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mercredi 25 juin 2014

Le Kabaret de Warlikowski décoiffe


L'Opéra d'Etat de Bavière propose dans le cadre de son festival d'été (Münchner Opernfestspiele) de faire l'expérience du Cabaret varsovien (Kabaret Warszawski) de Krysztof  Warlikowski, une production présentée pour trois soirées à la Reithalle de Munich.

Même si ce Kabaret est parfois chanté, il n'appartient pas au genre de l'opéra. Il s'agit d'un spectacle total de théâtre, de musique et de danse avec des projections vidéos parfois simultanées. Et s'il est présenté dans le cadre du festival d'opéra, c'est sans doute dû au fait que Krystoff Warlikowki est un des metteurs en scène vedette de la maison.


Même s'il y a des superpositions, le spectacle se déroule en deux temps et sur deux époques: la fin des années 20 de l'Adieu à Berlin et le début du 21ème siècle de Shortbus. Quatre heures et demi d'un spectacle déjanté où, si l'on retrouve bien l'action et l'inspiration des deux oeuvres, on trouve aussi et surtout la signature de Warlikowski et de la troupe du Nowy Teatr Warszawa qui les portent à un degré d'exaspération parfois quasi insoutenable, violent et extrêmement dérangeant, encore amplifié par la longueur du spectacke.

C'est que la distance littéraire ou cinématographique, c'est que le charme des chansons de la comédie musicale ont disparu pour faire place à du théâtre d'intégration. A la Reithalle, il n'y a pas de feux de la rampe entre le public et les acteurs, on est en prise directe et on se sent très vite participer à l'action . Les effets du jeu théâtral évoquent très vite ceux d' Antonin Artaud ou d'Arrabal, la violence, la nudité, le sexe sur scène, les scènes sado-masochistes, les coups donnés ou reçus, les viols rappellent l'actionnisme viennois. 

Jacqueline Bonbon pleure le départ de son Juif aimé
Dans la première partie on retrouve Sally Bowles et Christopher Isherwood, les cabarets berlinois et la montée du nazisme. L'aspect historique du récit permet encore une certaine distance, mais les images fortes et rapides de Warlikowski la réduisent rapidement. Un décor de couloir de métro ou de toilettes publiques, avecs des parois de petites briques vernissées blanches, une toilette entièrement vitrée avec sa cuvette et son lavabo avec un aspect surréaliste à la Bunuel et une cabine vitrée elle aussi nous font vite comprendre qu'on nous montrera tout et que rien ne nous sera épargné. Fraulein Schröder a disparu pour faire place à Jacqueline Bonbon, une vieille pouffiasse aux graisses boursouflées dans un costume de cabaret à la coiffure de plumes d'autruches à qui son partenaire juif fait l'amour. Un nazillon fera partir le Juif et Jacqueline Bonbon nous offre en direct le spectacle de son suicide en se plaçant un sac en plastique sur la tête. Isherwood compose une croix gammée géante avec les feuilles du manuscrit de son roman. Tout cela avec une frontalité et une exaspération qu'une  partie du public ne supportera pas. La salle se vide à l'entracte, un bon tiers de l'assistance s'en va. On est confrontés aux horreurs du nazisme, on se sent désespérés devant ce monde de souffrance et de mort, et l'actualité récente des montées de l'extrême-droite un peu partout en Europe fait qu'on prend le spectacle de Warlikowski en plein dans la gueule, l'assitance est sinistrée. Et le public allemand, confronté à l'histoire de son peuple, l'est sans doute doublement.


Un entracte et 70 ans ont passé, la distance temporelle a disparu, un animateur au genre hybride nous présente le monde contemporain de Shortbus. Un couple d'homos consulte une sexologue sur l'opportunité d'une relation ouverte. La sexologue n'a jamais connu l'orgasme. un des deux gays est un fou de caméra vidéo et filme tout ce qui bouge dans des plans rapporchés, la vidéo est projetée en simultané sur la paroi du fond de scène. Beaucoup de sexe, beaucoup d'alcool et de drogue. Des personnages qui vivent notre monde, un monde sans valeurs et sans repères qui se cherche en déconnant, en se droguant, en se nourrissant de théories pseudo-quantiques traitant de l'infinité des mondes, de la théorie des cordes, d'univers créés par la seule pensée, de bulles égotiques. On se cherche dans des formes d'excitation qui ne peuvent connaître de limites. Le spectacteur finit par s'identifier à l'action car en son âme et conscience il la comprend bien. Des musiques de Radiohead sont jouées à fond la caisse. Les acteurs crient, hurlent, font violemment l'amour, à la limite du viol, à deux ou à plusieurs, la sexologue finit par connaître l'orgasme, un couple sado-maso arrive à connaître la tendresse après avoir ôté ses oripeaux fétichistes. On fume de la marie-jeanne, l'animateur transgenre fume un joint qu'il passe au public, le spectacle est dans la salle, de nombreux spectateurs demandent qu'on leur passe le joint pour y tirer une bouffée. Hallucinant.


Hallucinant et complètement réussi pour ceux qui sont restés jusqu'à la fin!

Fabuleux Warlikowski, fabuleuse troupe avec les performances quasi surhumaines des acteurs/actrices/danseurs/danseuses/chnateurs/chanteuses qui atteignent aux paroxysmes de l'expression théâtrale et corporelle. 

Ah, c'était joué et chanté en polonais (français, anglais, allemand) avec un surtitrage en allemand? Qu'importe, on a été pris, enfin pas tous, juste ceux qui ne se sont pas enfuis et ont pu faire face à la violence de ce miroir sociétal, on a été emportés, lavés, lessivés. Catharsis.

Et on reste curieusement avec un message d'espoir. Là où il y a le non sens, là où on ne comprend plus rien et où l'on n'a pas de réponses, là où tout se déglingue, il est urgent de créer, il est urgent d'aimer!

A voir ce soir et demain à la Reithalle de Munich. Quelques places restantes.

Crédit photographique: Magda Hueckel (2013)








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