A l'heure où le Bayerische Staatsoper de Munich met en scène Oberon de Weber comme deuxième nouvelle grande mise en scène de son festival d'été, nous avons recherché quelle fut la réception parisienne de l'oeuvre lors de la première parisienne de 1857, trente ans après celle de Londres (1826).
Le Journal amusant
Le Journal amusant du 14 mars 1857 rappelle (en page 7) l'origine de l'histoire d'Oberon et en donne un résumé succinct:
"[...]Le sujet d'Oberon a pris sa source dans la mythologie Scandinave. C'est par corruption qu'on écrit Oberon au lieu d'Auberon, qui est la forme plus moderne du vieux nom Alberon, répondant au nom allemand Alberich, c'est-à-dire roi des Elfes. C'est dans le vieux poème français, Huon de Bordeaux, pair de France, qu'apparaît pour la première fois le personnage fantastique d'Oberon, roi des Elfes, mari de Titania. Plus tard, on fit de ce poëme un roman populaire en prose; il appartient au cycle des légendes de Charlemagne et de ses paladins.
Après Shakespeare, dans le Songe d'une nuit d'été, la fable d'Oberon a inspiré à Wieland , le Voltaire de l'Allemagne, un poëme en quatorze chants, d'où Sotheby et Planché ont tiré le scénario de l'opéra actuel dé Weber.
Voici la donnée de cette oeuvre, traduite par MM. Nuitïèf, Beaumont et de Chazot : Oberon est séparé de Titania, parce qu'elle a voulu prendre la défense d'une femme infidèle, et s'est moquée de son époux. Après bien des prières de Puck, son génie familier, Oberon , irrité, déclare qu'il ne reverra sa femme qu'à une condition. Elle lui montrera sur la terre deux amants fidèles, et capables de supporter tous les malheurs par amour.
Alors nous assistons aux amours et aux infortunes du chevalier Huon et de l'Orientale Rézia. Convaincu de leur mutuelle fidélité, Oberon se réconcilie avec sa femme Titania. [...]
La querelle d'Oberon et de Titania par Sir Jospeh Noel Paton |
Le Ménestrel
Le Ménestrel du 1er mars de cette année lui consacra en première et deuxièmes pages un long article dû à la plume de Jules Lovy, cofondateur avec Heugel du célèbre journal de musique , dont il fut également le rédacteur en chef.
Jules Lovy (1800-1863) est le fils du compositeur Israel Lovy (1773-1832). Dès 1826, il est rédacteur de l'ancien Figaro. En 1832, il fonde avec Heugel, la revue Le Ménestrel (sous-intitulée journal de musique ) qu'il dirigera -sans doute jusqu'en 1840, date du rachat par Heugel- avant d'en devenir le rédacteur en chef. De 1850 à 1860, il est également secrétaire général du Théâtre des Variétés, puis du Théâtre Lyrique.
(Extraits de la notice que lui consacre le Dictionnaire de la musique en France au XIXe siècle de Joël-Marie Fauquet, p.716.)
L'article du Ménestrel
"THÉÂTRE-LYRIQUE.
Oberon, opéra fantastique en trois actes, musique de WEBER , libretto imité de WIELAND par MM. NUITTER , BEAUMONT et CHAZOT.
Jusqu'à cette heure la direction Carvalho avait fait preuve d'habileté et de bonheur, deux excellents éléments sans doute pour la gestion d'un théâtre. Aujourd'hui elle gagne un nouveau titre, elle acquiert des droits à la reconnaissance du monde musical et des vrais artistes. Cette révélation d'Oberon lui sera comptée comme un véritable honneur. Oberon, ce dernier chef-d'oeuvre de Weber, n'était connu du public parisien que par quelques fragments exécutés dans les concerts, et par son ouverture, préface grandiose, tout empreinte de cette poésie fantastique dont le génie de Weber semblait avoir concentré l'essence. Seuls, quelques musiciens étaient initiés aux trésors de la partition et en gardaient le dépôt dans leur âme. Nous parlons des musiciens de Paris, car Londres a eu la bonne fortune d'entendre l'oeuvre entière à la clarté de la rampe. Londres a eu la primeur d'Oberon, triste bonne fortune, hélas ! puisque c'était aussi le chant du cygne de Carl Maria.
On sait dans quelles circonstances l'immortel auteur de Freyschutz composa Oberon. Après le succès de Preciosa, les directeurs allemands, jaloux de monter les ouvrages nouveaux de ce maître, assiégeaient sa porte pour obtenir des opéras. Euryanthe suivit de près la partition de Preciosa. Cette fois le succès fut contrarié par la complète nullité du poëme, qu'il était impossible d'écouter sans ennui. Le livret tua la musique.
