Alors que Richard Strauss fait partie du panthéon des musiciens munichois, sa ville de naissance, son ballet Schlagobers n'y avait jamais été dansé depuis sa création viennoise en 1924. Il a donc fallu attendre 90 années pour que ce ballet emprunte la route qui va de Vienne à Munich, et, ultime ironie, ce sont deux Autrichiens qui l'y ont amené, le Superintendant du Theater-am-Gärtnerplatz, Joseph Köpplinger, et son chorégraphe Karl Alfred Schreiner. Le ballet se donne à la Reithalle, la grande salle de l'ancien manège.
L'orchestre a été placé surélevé d'un étage en fond de scène, il est éclairé de trois lustres de critsal qui rappellent peut-être l'éclairage des élégants salons de thé viennois où les nantis venaient se régaler de pâtisseries et autres gourmandises. Un grand orchestre dirigé avec la légèreté amusée qui convient à ce morceau par Marco Comin. Et c'est déjà une des grandes découvertes de cette production de pouvoir découvrir cette musique de Strauss rarement exécutée. Un Strauss joyeux qui fait la nique à la morosité d'après-guerre avec ses rythmes de valses, de mazurkas et de polkas traduits dans le génie de son langage propre. On reconnaît dans cette musique "beaucoup de talent, un matériel intéressant, de curieuses trouvailles de rythmes et d'harmonies, un assortiment d'étoffes fines, moelleuses et brillantes, un papillotage de couleurs, une dépense continuelle d'invention et d'esprit."*. Aux 'étoffes' de Romain Rolland, on devrait dans le cas de Schlagobers parler d'un assortissement de saveurs fines. le travail de l'orchestre et de son directeur est un des plaisirs gourmands de la soirée.
Si Schlagobers n'avait jamais été monté, c'est peut-être que l'entreprise s'avère difficile. S'il s'agit d'un ballet narratif dont on peut imaginer l'histoire facilement représentable par la danse, l'expression corporelle et le mime, son essence l'est sans doute moins. C'est que sous le récit rudimentaire d'un enfant qui se gorge de sucreries au point de devoir être emmené à l'hôpital, il s'agit de communiquer un mélange de goûts et des saveurs, et c'est à cet exercice périlleux que se sont essayés le chorégraphe et ses danseurs. Comment danser l'art pâtissier et son alchimie de saveurs? Pour y parvenir, Karl Alfred Schneidera fait partiellement l'impasse sur une représentation pâtissière traditionnelle où l'on verrait par exemple des chefs pâtissiers à toques blanches habillés en gâteaux, et semble avoir opté pour une réflexion plus conceptuelle, avec un travail d'associations d'idées qui ne sont pas nécessairement faciles à suivre, si on ne connaît pas au préalable le livret et qu'on n'a pas l'esprit freudien.
La scène est quasi nue au départ du ballet, un simple muret l'encadre sur trois côtés, l'avant-scène restant libre. Sur la scène, un grand parallélépipède surmonté d'une rose figure un énorme gâteau avec sa décoration de massepain. A l'étage, devant l'orchestre, quelques tables rondes et quelques chaises font office de salon de dégustation. La tante (Marta Jaén) emmène son neveu (Javier Ubell), en culottes courtes à bretelles, au salon de thé. Le livret initial décrit comme point du départ du ballet l'expédition d'un groupe d’enfants, candidats à la Confirmation, se rendant sur le Prater où leurs parrains leur offrent une promenade en fiacre. Leur excursion se termine dans la boutique d’un pâtissier où les enfants sont autorisés à se gaver de gâteaux à la crème. La réduction à deux personnages reste fort parallèle à l'action du libretto, et la personnalise davantage, ce qui se révèle efficace. Les décors de Kaspar Glarner et Marco Brehme sont essentiellement constitués de parallélépipèdes mobiles géants, aux dessus glacés, et dont les côtés évoquent les couches de bavarois (chocolat, moka, pistaches et fruits divers). Les danseurs s'y pourront ou alanguir. Les danseurs de massepain, de brioche ou de pain d'épice sont costumés en grooms aux uniformes parme ou bordeau et en serviteurs de grands hôtels, les danseuses ont des robes assorties aux tenues des grooms. On peut supposer