L'ancien manège de Munich , la Reithalle, a été converti en salle polyvalente de spectacles, que les compagnies réaménagent au gré de leurs spectacles. Pour ce court opéra de Boris Blacher, le Bayerische Staatsoper a choisi de laisser la halle entière nue, les spectateurs étant libres de circuler pendant toute la durée du spectacle, de rester debout ou de s'installer où bon leur semble. Il y a quelques bancs le long des murs et des coussins en nombre suffisant sont à disposition. On peut s'asseoir ou se coucher par terre.
On entre dans la grande salle et on a d'abord l'attention attirée par 9 grands écrans à double face suspendus sur lesquels sont projetées des vidéos du réalisateur hollandais Aernout Mik. Il s'agit de 7 installations vidéos que l'artiste a produites entre 2001 et 2013. Ce sont des vidéos muettes sans récit véritable, des personnages semblent pris dans le flux d'actions qui se répètent comme en boucle sans que l'on en sache ni les tenants ni les aboutissants. Le groupe semble constamment prédominer sur l'individu. Le message est diffus, répété et obsédant. Les comportements sont collectifs. Sans qu'on puisse donner d'interprétation précise à ce que l'on voit, ces amas de personnes ou d'objets évoquent la violence, l'agression, la léthargie, le contrôle social, des rituels de groupe. Comme aucun objectif ne semble défini, comme on ne voit pas où cela mène, cela donne une impression de vie absurde, de manque de sens et de motivation. En cela, ces vidéos peuvent bien coller avec ce petit opéra que Boris Blacher a composé dans l'immédiat après-guerre dans un pays en pleine déserrance.
A l'une des extrémités de la halle, sous les écrans, se trouve un podium carré de 10 mètres de côté et de la hauteur d'une marche. Une dizaine de musiciens, neuf choristes et les 4 solistes viendront y prendre place. Le podium est mobile et évoluera lentement d'un côté de la halle vers l'autre. Le spectacle dure environ 1 heure et dix minutes, le podium parcoura la salle et fera un aller-retour vers son point de départ. Le public est libre de le suivre, de s'en approcher au plus près ou d'en rester éloigné. Dans la salle, des figurants sont mêlés au public et se comportent un peu comme les personnages que l'on voit évoluer dans les vidéos, sans violence ni agression cependant.
Une fois que la musique commence, l'attention du public se déplace bien sûr vers le podium. Une voix off, hélas avec beaucoup trop d'écho, met en place le récit qui va être interprété. L'action se déroule ur un banc de sable près de l'épave d'un vieux voilier échoué. Aujourd'hui ou hier. Un petit groupe de touristes qui s'est approché de l'épave échouée sur le banc de sable à marée basse est pris par la marée. Le banquier (voix de basse), qui est immensément riche, persuade le jeune homme (ténor) de nager jusqu'à la rive pour y obtenir de l'aide, en lui promettant une grande fortune. La jeune fille (soprano) veut se livrer à une mort romantique dans les bras du pêcheur (baryton). Mais l'eau disparaît aussi vite qu'elle est venue. Le jeune homme, grisé par la vue de l'argent, tue le banquier; la jeune fille quitte le pêcheur et suit le jeune homme qui est à présent riche. Le pêcheur reste dans ses rêveries amoureuses.
Tim Kuypers (Le pêcheur), Iulia Maria Dan (La jeune fille), Dean Power (Le jeune homme), Miklós Sebestyén (Le banquier) |
Le public est captivé (rendu captif) par la mise en scène, un peu comme les personnages des vidéos, captifs des groupes et des actions répétées. Et puis vient la musique et le chant. L'orchestre de chambre est dirigé par Oksana Lyniv, l'assistante du Maestro Kirill Petrenko, dont elle partage la rigueur et la précision extrêmes dans la direction musicale. Elle donne une interprétation très intellectualisée de l'oeuvre. Pendant la première demi-heure c'est fascinant de suivre le podium pas à pas et de jouir d'une proximité inédite avec les musiciens et les chanteurs. Cela évoque les scènes de théâtre du 17ème siècle avec ces spectateurs privilégiés qui avaient leurs fauteuils sur scène. Pouvoir se trouver à moins d'un mètre d'un chanteur est une expérience unique et inouïe. Leur travail et les qualités de leurs voix et de leurs interprétations sont tout simplement confondantes. Trois de ces chanteurs remarquables sont passés par l'Opéra Studio de Munich: Iulia Maria Dan (la jeune fille), Dean Power (le jeune homme) et Tim Kuypers (le pêcheur). Le hongrois Miklos Sebestyen (banquier) fait quant à lui ses débuts à l'Opéra d'Etat de Bavière.
Un bémol cependant, et de taille. Alors que le podium a parcouru toute la salle, l'exécution de l'opéra est terminée. Un moment de silence, puis le podium repart dans l'autre sens et l'opéra est rejoué une seconde fois à l'identique. On comprend bien l'intention de la mise en scène au regard du contenu des projections vidéo: tout se répète, tout repart en boucle, on est dans l'esprit désespérant du mythe de Sisyphe. Le travail des musiciens, des choristes et des solistes est certes admirable et mérité d'être réécouté. Mais d'autres options étaient possibles. Tant qu'à découvrir la musique peu jouée de Boris Blacher, l'option de présenter un autre opéra court du compositeur comme son Ariadne ou son Abstrakte Oper aurait elle aussi tenu la route. Cela s'est fait à l'Opéra comique de Berlin en 2010, où les trois opéras courts de Blacher étaient joués en une soirée.
Die Flut se joue encore ce soir à la Reithalle de Munich. Places restantes (28 euros, 10 pour les étudiants)
Crédit photographique: Wilfried Hösl
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire