Il y a 100 ans, le Sacre du printemps d'Igor Stravinsky faisait scandale à Paris. Comme le rapportent ses Chroniques, Stravinsky avait imaginé « le spectacle d'un grand rite sacral païen : les vieux sages, assis en cercle, et observant la danse à la mort d'une jeune fille, qu'ils sacrifient pour leur rendre propice le dieu du printemps». Lors de la première au Théâtre des Champs-Elysées en 1913, le spectacle fut l'objet d'un énorme chahut, dès les premières notes de l'oeuvre. On ne comprenait pas alors que le rythme puisse être l' élément principal de l'œuvre, qui reçut le triste sobriquet de Massacre du printemps.
L'élue, la victime propitiatoire |
Pourtant, l'histoire ne donna pas raison aux détracteurs réactionnaires de Stravinsky et de nombreux chorégraphes ont tenu à monter ce ballet. Récemment encore Sasha Walz a chorégraphié le Sacre (2013). Aussitôt après Wigman c'était au tour de Maurice Béjart de monter le Sacre à Bruxelles (en 1959). De grands chorégraphes comme Pina Bausch ou Mats Ek se lancèrent également dans l'aventure du Sacre.
Ce fut aussi le cas de Mary Wigman, la pionnière de la danse expressioniste. Quand on sait que les compositions de Wigman ne se faisaient au départ que sur des percussions ou sans musique, et que ses chorégraphies étaient d'un expressionisme violent, on comprend qu'elle ait été attirée par la musique anti-symphonique de Stravinsky. Ses chorégraphies ne seront accompagnées de musique qu'après la guerre (Gluck et Carl Orff). Les images rythmiques de Stravinsly, l'accumulation des lignes individuelles des mouvements conduisent à un crescendo rythmique soutenu, avec des rythmes parfois répétitifs et parfois dynamiques qui ont dû séduire la chorégraphe allemande.
La chorégraphie de Wigman date de septembre 1957 et avait été perdue, elle n'avait pas été filmée et il n'y a pas de notations de danse, mais grâce au Fonds pour l'héritage de la danse ( Tanzfonds Erbe) de la Fondation culturelle fédérale allemande, la reconstruction de cette a été rendue possible. Grâce à un projet de coopération entre le théâtre d’Osnabrück et le théâtre de Bielefeld, la pièce « Le Sacre du printemps » de Mary Wigman a été reconstruite par une équipe de spécialistes dirigés par la chorégraphe Henrietta Horn, avec la collaboration de Katharine Sehnert et de Susan Barnett
C’est une des dernières œuvres de la chorégraphe, qu’elle créa à l’âge de 70 ans. Sa chorégraphie fut présentée le 24 septembre 1957 à la Städtische Oper, dans le cadre des Berliner Festwochen: 45 danseuses et danseurs avec Dore Hoyer dans le rôle principal. Wigman considérait qu'il s'agissait peut-être de sa meilleure création. Le travail de reconstruction d'Henrietta Horn et de ses collaboratrices s'est voulu fidèle à l'original, même si ses conceptrices sont bien conscientes qu'il ne s'agira jamais que d'une approche. L'équipe avait à sa disposition des photos, des descriptions et des notations de Wigman, des programmes, des notes du journal intime de la chorégraphe. Elle a aussi eu à coeur d'interroger d’anciennes danseuses de la chorégraphe comme Emma Lewis Thomas et Brigitta Hermann.
A Munich, le choix musical s'est porté sur la version pour deux pianos du Sacre du printemps, un arrangement que l'on doit à Igor stravinsky lui-même. La seule exécution musicale vaut le déplacement, l'oeuvre est admirablement interprétée par Myron Romanul et Simon Murray. Un grand moment musical! Les étoiles et le corps de ballet du Bayerisches Staatsballett interprètent magnifiquement les scènes hiératiques de ce ballet à la violence contenue et au recueillement mystique.
Le ballet bavarois propose au cours la même soirée de redécouvrir Das Mädchen und der Messerwerfer de Simone Sandroni, une belle chorégraphie intense, aux violences beaucoup moins contenues, qui rend parfaitement l'atmosphère d'une plaine de jeux pour enfants squattée par des jeunes désoeuvrés de milieux multi-culturels sans doute défavorisés. Des ados garçons et filles qui s'exercent aux jeux du pouvoir et de la séduction à l'ombre de balançoires ou de tobogans, près d'un bac à sable. Ils s'apostrophent en italien ou en russe. L'adrénaline monte vite dans le corps des danseurs qui figurent des adolescents toujours sur le qui-vive, avec des mouvements empruntés à la break dance ou au hip-hop. Deux hip-hoppers russes dansés par Ilia Sarkisov et Dustin Klein (photo) donnent le numéro inénarrable et parfaitement exécuté d'un pas de deux masculin parodiant l'amour. A mourir de rire. Emma Barrowman et Nikita Korotkov tiennent les rôles-titres.
Un spectacle de ballet à ne pas manquer. A la Reithallle de Munich.
Réservations
chaque soir à 19H30. Quelques places restantes.
Crédit photographique: Wilfried Hösl
Crédit photographique: Wilfried Hösl
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