Claire Lefilliâtre, Friederike Heumann à la viole de gambe et Fred Jacobs au théorbe nous ont invité a découvrir les moeurs des salons littéraires du 17ème siècle, ces lieux privilégiés où de grandes dames accueillaient aristocrates, mondains et amateurs de beaux-arts pour le plaisir de la conversation, des lectures publiques, des concerts et de la bonne chère. Le bel esprit y règnait en maître et les divertissements détaillaient de manière exquise la palette des sentiments amoureux à qui l´on voulait donner la préséance sur l´ancienne paillardise. La plupart des chansons et de textes choisis par Claire Lefilliâtre nous invitent au voyage sur la Carte du Tendre. Du fleuve de l´inclination au lac d´indifférence il n´y qu´un pas que les belles courtisées franchissent trop souvent au gré des amoureux qui n´ont plus d´autre ressource que de chanter pudiquement leur peine . Et même si l´on a pu accéder au village de Nouvelle-Amitié, il y a un long chemin à parcourir pour accéder à celui de Tendre-Estime.
Claire Lefilliâtre, maîtresse baroque des lieux, nous invite à la découverte d´autant de petites pièces de musique plus délicieuses les unes que les autres qu´elle égrène comme les perles d´un collier au lustre nacré, avec un répertoire de chansons qui va d´Etienne Moulinié à François Couperin, de la Cour de Gaston d´Orléans aux aurores de celle de Louis XV, en passant par Michel Lambert, Sébastien Le Camus et Marc-Antoine Charpentier. Claire Lefilliâtre est surtout la maîtresse des lignes mélodiques ornementées qui, soulignées par l´accompagnement du théorbe et de la viole de gambe, figurent de manière très expressive le texte. Elle nous offre le plaisir rare d´une articulation parfaitement soignée du texte et de sa musique. Elle nous offre également la jouissance intellectuelle que procure une restitution exacte de la prononciation du français du 17ème siècle, avec ses consonnes finales souvent prononcées, ses voyelles nasales encore chantées un peu à la manière du provençal, ou avec ses diphtongues en évolution comme le oi prononcé wè avant de devenir la wa que nous connaissons. La souplesse et l´agilité de sa voix n´ont d´égale que cette espèce de douceur infinie et de tendresse intime qui se dégage de son interprétation de textes dont elle nous offre le parfum quintessencié. Côté récitation, Claire Lefilliâtre nous partage deux grands textes du coeur classique de la littérature du Grand Siècle, un extrait de la Psyché de Corneille, "À peine je vous vois" et cette terrible fable de La Fontaine où la Folie qui vient de faire perdre la vue à l´Amour, se voit condamnée par les dieux courroucés à lui servir à jamais de guide. Cette fable est comme une mise en abyme de notre concert baroque, tant les tourments de l´Amour qui nous rend si souvent aveugles et insensés y sont évoqués.
Claire Lefilliâtre |
La soirée est rythmée par le chant et le concert des deux éminents instrumentistes qui donnent des démonstrations magiques, aussi précises que virtuoses, de leur art. Du tout grand art, avec, entre autres, l´interprétation magistrale par Fred Jacobs, un des plus grands maîtres actuels du Théorbe, d´oeuvres de Robert de Visée, et d´étourdissantes pièces pour viole de Marin Marais par une Friederike Heumann dont le calme apparent lors de l´accompagnement laisse ici place à une frénésie d´exécution qui entraîne le public vers l´ extase musicale.
Ces trois grands musiciens nous ont en clôture de ce beau concert offert en encore une aria du Bourgeois gentilhomme de Lully, avant que nous quittions les lieux en emportant au fond des coeurs un peu de la douceur qu´ils nous ont offerte.
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