diverses facettes de l'opéra. Le trône se trouve au centre d'une construction hémicirculaire qui rappelle l'architecture de jardins baroques, comme celle de certains bosquets des jardins du château de Versailles. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres car la chanteuse fait montre de telles faiblesses d'articulation et de projection que le texte en devient incompréhensible et qu'il faut essayer malgré la pénombre de se plonger dans le livret pour comprendre le sens de ce qui est chanté. Le manque de présence scénique, une théâtralité empruntée, jouée plutôt que ressentie, et des problèmes de justesse ajoutent à la pénibilité. Tout le spectacle repose sur les épaules de la chanteuse qui n'a ni le talent lyrique ni la carrure de grande tragédienne qu'il faudrait pour rendre les beautés partition. Les faiblesses de la mise en scène sont patentes avec par exemple ces voiles un peu dérisoires que les danseurs agitent pour figurer un orage ou une tempête. Restent la musique que Christophe Rousset dirige avec entrain et vigueur, la joliesse des décors et la beauté des costumes d'Alain Blanchot, mais cela ne parvient pas à sauver la partie.
Les Caractères de la danse, une fantaisie de Jean-Féry Rebel datant de 1715, est dansée sans décors sinon une toile peinte de fond de scène. Ce sont ici les robes rouges qui ressemblent quelque peu à celles des moines bouddhistes ou des derviches tourneurs qui attirent le regard. Les danseurs que la chorégraphe fait souvent sautiller interprètent des danses stylisées, menuet, bourrée, gigue ou gavotte, dont on perçoit l'origine paysanne, sans susciter l'enthousiasme et c'est encore la fosse d'orchestre qui sauve la partie, tant le propos scénique paraît faible.
La seconde partie permet de découvrir le Pygmalion de Jean-Philippe Rameau, ce premier "Acte de ballet" qui fut pour la première fois exécuté par L'Académie royale de musique en août 1848. Rameau et son librettiste Sylvain Ballot de Sauvot donnent une nouvelle vie au mythe de Pygmalion, ce sculpteur tombé amoureux de sa statue Galatée, qui finit par la seule puissance de l'amour de son créateur à s’animer et se met à danser la sarabande. Pygmalion offrait un beau sujet antique, mais voilà, Natalie van Parys en a décidé autrement et a choisi de promener des danseurs costumés en touristes estivaux ou en groupe excursionniste scolaire en bermudas et salopettes dans les décors à pans de coulisses arborés et ornés de statue d'un beau parc baroque au centre duquel se trouve un temple monoptère avec la statue de Galatée. Le sculpteur Pygmalion habillé en néo-hippie façon Versace, les bras fameusement tatoués, ne trouve pas l'amour en Céphise, ce qui irrite au plus haut point la jeune femme aux charmes de laquelle il reste insensible. Il s'est épris de la statue qu'il vient d'achever à un point tel qu'Amour décide de faire un miracle et de donner vie à la statue. La metteure en scène Natalie van Parys, en déplaçant le propos à l'époque contemporaine, insiste sans doute sur l'universalité temporelle de la légende. Mais n'est-ce pas en soi le propre d'un mythe, et était-il besoin de le rappeler alors que la cohérence du programme de la soirée se situe clairement dans la première moitié du 18e siècle? C'est encore la musique et le chant qui cette fois sauvent la partie, avec la belle interprétation du ténor suédois Anders J. Dahlin, un haute-contre à la française mais dont on n'entendit pas vraiment la voix de tête. De jolis aigus qui semblent jaillir sans forcer et une grande agilité dans la colorature, une stature de grand adolescent dégingandé et une présence scénique fort décontractée font le charme de ce chanteur baroque. Sa longue collaboration avec Christophe Rousset est aussi un maître atout, et sa belle prestation en parfaire osmose avec l'orchestre finissent par emporter l'adhésion et par sauver les meubles de cette soirée découverte desservie par une mise en scène et des chorégraphies qui ne sont pas parvenues à rejoindre le niveau d'excellence de l'orchestre et de son chef.
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