qu'on a voulu là représenter la panoplie des goûts et des saveurs qui entrent dans la composition des délices pâtissiers. Karl Alfred Schreiner crée de beaux ensembles de quatre ou cinq danseurs qui s'agrippent les uns les autres pour former des ensembles qui se meuvent en des mouvements à l'harmonie disloquée qui expriment peut-être les combinaisons des saveurs, ou, lorsque ces groupes enserrent le neveu, l'action de ces aliments trop riches sur le corps trop avide de l'enfant. On ne reconnaît pas toujours les personnages voulus par Strauss, mais l'atmosphère générale d'une pâtisserie ensorcelée dont les gâteaux se sont animés est bien rendue, ainsi que la détérioration de l'état de santé de l'enfant de plus en plus intoxiqué par l'absorption massive de sucreries. On vit de beaux moments de danse et de pantomime, comme cette danse des pralines dans leurs coupelles de papier d'où sortent des danseuses pralinées qui suggèrent parfois la complexité de leurs compositions par des caresses érotiques, sans doute les premières pralines lesbiennes de l'histoire de la danse. La fin du premier acte est de plus en plus chaotique, les grands gâteaux rectangulaires, les biscuits surdimensionnés et les danseurs s'entrechoquent pour le final de cette catastrophe gastronomique programmée. L'enfant est malade d'indigestion et doit être transporté à l'hôpital.
A cette première partie de plus en plus animée succède une seconde partie plus calme et analytique, avec une chorégraphie souvent plus statique. On est transposé en milieu hospitalier, avec ses grandes lampes à réflecteurs blanches et son personnel médical qui communique anamnèse et diagnostic par le truchement de gestes saccadés. L'enfant passera par les délires de la maladie et développe d'étranges visions de dédoublement avec des effets miroirs puis de démultiplication. La scène se peuple alors de danseurs dont les vêtements et les coiffures reproduisent ceux de l'enfant. La tante se transforme en une figure léonine à la coiffure en forme d'énorme crinière. Au final, des machines placées sur le muret du fond de scène vomissent des flots de mousse qui envahissent progressivement tout le carré de la scène, et le spectacle se termine par une gigantesque mousse-partie. Des danseurs tout de blanc vêtus et l'enfant plongent, se vautrent et disparaissent dans les flots blancs d'une immense chantilly. Un couple de peut-être mariés exécutent un pas de valse sur les bords du muret qui encadre un océan de crème fouettée, l'autrichienne Schlagobers.
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Agenda
A cette première partie de plus en plus animée succède une seconde partie plus calme et analytique, avec une chorégraphie souvent plus statique. On est transposé en milieu hospitalier, avec ses grandes lampes à réflecteurs blanches et son personnel médical qui communique anamnèse et diagnostic par le truchement de gestes saccadés. L'enfant passera par les délires de la maladie et développe d'étranges visions de dédoublement avec des effets miroirs puis de démultiplication. La scène se peuple alors de danseurs dont les vêtements et les coiffures reproduisent ceux de l'enfant. La tante se transforme en une figure léonine à la coiffure en forme d'énorme crinière. Au final, des machines placées sur le muret du fond de scène vomissent des flots de mousse qui envahissent progressivement tout le carré de la scène, et le spectacle se termine par une gigantesque mousse-partie. Des danseurs tout de blanc vêtus et l'enfant plongent, se vautrent et disparaissent dans les flots blancs d'une immense chantilly. Un couple de peut-être mariés exécutent un pas de valse sur les bords du muret qui encadre un océan de crème fouettée, l'autrichienne Schlagobers.
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Représentations les 14, 16, 17, 19, 20 et 21 décembre. Réservations en ligne: cliquer ici, puis sur la date souhaitée.
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Crédit photographique: Marie-Laure Briane
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