Anatoli Kotscherga dans la scène finale |
Hasard du calendrier, la reprise par le Bayerische Staatsoper de Boris Godounov dans la mise en scène de Calixto Bieito a pris d'inquiétantes couleurs à la lumière des événements récents de Kiev et de la captation de l'Ukraine par la Russie de Poutine.
La programmation de l'Opéra de Munich voulait faire coïncider la reprise de Godounov avec la parution du DVD* de la première saison avec Kent Nagano au pupitre et l'extraordinaire Boris d'Alexander Tsymbalyuk. Quelle belle occasion en effet de pouvoir comparer le live du nouveau directeur musical Kirill Petrenko et la performance d'Anatoli Kotscherga qui a repris le rôle-titre en 2014 avec celle de Nagano et de Tsymbalyuk, de se donner le plaisir musical d'estimer si les choeurs magistralement entraînés par Sören Eckhoff se sont encore bonifiés, s'il est possible, tant ils étaient superlativement exceptionnels lors de la première et le sont restés.
On se souvient que Bieito avait donné une extraordinaire lecture contemporaine de la première scène des choeurs où le peuple de Russie réclame la montée sur le trône du nouveau tsar. Le peuple russe de Bieito était encadré et malmené par des forces de police intimidantes et brutales, Bieito stigmatisait la bêtise des masses populaires, qui se soumettent à des hommes forts qu'elles admirent et auxquels elles concèdent un pouvoir absolu, en faisant porter aux manifestants des pancartes qui affichaient des portraits surdimensionnés des hommes politiques du présent: de Poutine à Georges Bush jr ou de Berlusconi à Sarkozy. Le portrait de Poutine en entrée de rideau suscite bien sûr cette année d'autres réactions que les réactions amusées d'il y a un an. En voyant la foule encadrée du peuple arborant de tels calicots, on ne peut s'empêcher de faire l'association avec les foules du Maidan à Kiev et avec la brutalité des forces anti-émeute des berkouts. Et d'entendre sur scène évoquer le sort réservé aux Tatares ne manque pas d'entraîner de mêmes associations.
L'histoire récente est venue à la rencontre de la mise en scène de Calixto Bieito qui avait voulu stigmatiser la brutalité du pouvoir et la manipulation abêtissante des masses populaires. Cette dimension ajoutée par les événements ukrainiens est aussi le signe des belles qualités et de l'efficacité d'une mise en scène dont la lecture a des valeurs d'universalité.
Sur le plan musical, on ne peut bien sûr s'empêcher de comparer les interprétations. Peut-être pourrait-on avoir l'élégance de le faire sans rentrer dans une hiérarchie de valeurs. Avec Nagano hier et Petrenko aujourd'hui, on se trouve avec les saveurs différentes de deux grandes personnalités de la direction d'orchestre. Chacun pourra étudier les qualités de Kent Nagano en écoutant et réécoutant le DVD*. Kirill Petrenko apporte bien sûr dans ses riches bagages beaucoup de l'âme russe. Depuis son arrivée à Munich, il déchaîne l'enthousiasme du public par son travail extrêmement précis qui sait faire s'élever et se détacher les sons de chaque instrument, tout en leur donnant un juste volume sonore. Petrenko a l'art de l'individualisation et de la précision exquise. Il dirige l'orchestre avec douceur et fermeté, sans jamais surcharger le ton. Cela donne un résultat à la fois velouté et puissant qui permet aux chants de s'élever avec nuance et éclat comme autant de perles au creux d'un écrin orchestral. Un grand bonheur pour Munich et pour la musique. Dans ces soirées du printemps 2014, c'est particulièrement remarquable dans la rencontre du travail de l'orchestre et de celui des choeurs, rien que du bonheur.
Dmytro Popov (Grigorij Otrepjew), Ain Anger (Pimène) |
Anatoli Kotscherga, qui a étudié à Kiev, livre un travail très différent de la grandiose interprétation d'Alexander Tsymbalyuk, qu'il est difficile de ne pas évoquer en regrettant qu'il n'ait pas repris le rôle. Tsymbalyuk en avait donné une interprétation intériorisée d'une concentration extraordinaire. Kotscherga, qui avait chanté Pimène la saison dernière, donne un Goudounov plus traditionnel, extrêmement théâtralisé. Il donne le meilleur de lui-même dans la dernière scène, où il développe un brillant jeu d'acteur, sa mort de Boris est un modèle d'anthologie scénique qui lui vaut un tonnerre d'applaudissements. La plupart des rôles ont été repris d'une saison à l'autre par les mêmes chanteurs, et on retrouve avec émotion l'excellence de Markus Eiche en Schtschelkalow ou de Gerhard Siegel en Chouïski. Vladimir Matorin est particulièrement en verve et donne un magnifique Warlaam. Parmi les nouveaux venus, on remarque le bel Otrepiev de Dmytro Popov. Et surtout le Pimène d'Ain Anger est confondant de beauté et de présence, sa basse noueuse a des puissances telluriques, une voix somptueuse et profonde, qu'on aimerait un jour entendre dans Boris.
Prochaine représentation: le 31 Mars au Théâtre National de Munich. Quelques places restantes.
Le DVD est édité par Bel Air Classiques.
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