Maurice Kufferath (1852-1919) cite ce grand poème où Richard Wagner exprime sa reconnaissance infinie au Roi Louis II de Bavière dans son ouvrage Le théâtre de R. Wagner : de Tannhaeuser à Parsifal : essais de critique littéraire, esthétique et musicale paru à la fois chez Schott frères (Bruxelles), Fischbacher (Paris) et Otto Junne (Leipzig).
Voici ce poème précédé du texte qui l'introduit::
"[...]le jeune roi après son avènement (1), s'adressait à l'incomparable poète que le monde repoussait, qu'un autre roi avait, pendant douze années, banni de ses Etats, qui, — dernière et suprême humiliation du sort, — venait de quitter précipitamment Vienne pour fuir les recors et échapper à ses créanciers.
Il écrivait lui-même, quelques jours plus tard, à la comtesse Mouchanow :
Ma destinée vient de prendre une tournure inespérée, merveilleusement belle. J'étais à deux doigts de l'anéantissement; toutes mes tentatives dans l'espoir d'aboutir avaient avorté ; la plus singulière, la plus implacable fatalité avait rendu vaines toutes mes démarches; j'étais résolu à me retirer dans un asile, à tout jamais, de renoncer pour toujours à toute entreprise artistique... Que vous dire? L'invraisemblable est devenu la réalité, je suis libéré, je n'ai plus d'autre souci que celui d'achever mes oeuvres, de créer, de terminer! J'ai repris mes Nibelungen, tout à fait selon mon ancien plan.
Et il disait encore, en 1872, dans le rapport final sur les circonstances qui ont entouré la composition de l'A nneau du Nibelung Aucune parole ne peut dire l'émouvante grandeur du moment où l'appel d'un roi retentit dans ma vie. Car c'était vraiment un roi qui me tirait du chaos et me criait : Arrive! Achève ton oeuvre ! Je le veux!
Wagner a poétiquement exprimé ses sentiments de reconnaissance au jeune monarque, au rédempteur:
O Roi! noble protecteur de ma vie,
Suprême refuge de la souveraine bonté,
Maintenant, arrivé au but, je lutte
Pour trouver le mot digne de tes bienfaits :
En vain j'interroge écrits et paroles
Et cependant je ne puis laisser
De chercher le mot qui dise
La gratitude que mon coeur porte vers toi.
Ce que tu fus pour moi, seul, je puis le mesurer
En me souvenant de ce que j'étais sans toi.
Nulle étoile ne m'apparaissait qu'elle ne pâlît aussitôt.
Pas une espérance qui ne m'eût trompé.
Abandonné par le hasard au caprice du monde.
J'allais, livré au jeu cruel du sort.
Ce qui, en moi, aspirait à l'oeuvre libre de l'art
Se voyait donné en pâture à la vulgarité.
Celui qui fit jadis refleurir
Le bâton desséché du pèlerin (2)
En m'enlevant tout espoir de rédemption.
En me privant des ultimes consolations.
Fortifia du moins la foi
En moi-même que je portais dans mon âme.
Et parce que je vouai ma fidélité à cette foi,
Aujourd'hui le bâton du pèlerin s'orne d'une nouvelle verdure.
Car ce qu'en mon âme je devais garder secrètement
Faisait battre encore une autre poitrine ;
Ce qui remuait profondément le coeur meurtri de l'homme
Remplissait d'une joie sainte un coeur d'adolescent :
Et ce qui menait avec une aspiration printanière
Cette âme au même but, consciemment inconscient.
Se répand aujourd'hui comme des effluves de renouveau
Et reverdit la mutuelle croyance.
Tu es le doux printemps qui m'a refleuri,
Qui a rajeuni la sève de l'arbre et des branches;
C'est ta voix qui m'arracha à la nuit
Où mes forces impuissantes se glaçaient.
Ainsi reconforté par ton salut béni,
Arraché à la douleur par sa violence bienfaisante,
J'erre fièrement aujourd'hui, par des routes nouvelles.
Dans le royaume ensoleillé de la grâce.
Cette belle pièce de vers a paru en tête de la grande édition pour piano et chant de la Walkyrie. La partition d'orchestre ne parut qu'en 1874, chez les fils de B. Schott, en même temps que celle des autres parties de l'Anneau.
(1) II succédant à son père, Maximilien II, était monté sur le trône le 10 mars 1864.
(2) Allusion à la légende de Tannhäuser dont le bâton de pèlerin refleurit grâce à la prière d'Elisabeth.[...]"
Source du texte: Maurice Kufferath, Le théâtre de R. Wagner : de Tannhaeuser à Parsifal : essais de critique littéraire, esthétique et musicale, La Walkyrie, 2e édition, Otto Junne, Leipzig, 1893, pp. 67 à 70.
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