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jeudi 8 septembre 2016

Opera incognita monte Rienzi de Wagner sur les bancs de l´Université de Munich

Anton Klotzner (Rienzi) et les choeurs

Wagner n´a que 29 ans lorsqu´il monte son troisième opéra achevé. Rienzi, le dernier de ses opéras de jeunesse, a connu sa première en octobre 1842 au Théâtre de la cour royale de Saxe à Dresde. Et c´est dans le grand amphithéâtre de l´Université de Munich que le jeune et génial metteur en scène Andreas Wiedermann et son non moins génial complice musical Ernst Bartmann ont décidé de le monter avec la troupe d´Opera incognita, et de le rajeunir en organisant un grand spectacle totalement jouissif et des plus amusant. Un opéra de jeunesse, avec une troupe et des chanteurs jeunes eux aussi, dans ce temple de la formation des jeunes adultes, il n´y a que Bartmann et Wiedermann pour avoir une idée pareille à Munich et l´on se demande à quelle source miraculeuse les deux compères vont puiser chaque année l´idée insolite d´un lieu inhabituel et nouveau pour monter leurs productions. Rappelons qu´Opera incognita revient chaque année à Munich fin août début septembre présenter un opéra dans un lieu décoiffant: un passage souterrain quasi désaffecté pour Orphée et Eurydice, un bain public Jugendstil pour Le tour d´écrou où les chanteurs chantent dans la piscine, le Cirque Krone pour la Clemenza di Tito. Le choix du lieu n´est jamais innocent et toujours en rapport avec l´action.

Quand on pénètre dans l´amphi, on est accueilli par un tableau noir (qui est vert aujourd´hui) où se trouvent encore les graphiques et les équations d´intégrales du dernier cours de math. Tout le matos d´enseignement, projecteur et rétro-projecteur, est installé comme de coutume. Les six premières rangées sont laissées vides. Au fond gauche  de l´amphithéâtre se trouve le podium qui va accueillir les 12 instrumentistes de l´orchestre de chambre d´Opera incognita. On s´assied sur des sièges aussi inconfortables qu´à Bayreuth. Sur les tablettes, on a placé pour chaque spectateur une carte de couleur bleue et une autre de couleur orangée et un stylo-bille offert le par Cercle d´amis d´Opera incognita (Freundeskreis Opera incognita e.V.). Les étudiants d´un cours de Sciences Po viennent bientôt remplir les premières rangées tandis deux d´entre eux effacent le tableau. Tandis que l´orchestre entame la célèbre ouverture, le prof de sociologie politique (Torsten Petsch) entame avec ses étudiants un débat mimé et muet dont les répliques apparaissent en surtitre sur le mur au-dessus du tableau. Le thème du débat est inscrit au tableau: démocratie ou démagogie? Et le débat de s´engager sur l´évolution de l´Union europénne contemporaine: est-ce que le coeur de l´Europe bat à droite? Le cours du prof retrace les débuts de l´Union, avec la CECA, les six pays fondateurs, etc. Des avis contradictoires fusent, parfois désabusés, parfois tranchés. Le prof indique que des librettistes d´opéras se sont emparés du sujet et compare la situation européenne actuelle avec celle de la Rome du 14ème siècle, et introduit l´opéra de Wagner, Rienzi. Il invite ses étudiants à un grand jeu de rôle de mise en situation et désigne l´étudiant Anton Klotzner pour interpréter Rienzi. 

Tout au long de l´opéra les choeurs et les chanteurs interpréteront en alternance d´une part les étudiants d´autre part les partisans des factions nobiliaires et le peuple romain, la bonne trentaine de choristes jouant à la fois le clan des nobles et le peuple. Le professeur, Torsten Petsch, qui se trouve d´ailleurs être vrai prof d´unif et chanteur d´opéra, interprète à la fois le prof de Sciences-Po et Orsini. Grâce à la gestuelle, aux mimiques et à la projection du texte, le public s´y retrouve facilement. Le concept scénique d´Andreas Wiedermann s´inscrit dans la ligne du travail de Fernando Arrabal: la séparation entre salle et scène est supprimée, le public fait partie de l´auditoire et est placé dans une situation d´inconfort (trois heures sur des sièges bayreuthiens rabattables en bois). Au moment crucial où le peuple romain crie vengeance et exige la mort des nobles insurgés. Rienzi, infléchi par sa soeur et par son amoureux Adriano, tente de renverser la situation par un jeu de corruption. Le tribun, de démocrate est devenu démagogue et achète les votes du peuple par des cadeaux, ici une distribution de boules de gommes sucrées. Le peuple romain vote à carton levé et incite également le public à utiliser ses cartons pour trancher le sort des conjurés. La démagogie finit par l´emporter et les nobles sont graciés.

