Pour sa soirée de clôture, le Festival DANCE 2017 avait programmé deux spectacles abordant le thème de la diversité avec des approches complètement différentes: Sharon Eyal et Gai Behar, dont on avait déjà pu apprécier l'extraordinaire travail lors de l'édition 2015 du festival, sont revenus avec un spectacle extrêmement travaillé et stylisé, dont le titre, OCD Love, est le programme. OCD pour obsessive compulsive desorders, en français troubles obsessionnels compulsifs, souvent désignés par les initiales, TOCS. Le spectacle étudie les relations amoureuses dans lesquelles l'un des partenaires est atteint de ces troubles comportementaux. En seconde partie, le canadien Frédérick Gravel présente son nouveau spectacle Some hope for the bastards avec le Grouped'artGravelArtGroup, un spectacle volontairement décousu, provocateur et dérangeant qui tient davantage d'une expression corporelle politique que de la danse. Une soirée de danse en tension, si on a eu l'opportunité d'assister aux deux spectacles, tant le projet de déconstruction de Gravel est antithétique au travail extrêmement construit et abouti d'Eval et de Behar.
OCD Love
Eval et Behar sont parvenus à exprimer dans un travail chorégraphique d'une élaboration et d'une précision à couper le souffle l'enfermement psychique et social dans lequel les personnes atteintes de TOCs peuvent se trouver. Ces personnes semblent prisonnières de leurs comportements compulsifs, qui sont au départ une parade pour diminuer l'anxiété et les tensions provenant de pensées intrusives obsessionnelles. Un des problèmes majeurs des personnes atteintes de TOCS est le côté envahissant et chronophage de leur maladie: le temps considérable passé au comportement compulsif n'est plus disponible pour réaliser d'autres activités, qu'il peut mettre en danger. Ainsi d'une relation amoureuse: combien de temps le partenaire d'un malade peut-il supporter ce dysfonctionnement? Les moments de rapprochement et de synchronicité qui naissent se voient souvent vite mis à mal et anéantis.
Au départ de la chorégraphie d'Eval et Behar se trouve le texte OCD de Neil Hilborn. Eval et Behar ont traduit la problématique de l'amour manqué, asynchrone, dans un spectacle d'une exigence inouïe pour les danseurs et les danseuses de LEV, avec des tableaux hallucinés composés par des protagonistes à la gestuelle torturée d'une complexité qui dépasse l'imagination, dansés sur des musiques électroniques live d'Ori Litchnik. Les douleurs des TOCs et de leurs conséquences, comme l'impossibilité de se rencontrer dans l'amour, les tortures auto-infligées sont transcendées par la beauté du spectacle et du travail d'une rare perfection des danseurs.
Crédit photographique: Stéphane Najman |
Some Hope for the Bastards
Un peu d'Espoir pour les Salauds (que nous sommes). Frédérick Gravel est venu présenter avec neuf danseurs et deux musiciens sa nouvelle création, en première mondiale à Munich, du moins c'est ce qu'on croyait. Mais non, les deux représentations munichoises aux dires faussement-timidement ironiques du musicien-chorégraphe, sont des avant-premières, la première aura lieu la semaine prochaine au Québec.
L'attente comme élément de la tension artistique et de la déconstruction des codes du spectacle. A la Muffathalle, le public attend. Les comédiens danseurs installent des chaises face à la salle et s'y installent pour boire des bières ou du vin, en regardant le public comme s'ils attendaient que quelque chose se passe. Ils offrent bière ou vin à l'un ou l'autre spectateur, une spectatrice est invitée sur scène. Les danseurs ont l'air épuisé comme s'ils avaient passé une longue nuit en boîte, larves alcoolisées aux mouvements incertains. C'est peut-être à cela que doit ressembler une after-party, ces lieux qui recueillent les épaves de l'aube. Un danseur escalade l'une ou l'autre chaise, l'un ou l'autre spectateur. La distance scénique est abolie, on se croirait revenu aux années 1970 avec l' éclatement des conventions scéniques des Arrabal et autres actionnistes. Frédérick Gravel interroge à nouveau le rôle de l'artiste dans la société, et la société s'interroge sur le rôle de Gravel dans la salle. Le sexe ne sera bien sûr pas absent et se manifestera pleinement: au moment longtemps attendu où ces hommes et ces femmes imbibés, ou qui jouent à l'être, se mettront à se mouvoir plus ou moins de concert, ce sera pour exécuter des mouvements rythmés de bassin très évocateurs. La sono va à fond la caisse, puis Gravel se fait tendre et interprète l'une ou l'autre chanson magnifiques. Moments d'attente encore, quelques isolés, ennuyés, mal à l'aise ou énervés, quittent discrètement la salle, -ils avaient déjà reçu la bénédiction de Gravel dans son allocution de présentation de ce non-spectacle. Une chorégraphie qui travaille la danse au sol montre le talent du GAG, le Gravel Art Group. Des couples se forment et se rencontrent dans des gestes d'amour indécis, imprécis, maladroits, un peu de soleil dans l'eau froide, ou plutôt dans la bière froide des salauds que nous sommes et à qui le Canadien a peut-être voulu tendre un miroir-piège. Mais comme l'avoue Gravel lui-même, tout cela ne veut rien dire.
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