Holger Ohlmann (Cadmus), Jennifer O'Loughlin (Semele), Franco Fagioli (Athamas), Ann-Katrin Naidu (Ino) |
La production du Theater-am-Gärtnerplatz a parfaitement répondu aux attentes: la direction musicale de Marco Comin, la complicité de l'orchestre et des choeurs, la mise en scène de Karoline Gruber et un plateau bien distribué ont contribué à un spectacle des plus réussis pour la plus grande joie des spectateurs ravis d'en être.
A tout Seigneur tout honneur, Marco Comin donne une direction d'orchestre d'une sensibilité exquise avec une attention dans le soutien apporté aux chanteurs et une balance exacte entre l'orchestre, les solistes et les choeurs. Il a un sens raffiné de l'esthétique baroque et de l'expressivité ornementale et souligne avec bonheur les aspects italiens d'une partition qu'il parvient à rendre extrêmement vivante. La proximité de l'orchestre et de la salle permet d'observer la précision soutenue du doigté du chef d'orchestre. Il y a de la poésie dans le langage de ces mains qui travaillent avec une délicatesse, toute en nuance et en précision. Avec Comin, la musique de Haendel devient une fête jubilatoire. Il crée un écrin musical aussi réussi qui vient en plein soutien du travail des solistes. La préparation des choeurs par Jörn Hinnerk Andresen participe de la même qualité, les parties chorales sont un régal tout au long de la soirée.
Karoline Gruber adopte un langage scénique qui souligne la folie amoureuse d'une Semele qui court à sa perte en suivant les commandements de son hubris (ὕϐρις ) démesurée. Jupiter en devient plus humain que la mortelle qui jamais ne jouit de son bonheur mais se détruit en en voulant toujours davantage. Karoline Gruber voit davantage de Thanathos que d'Eros dans la fille de Cadmus et concrétise sa vision en introduisant la mort dès le décor du premier acte. Elle place l'action au XIXème siècle, cela a pour effet d'embourgeoiser l'opéra, l'hubris de Semele relève dès lors davantage de la folie neurotique que d'un défi lancé aux dieux. Lors du premier acte, un mariage collectif est organisé à la cour du Roi Cadmus, les choristes ont tous revêtu qui des robes et des voiles de mariées qui des fracs et des hauts-de-forme. Mais si les mariés se croient à la fête, la cérémonie se déroule dans un cadre sinistre qui présage du drame à venir: le mur de fond de scène est tout entier occupé par un columbarium devant lequel se déroule la cérémonie du mariage. Lorsque Semele refuse d'épouser Athamas et invoque Jupiter, un grand papillon coloré apparaît dans l'ouverture d'une des dalles du mur qui s'est descellée, comme la réponse du dieu à la femme qui l'aime, un second papillon plus grand encore traverse la scène, puis le mur s'entrouvre et Semele y disparaît. S'avancer vers l'Olympe, franchir la paroi du columbarium, c'est pour Semele faire un premier pas vers sa mort.