Sur le mur de scène sont projetées des images ou des films évoquant les grands dictateurs des 20ème et 21ème siècles: Wiedermann ne se borne pas à l´habituelle évocation d´Hitler, dont on connaît les affinités particulières avec le personnage de Rienzi, l´image d´Hitler se mêle à celles des dictateurs nord-coréens et de toute une série d´autres potentats, de Mao-Tsé-Toung à Erdogan en passant par Staline et même Chuchill et de Gaulle. Les dirigeants contemporains plus démocrates mais comme Rienzi parfois aussi enclins à la démagogie et à l´ivresse du pouvoir ne sont pas oubliés, Poutine, Obama ou les célèbres mains formant  triangle de la Chancelière Merkel. Des extraits de film montrent le bonheur et la bonne santé supposés des peuples qui soutiennent les démagogues: jeunesses communistes d´Europe ou d´Asie, jeunesses hitlériennes enthousiastes, et les chorégraphies des immenses masses disciplinées de soldats, signes du prestige des régimes évoqués. Le propos de Rienzi est ainsi universalisé et bien en phase avec le thème du cours de sociologie.

Des choeurs combatifs

Les projections d´images et de films sont conçues de manière à reproduire le rythme de la musique, ce qui ne rend pas aisé le travail du chef d´orchestre Ernst Bartmann, et de ses remarquables musiciens, tous très applaudis, qui doit coordonner du fond de la salle le travail des choeurs, des chanteurs et de l´orchestre et de plus arriver à synchroniser les plus adéquatement possible la musique avec les projections visuelles de Jürgen Bergbauer. Chapeau bas devant le travail de Bartmann, qui est pendant trois heures à l´eau et au moulin et qui réussit avec brio ce tour de force. C´est à une fête des sens qu´on participe, à laquelle il faut encore ajouter les ensembles chorégraphiés des choeurs et des personnages avec des farandoles en chenilles, des ensembles mimés, des protagonistes qui se risquent à monter sur les sièges et les tablettes hémicirculaires. Avec aussi le côté potache sympathique des bonnets pointus en papier et des avions du même matériau pour signifier la liesse populaire, des jets de boules en papier pour la lapidation finale de Rienzi ou des cadavres d´Orsini et Colonna qui viennent se coucher sur les tablettes pour figurer leurs morts. Amusant aussi de voir les morts tombés au combat similairement couchés chanter leur partie dans les choeurs. Amusante mais sinistre que cette image finale de Rienzi qui déverse du fumier sur une maquette du palais du Reichstag. 

Caroline Ritter en Adriano
La grand auditorium de l´Université jouit étonnamment d´une bonne acoustique et le public est comme pris dans un cocon sonore. Les choeurs pour la plupart amateurs donnent le meilleur d´eux-mêmes, et se montrent exceptionnels surtout dans la première partie du spectacle, avec un jeu de scène bien coordonné et un enthousiasme des plus communicatif. L´absence de séparation les rendent encore plus présents. Cette proximité, ce côtoiement créent aussi une complicité admirative avec le jeu des chanteuses et des chanteurs dont on peut observer en détail le travail vocal. Fascinant!  Anton Klotzner dépense une énergie incroyable dans son interprétation de Rienzi auquel il apporte l´impétuosité de la jeunesse, avec un beau ténor dramatique qui a su garder les profondeurs du baryton qu´il fut en début de carrière. Le Colonna de Martin Summer est lui aussi remarquable, un baryton-basse qu´on a pu déjà plusieurs fois apprécier à Munich dans diverses productions d´Opera incognita.  Torsten Petsch, le Stankar du Stiffelio de l´an dernier, est aussi convaincant en professeur qu´en Orsini. La jeune et ravissante Tanja Christine Kuhn enchante par un soprano puissant jusque dans l´aigu. Elle vient de faire ses débuts à l´Opéra d´Hanovre et a cette année chanté une fille-fleur dans le Parsifal pour enfants du festival de Bayreuth. Inver Torill Narvesen donne, côté petits rôles, un messager de la paix aux aigus clairs, Last but not least, Ernst Bartmann et Andreas Wiedermann ont décidé de transformer Adriano en une jeune lesbienne un peu butch et de confier le rôle à une jeune mezzo, Caroline Ritter, qui a envoûté le public par son chant précis, les qualités de sa prononciation, de son phrasé et de sa projection d´une voix dotée de belles profondeurs. La contextualisation contemporaine de Rienzi permet l´introduction de ce couple lesbien, et les supplications d´Adriano pour sauver la vie de son père en sortent d´autant plus émouvantes. Caroline Ritter été très applaudie pour une interprétation tant scénique que vocale des plus intense. 

Standig ovation pour cette nouvelle production d´Opera incognita. 
Il reste quelques places pour demain soir, vendredi 9 septembre 

Réservations au 089 54 81 81 81

Crédit photographique: David Lörinci

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