Joseph-Arthur, comte de Gobineau.
Nouvelles Asiatiques,édition G. Crés, 1924
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Un article de Raymond Lécuyer paru dans le journal parisien Le Gaulois du 22 août 1922 (p.4, dans la section En battant les buissons, notes d'un lecteur de revues).
"Dans une excellente étude qui a paru dans le Mercure de France, et dont il a été fait un tirage à part, M. Léon Deffoux dont les plus intéressantes précisions sur les Origines du Gobinisme en Allemagne, d'après la correspondance de Richard Wagner et de Mme Cosima Wagner avec le comte de Gobineau, laquelle est conservée à la Bibliothèque universitaire et régionale de Strasbourg.
C'est en novembre 1876, à Rome, que le comte de Gobineau rencontra Richard Wagner pour la première fois. L'écrivain français venait de faire un grand voyage à travers l'Europe avec l'Empereur du Brésil, Don Pedro II. A cette époque, Wagner, après avoir inauguré le théâtre de Bayreuth, se reposait à Rome.
Il semble .que cette première rencontre ait eu le caractère d'une visite de politesse et ne fut qu'un premier contact mais, quatre ans plus tard, Gobineau, qui s'était retiré en Italie, après sa mise à la retraite, rencontra Wagner à Venise. Cette fois, Gobineau parut se livrer et Wagner le découvrit. L'originalité de son partenaire lui fut révélée d'une façon curieuse. On parlait de Don Quichotte .Gobineau dit brusquement « Cervantès a commis là une mauvaise action » Et, devant Wagner, stupéfait, il continua à soutenir son paradoxe; il reprocha à Cervantes d'avoir fait rire aux dépens d'un homme de cœur et d'honneur. Le musicien se mit à lire avec passion les œuvres de ce causeur, qui venait de l'étonner si fort; il se trouva qu'elles embrassaient les problèmes qui, à cette époque, obsédaient la pensée du grand musicien il médita sur Gobineau et l'invita à Bayreuth, puis, par deux fois, à sa villa de Wahnfried aux printemps de 1881 et 1882.
Dès lors, et jusqu'à sa mort, Wagner éprouva pour Gobineau, son œuvre et sa personnalité, « l'enthousiasme le plus complet », enthousiasme qu'il fit partager à l'un de ses ardents admirateurs, le jeune professeur Ludwig Schemann. Gobineau mourut en.1882. Peu de temps auparavant, Schemann lui avait été présenté par Wagner, qui suivit dans la tombe, en 1883, l'écrivain français. « Le prestige de Wagner, l'enthousiasme de Schemann, son labeur persévérant », voilà, selon M. Deffoux, ce qui créa le gobinisme en Allemagne.
Schemann, dès 1883, travailla passionnément à la gloire de Gobineau, à la diffusion de 1'oeuvre de celui-ci, selon les directives wagnériennes, « sans aucune arrière-pensée de propagande politique », M. Deffoux insiste -sur ce point. Dix ans plus tard, il fondait la Société Gobineau, la Gobineau-Vereinigung.
Comment et dans quel sens se manifesta l'activité du professeur Schemann après la mort de Gobineau? Il décida de connaître à fond son nouveau Dieu. Il s'enquit auprès des familiers de Gobineau, auprès de la comtesse de La Tour, héritière des manuscrits, auprès de la famille du défunt, auprès des éditeurs. Les œuvres de Gobineau étaient tombées dans l'oubli; aucun éditeur n'était disposé à en faire des rééditions et les volumes non épuisés ne se vendaient pas. C'est alors que Schemann décida d'entreprendre des rééditions à ses frais, d"accord avec Mme de La Tour. La première manifestation de son activité fut l'édition d'une des œuvres de Gobineau que Wagner préférait, l'épopée d'un héros: Amadis, qui fut éditée chez Plon, à un nombre restreint d'exemplaires, en 1887. Quelques années plus tard, Mme de La Tour cédait les manuscrits et les droits il. la Société Gobineau, que Schemann fondait, en 1894, sous le patronage des wagnériens Ph. von Eulenburg et Hans von Wolzogen. Tous les wagnériens allemands et étrangers en firent partie parmi les membres français, on peut .citer Edouard Schuré, Paul Bourget, adhérents de la première heure, Albert Sorel, et bien d'autres. Dès lors, le mouvement gobiniste gagnait du terrain en Allemagne et commençait à attirer l'attention de quelques Français. André Hallays le signala, le 6 octobre 1899, dans le Journal des Débats. En 1898, Schemann traduisit L'Essai sur l'inégalité des races humaines et, peu après, il publiait en français, puis traduisait en allemand la tragédie Alexandre le Macédorien, qui était représentée à Weimar, en 1903.
En même temps, il entreprenait la traduction de La Renaissance, qui devait avoir en Allemagne un prodigieux succès, puisqu'à l'heure actuelle on compte de cet ouvrage plusieurs traductions et au moins cinq ou six éditions de luxe.
C'est donc bien un enthousiasme collectif des wagnériens fidèles à la pansée du maître qui poussa les Allemands, sous la direction de Schemann, à lire, vers 1882, l'œuvre de Gobineau, et, comme elle cômporte d'incontestables beautés, à l'apprécier.
Le gobinisme, essentiellement né du mysticisme wagnérien, a précédé en Allemagne, affirme M. Léon Deffoux, l'idée de tirer parti de la pensée de Gobineau pour des fins politiques. Si l'on examine « l'œuvre des premiers gobinistes allemands » depuis la guerre, on est bien tenté de donner cause gagnée à M. Deffoux.
La Société internationale a été dissoute en 1919 son président Schemann a rendu ses droits à la famille Gobineau, pour permettre les rééditions en France; il s'occupe dans son seul pays de la gloire de Gobineau; il s'en occupe avec ardeur, fidèle à la mission que lui confia le maître de Bayreuth."
Raymond Lécuyer
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