Cette chute fut extrêmement sensible à Weber, devenu l'enfant gâté du public. Son caractère mélancolique s'en affecta. Aussi, lorsqu'on lui demanda d'écrire un ouvrage pour Covent-Garden, à Londres, commença-t-il par refuser. L'insistance de l'envoyé triompha pourtant de sa volonté.
-Quand serez-vous prêt ? lui demanda ce dernier.
-Dans dix-huit mois.
L'ambassadeur se récria ; les délais lui semblaient trop longs.
-Il me faudra trois mois pour lire la pièce d''Oberon; trois autres mois me seront nécessaires pour en comprendre le plan; j'en mettrai douze à écrire la partition.
A l'époque dite il était prêt.
Le 2 mars 1826, il s'embarqua pour l'Angleterre , souffrant déjà des premières atteintes d'un mal de poitrine qui ne devait lui laisser aucun repos jusqu'à sa mort. Le 12 avril, une foule empressée attendait à Covent-Garden que le rideau se levât.
Oberon n'obtint qu'un succès d'estime, qui a grandi depuis.
Cette atteinte à son amour-propre fut mortelle pour Weber. A partir de ce jour les progrès du mal qui le consumait furent effrayants. Le 2 juin, avant une représentation de Freyschutz qu'il préparait, il écrivit à sa femme une lettre touchante dans laquelle il énonçait ses tristes pressentiments sur sa fin prochaine.
Trois jours après il avait cessé de vivre.
Oberon est resté une oeuvre magistrale et n'a jamais quitté le répertoire des scènes allemandes. Mais presque partout, en Allemagne de même qu'en Angleterre,
L'exécution laisse à désirer sous le rapport vocal. En assimilant aujourd'hui cette oeuvre à la scène française, on tenait à honneur de la présenter au public d'une façon digne et complète. Cette ambition était ou ne peut plus légitime, et une salle entière, ravie, enthousiasmée, est venue sanctionner la hardiesse de cette entreprise.
Mais avant de payer à chacun le tribut d'éloges qui lui est dû dans cette révélation d'Oberon, signalons les précieux services et les laborieux efforts du chef d'orchestre, M. Deloffre. Cet excellent artiste, pendant son long séjour en Angleterre, eut souvent occasion d'entendre et d'exécuter lui-même, en entier, la partition de Weber, dont il avait déjà antérieurement interprété les fragments sous la direction de Habeneck. Nul n'était donc mieux placé que lui pour l'exacte connaissance des traditions, pour le secret des détails, pour l'organisation de l'ensemble. Aidé de ses souvenirs, M. Deloffre s'est mis à l'oeuvre, et il a su accomplir une tâche formidable, une triple collaboration : il lui a fallu seconder les librettistes pour l'appropriation des paroles ; puis consulter et mettre en regard la partition allemande, la partition originale anglaise et celle de la bibliothèque du Conservatoire, pour bien se pénétrer des intentions de l'auteur, rester fidèle au texte, à la note, aux accidents, aux nuances ; il s'est assujetti à ce travail mesure par mesure. Quand tous ces matériaux ont été bien coordonnés, restait une autre tâche à remplir : l'étude vocale et instrumentale, le travail des répétitions, la direction de l'orchestre. Un incessant labeur de trois mois, une sollicitude infatigable, voilà par quelles attaches M. Deloffre s'est associé à l'édification d'Oberon. Le théâtre ne l'oubliera pas, et le monde artiste s'en souviendra.
Le sujet d'Oberon est aussi naïf que celui de la Flûte enchantée. Que nous importe ce roi des génies séparé de sa femme pour incompatibilité d'humeur, et les puérils amours du chevalier Huon de Bordeaux avec la fille du calife de Bagdad? Occupons-nous de la musique de Weber et abordons cette partition dont tout Paris voudra prendre connaissance. Prêtons l'oreille à cette splendide ouverture qui débute par l'appel mystérieux du cor magique d'Oberon; une belle phrase de violoncelle vient colorer celte introduction; elle se termine par un accord fortissimo qui semble nous séparer brusquement do ce domaine fantastique pour nous faire rentrer dans le monde réel. L'allégro est plein de verve et de grâce. Un mélodieux chant de clarinette, une phrase de violons empruntés au corps de la partition, le retour du sujet principal, et enfin la vigoureuse péroraison des violons, complètent cette admirable ouverture... Elle a été bissée, chose inouïe au théâtre.