Le monde des dieux apparaît comme l'envers du décor de celui des humains par la grâce du plateau tournant. Des papillons géants continueront de traverser la scène, colorés et joyeux comme les amours jupitériennes qu'ils évoquent. Junon apparaît alors au sommet de son corps divin, en papillon de nuit géant sur lequel viennent se projeter des dessins de scènes de séduction tels que la fin du 19ème siècle a pu se les représenter, courtisanes au bain, ou, clin d'oeil munichois, le voluptueux faune alangui de la glyptothèque avec un papillon en guise de cache-sexe. Ce sont là les fantasmes douloureux et courroucés de la déesse suprême, blessée par les frasques incessantes d'un mari par trop volage, qui viennent s'imprimer sur les ailes de Junon, le lourd fardeau d'une femme trompée qui préparera bientôt sa vengeance. Jupiter essaye de combler l'insatiable Semele par des parures appréciées des dames qui descendent du ciel comme pour un défilé de haute couture. Il fait venir Ino pour donner compagnie à Semele, ce qui est l'occasion d'un voyage céleste dans un ciel cotonneux plein d'humour que Karoline Gruber situe au-dessus du sommet des tours de la Frauenkirche, la cathédrale emblématique de la ville de Munich. Un humour iconoclaste: un des bulbes d'une des tours de l'église Notre-Dame s'ouvre comme un bar de salon où viennent se servir les habitants célestes. Des montgolfières chargées de choristes traversent ce nouvel Olympe, un moment de douceur souriante et de répit au coeur du sombre drame de Semele. Bientôt se succéderont des images plus inquiétantes dans le monde des mortels: les dalles du columbarium se sont descellées pour dévoiler un charnier chaotique avec des membres épars couverts d'oripeaux de mariés et de mariées: l'homme baroque est un être-pour-la-mort. Alors que les humains meurent ou que les couples à peine unis se séparent, Junon accompagnée d'Iris vont réveiller un sinistre Somnus, travesti en un gothique Edward Scissorhands qui sera chargé d'endormir les dragons gardiens du séjour de Semele ainsi que Jupiter. Semele verra défiler les différents âges de sa vie dans un miroir présenté comme un théâtre dans le théâtre. Le décorateur Roy Spahn a reproduit le cadre de scène rouge et or du théâtre Cuvilliés: Semele se mire dans ce miroir et des figurantes vêtues à l'identique de la protagoniste viennent figurer les différents âges de sa vie jusqu'à la vision ultime de son urne funéraire. Mais ni les avertissements d'un Jupiter désolé, ni les présages n'y feront rien: Semele exige du dieu qu'il lui apparaisse sous sa forme divine, et mourra foudroyée dès que le dieu, tenu par le serment qu'elle lui a arraché sous le conseil de Junon, se révèle tel qu'en lui-même. Le final reprend la scène de l'ouverture: un public de mariés célèbre le mariage d'Athamas et d'Ino, dont l'amour persévérant a triomphé.
Semele est interprétée par Jennifer O'Loughlin qui incarne avec force ce rôle qui exige de l'endurance, et parvient encore à se surpasser dans son aria final avec des aigus puissants et réussis. Une belle prestation, même si ses vocalises manquent souvent de précision avec des notes qui parfois se chevauchent. L'Athamas de Franco Fagioli est très remarqué au premier acte: le contre-ténor donne un grand numéro de bravoure baroque qui recueille des applaudissements spontanés, avec des basses étonnantes, mais sa prestation d'artiste vedette reste un peu isolée au sein d'une distribution moins rompue aux prouesses du chant baroque. Ferdinand von Bohmer assure un Jupiter de bonne qualité, de même qu'Adrineh Simonian en Junon. L'Ino d' Ann-Katrin Nadu le Cadmus d'Holger Ohlmann sont également de fort belle tenue. La basse István Kovács est remarquable en Somnus, c'est une des révélations de la soirée, avec un phrasé magnifique et un chant très habité.
Une production du Theater-am-Gärtnerplatz au Théâtre Cuvilliés de Munich jusqu'au 7 novembre 2013.
Crédit photographique: Thomas Dashuber
Des montgolfières traversent le ciel munichois |
Le théâtre dans le théâtre: Semele et les étapes de sa vie, Jupiter porteur de l'urne funéraire |
Une production du Theater-am-Gärtnerplatz au Théâtre Cuvilliés de Munich jusqu'au 7 novembre 2013.
Crédit photographique: Thomas Dashuber
Il y a une dizaine d'année, le Staatsoper nous avait régalé avec des opérasde Haendel : Serse, Gulio Cesare et surtout un Ariodante inoubliable sous la direction de I. Bolton avec entre autres voix Ann Murray. Et Il rittorno... de Monteverdi au Prinzregententheater.
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