Se retrouver a Varsovie et se rendre au Teatr Wieki, le Grand théâtre de Varsovie, pour aller assister à la première de Matsukaze, un opéra japonais dont on a entendu parler à Bruxelles ou à Berlin mais dont en fait on ne sait strictement rien. Y aller vierge, sans lecture préalable aucune, et sans programme (il doit être en polonais, une langue que nous ne pratiquons pas). Ne pas profiter des surtitres puisqu'ils sont en polonais, et ne pas saisir le texte chanté en allemand même si cette langue nous est familière. Etre comme la page blanche, ignorante de ce qui viendra s'y écrire. Impressions Matsukaze.
Mais croire en la blancheur est un leurre, on ne vient pas à l'opéra vide de tout référent. D'entrée de jeu, on est sensible à l'ambiance poétique délicate qu'installent les lumières, la danse et des sons. C'est feutré comme du théâtre nô japonais, avec la lenteur du rythme, la tranquillité des gestes, l'installation d'une intrigue qu'on ne comprend pas mais qui semble répondre à des conventions. Impressions d'un opéra de chambre nô avec peu de solistes, un choeur réduit, peu de texte aussi. L'opéra semble conçu comme une suite de calligraphies qui serait dessinée dans l'espace par les corps qui dansent, des calligraphies écrites avec l'encre des sons qui se solidifient en se mouvant. On voit des images extraordinaires, des corps pris dans le réseau dense du tissage de fils d'un immense filet noir, comme une immense toile d'araignée complexe, ou encore la définition de l'espace par les arêtes de parallélépipèdes rectangles doubles ou quadruples, et le jeu fabuleux de deux danseurs dont l'un conduit l'autre comme un pantin, avant que le mouvement ne s'en inverse. Un spectacle total avec d'extraordinaires danseurs qui semblent exprimer en langage chorégraphique qu'il n'y a pas de réponse aux questions que l'on se pose et que nos désirs ne peuvent être comblés. La musique, le chant et la danse nous invitent à leur contemplation et l'on sort du spectacle sans en avoir compris le discours mais saisi par tant de beauté et peut-être de douleur, on en sort concentré et peut-être transformé.
Le lendemain, on lira la présentation de l'oeuvre et ce qu'on lira fera sens bien sûr, cela nous touchera, mais ce n'est pas ce qu'on a vécu,
L'auteur de l'opéra, Toshio Hosokawa, a fondé son travail sur un jeu nô du 15ème siècle qui met en scène l'histoire de deux soeurs: Matsukaze, qui signifie «vent dans les pins», et Murakame, qui signifie «pluie d'automne». Les deux personnages principaux sont les esprits errants des sœurs qui vivaient près de la mer où elles louchaient de la saumure pour faire du sel. Les deux jeunes femmes tombent amoureuses du même homme: un pêcheur nommé Yukihira. C'est lui qui leur a donné leur nom. Il est parti pour ne plus revenir en abandonnant les deux soeurs à leurs désirs inassouvis. Elles en meurent de chagrins et ont été enterrées sous un pin. Elles deviennent des fantômes, des esprits flottants attachés au monde des mortels par leur coupable attachement émotionnel aux désirs, un thème bouddhiste fréquent dans le théâtre nô.
La production est due au travail créatif de la réalisatrice et chorégraphe Sasha Waltz, qui a développé un style d'opéra chorégraphique dans lequel elle brouille les limites entre le mouvement, les éléments visuels, le chant, l'éclairage et le son des instruments. Le partenariat entre la chorégraphe et le compositeur fonctionne dans une osmose envoûtante pour le spectateur.
Envie de revoir cette production, avec la clé de lecture.
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