L'introduction du premier acte (le choeur des génies) répond par sa couleur au début de l'ouverture. C'est le même dessin d'instruments. L'air d'Oberon qui suit affecte la forme du récitatif, sauf une seule phrase au contour mélodique. La vision de Rezia se formule par un simple récit ad libitum avec accompagnement de harpes. Arrive après cela une grande scène entre Huon, Oberon et les génies, dont le final est des plus énergiques : il faut un véritable ténor de force, — un chanteur qui puisse donner le si bémol aigu de poitrine pour résister aux masses qui l'accompagnent. L'air de Huon, succédant à celte scène, est d'une allure chevaleresque. La première partie de cet air paraît être transposée d'un demi-ton plus bas. L'andante, remis dans le modo original, rappelle la phrase annoncée par la clarinette dans l'ouverture. Cet andante a beaucoup de charme. Le retour du sujet s'opère par un crescendo et revient en mi bémol pour aboutir à une coda quasi à l'italienne. Quant au final, il a été fréquemment exécuté à la Société des concerts du Conservatoire. Rien de plus original que ce début des hautbois et des bassons. Le duo entre Rezia et Fatime est d'un entrain charmant, et la marche des Gardiens du harem, exécutée sur le théâtre, combinée avec les choeurs et les vocalises de Rezia, forme un ensemble des plus piquants.
Une marche qui, dans la partition originale, fait partie du dernier final de l'ouvrage, sert aujourd'hui d'cntr'acte. Ici, Weber fait entendre en fortissimo l'introduction de son ouverture. C'est une curieuse redite qui échappera à plus d'un auditeur. Le choeur du harem, qui, au second acte, s'enchaîne avec cet entr'acle, est très-caractéristique. L'ariette de Fatime nous semble un peu vague dans sa première partie, mais la terminaison est charmante. Elle est suivie d'un quatuor qui débute en duo d'une façon très-gracieuse, pour se dénouer par un ensemble emprunté au motif principal de l'ouverture. A ce quatuor succède l'invocation de Puck, grande et admirable scène. Le morceau delà tempête est tout simplement un chef-d'oeuvre de genre, et peut se comparer à celle de l'ouverture de Guillaume Tell et de la Symphonie pastorale. Un autre chef-d'oeuvre, dans un genre plus suave, c'est la Prière de Huon. Ce morceau, accompagné seulement par les altos et les violoncelles divisés, produit un saisissant effet d'orgue. Quel modèle et quel exemple pour maints compositeurs modernes, qui cherchent les effets dans la quantité des timbres! Nous avons ensuite la scène et l'air de Rezia, digne pendant du grand air de Freyschutz. Le final du second acte est connu des habitués de concerts, qui se souviennent de ce ravissant petit duo entre Puck et Oberon, avec violon solo, auquel vient s'enchaîner le choeur des nymphes de la mer, combinaison qui donne à celte fin d'acte une couleur des plus mystérieuses.
Le troisième acte diffère beaucoup des deux premiers, sous le rapport du caractère et du type musical. Il semble que nous n'entendons plus ici que de la musique légère, des morceaux d'opéra-comique. L'ariette de Fatime, le duo qui suit, participent de ce caractère ; le duo se termine par un six-huit écrit tout à fait dans les heureuses données des rondos de Weber. Le trio suivant forme une des plus belles pages de l'oeuvre. Nous en dirons autant de la scène de séduction, dont le motif principal est remarquable par sa grâce et sa fraîcheur. Enfin, une valse des plus originales et le choeur final sur l'apothéose d'Oberon, complètent celte magnifique partition.
Nous disions tout à l'heure qu'il fallait un ténor de force pour résister aux masses vocales et instrumentales d'Oberon. Ce ténor est trouvé : il s'appelle Michot. Le public a été charmé autant que surpris de la façon vigoureuse dont Michot, élève de M. Guillot, s'est acquitté du rôle de Huon de Bordeaux. Sou air du premier acte, si difficile à chanter, le final et tous les ensembles, lui ont valu les plus chaleureux applaudissements. Mme Rossi-Caccia, jadis une des étoiles de Favart, a représenté très-consciencieusement le personnage, un peu jeune pour elle, de Rezia, la fille du Calife de Bagdad. Elle a dit avec beaucoup d'animation son air du second acte,
Fromant est un Oberon peu satisfaisant ; mais on sait que ce roi des génies, qui a donné son nom à l'ouvrage, y tient un rôle très-secondaire. A Mlle Borghese (Puck) et à Mlle Girard (Fatime), nos sincères éloges. Toutes deux ont vaillamment rempli leur tâche. Mlle Girard a dit avec une véritable expression son air du second acte. Sa charmante ariette du troisième a été bissée; on a également bissé la suave et célèbre romance de Puck (Mlle Borghese). Girardot s'est chargé d'égayer la salle dans le type un peu banal d'Aliboufar.
Mais à l'orchestre les honneurs de la soirée, car il s'est véritablement distingué; il a récolté la plus large part dans les bravos de la salle, et c'est justice.
La mise en scène a eu également ses ovations : les décors, les costumes, la tempête du second acte, le tableau final, l'amusante scène de la danse forcée et l'apothéose, forment un spectacle des plus attrayants. Vous voyez que cette magnifique partition d'Oberon a été entourée de toutes les splendeurs théâtrales. Honneur au Théâtre-Lyrique !
J.Lovy"
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