Alors qu´une grande exposition rétrospective consacrée à Jürgen Rose vient de fermer ses portes au au Deutsches Theatermuseum de Munich, le Bayerische Staatsoper nous offre l´occasion de revoir deux de ses productions, en novembre le Werther de Massenet qu´il avait monté en 2006 et, en décembre, la Flûte enchantée de Mozart. Comme souvent, le metteur en scène munichois d´adoption s´est chargé de toutes les composantes scéniques du spectacle, en concevant les moindres détails des décors, des costumes et des éclairages, avec pour effet une grande cohérence du propos théâtral.
Par nombre de ses options, Jürgen Rose prend l´exacte mesure du romantisme du personnage .en reflétant bien l´esprit du roman épistolaire de Goethe. Pendant l´ouverture, on a le loisir d´examiner le rideau d´avant-scène à l´allemande couvert des écrits de Werther qui s´organisent en cercles concentriques autour de la mention d`Ossian, le poète favori du jeune homme, et qui font mention des principaux thèmes du roman, la nature et l´amour mélancolique. Derrière le rideau on entrevoit par transparence Werther installé à un bureau, écrivant juché sur un rocher. Jürgen Rose fait un usage multiple du symbolisme du rocher, objet insolite au milieu d´une scène au décor évoquant la vie simple d´une bourgeoisie campagnarde: le rocher isole le héros romantique mélancolique et perpétuellement insatisfait qui s´y retire comme au sommet une tour d´ivoire ou préfigure une roche tarpéienne, un lieu d´auto-exécution. Peut-être aussi un rocher à la Sisyphe, représentation de la psyché d´un homme torturé, obsédé par une idée fixe qu´il pousse continuellement par devant soi sans parvenir à la faire aboutir et qui le conduira au suicide. Avec ce rocher central et incongru, Jürgen Rose met l´isolement de Werther au coeur de la mise en scène. Ce centre qui est aussi le lieu de l´écriture vient s´éclabousser en gribouillages sur les parois et le plafond d´un grand caisson de scène, qui dénotent l´univers mental du protagoniste. Le rocher est aussi le centre du plateau tournant support de la vie simple et tranquille d´une société vertueuse où l´on s´adonne à la répétition, en plein mois de juillet, des cantiques de Noël, à la célébration du bon vin ou aux festivités qui honorent le vieux couple du pasteur. Au symbolisme du rocher vient s´ajouter celui de l´utilisation des lumières, éclatantes ou assombries au gré des humeurs des personnages.
Cette conception globale aurait pu transmettre la substantifique moelle du propos goethien, avec un excellent travail d´interprétation thématique; elle achoppe cependant sur un hiatus de taille , celui de la transposition de l´action dans les années 30 ou 40 du siècle dernier. L´impossibilté de concrétiser un amour en butte aux contraintes morales et sociales, qui à l´époque de la société du Sturm und Drang est historiquement compréhensible, et que l´on peut encore comprendre au temps de Massenet, où l´on a tout au moins encore la culture de ce qu´on a pu appeler la fièvre de Werther ou, en France, des solitudes lamartiniennes, n´a pas passé le cap de la première guerre mondiale, qui a vu l´effondrement des valeurs traditionnelles. On est en droit de s´interroger sur l´opportunité de ce changement d´époque qui ne semble rien apporter au propos, mais au contraire le déforce par son inadéquation sociétale et qui diminue l´impact du travail dramatique. Peut-être Jürgen Rose, en situant l´action au 20 siècle, a-t-il voulu signifier l´intemporalité du drame de Werther, un drame qui nous semble tout au contraire entièrement inscrit dans un contexte socio-historique très précis.
Angela Brower (Charlotte) et le choeur d´enfants du BSO. |
La reprise de ce mois de novembre est confiée à la baguette d´Asher Fisch qui donne une interprétation mélodique inspirée de la musique de Massenet, en en soulignant l´intensité dramatique. Le chef sait aussi apaiser l´orchestre pour ménager les chanteurs, notamment Angela Brower qui, pour sa prise de rôle, donne une Charlotte plutot insipide et sans corps, avec un soprano décevant, d´autant que le Werther de Matthew Polenzani (-dans la seconde distribution, lors des deux premières soirées le rôle-titre a été chanté Par Rolando Villazón-) est de toute beauté avec une pureté du son, un phrasé remarquable, une diction française impeccable, un legato d´une grande musicalité et des facilités dans l´aigu. Un rôle qui lui va comme un gant. Il donne un superbe "Rêve! Extase! Bonheur!" et son "Pourquoi me réveiller" est d´abord délicatement nuancé pour se terminer en pleine puissance. En l´absence d´une Charlotte crédible, son véritable interlocuteur est alors Michael Nagy qui rend le personnage d´Albert plutôt sympathique avec la chaleur de son baryton élégant et séduisant. Hannah-Elisabeth Müller donne quant à elle une Sophie d´une naïveté ingénue et fort touchante. Enfin le choeur d´enfants de l´Opéra d´Etat de Bavière, un choeur auquel Massenet a donné une place centrale tout au long de l´opéra, apporte une note aussi charmante que sereine en opposition avec le désespoir morbide de Werther.
Crédit photographique Wilfried Hösl
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