Une répétition de danse accueille le public (c) Luclebelge |
Le Bayerische Staatsoper a eu l'heureuse idée de remettre à l'affiche de son festival d'été une des meilleures mises en scène de son répertoire avec une distribution exceptionnelle. Rien que du bonheur et un succès retentissant!
C'est en 2008 que Robert Carsen avait mis en scène cette Ariadne qui avait créé l'événement par son exceptionnelle intelligence théâtrale qu'avait saluée une critique unanime et dithyrambique. Le travail de Robert Carsen rend non seulement parfaitement compte de l'oeuvre de Strauss, mais, qui plus est, il l'accompagne et conduit le public vers une meilleure compréhension tant de son action que de sa composition musicale. le metteur en scène canadien réduit le grotesque invraisemblable d'un mécène qui contraint deux troupes à mêler leurs spectacles peu de temps avant le début de la soirée en plaçant le public au coeur de l'oeuvre et en élargissant la scène à la salle: deux passerelles placées des deux côtés de la fosse d'orchestre permettent à certains chanteurs de faire leur entrée par la salle d'où ils entonnent leurs arias. le procédé d'inclusion du public est sans doute vieux comme le monde du théâtre, mais Carsen multiplie les données de l'inclusion. Au moment où le public est admis à pénétrer dans la belle salle du Prinzregentheater, il entre en fait dans la salle de répétition d'un ballet, et son image viendra se refléter dans les miroirs situés derrière les barres d'entraînement en fond de scène, ce qui place de fait le public sur scène. Et lorsque le mécène et son porte-parole se détachent du public pour venir se placer en front de scène face au ballet et donner leurs ordres, sur des chaises tournant dos au public, le public se sent faire partie du plateau, la distance scénique est abolie, et la mise en abyme voulue par Strauss et son librettiste, le spectacle dans le spectacle, en reçoit une dimension élargie. Quand à la fin du spectacle les acteurs du 'prélude' applaudissent les chanteurs de l''opéra', le public applaudit spontanément de concert avec les chanteurs applaudissant les chanteurs. Carsen réalise ainsi au mieux le gommage de l'illusion théâtrale. On pourrait continuer à énumérer les réussites de son intelligence scénique quasi à l'infini: ainsi le personnage du compositeur ne disparaît-il pas pendant la deuxième partie de l'oeuvre (intitulée 'l'opéra'), mais vient s'asseoir sur une des passerelles pour suivre le spectacle recomposé et les performances de la femme qui a su toucher son coeur, et en fin d'opéra, se relève pour venir applaudir les deux troupes du spectacle; ainsi encore la salle reste-t-elle éclairée pendant le prologue, ce qui rentre dans la nouvelle logique visionnaire de Carsen: nous assistons à la mise en place d'un spectacle dont nous faisons partie, le 'vrai' spectacle ne commencera qu'avec la deuxième partie, 'l'opéra'.
L'Ariadne d'Eva-Maria Westbroek © Wilfried Hösl |
Pendant l''opéra', Robert Carsen recourt à la gestuelle du théâtre grec antique avec les chanteurs vêtus de longues robes noires et le décor de simples parois noires elles aussi. La paroi de fond de scène qui s'abaisse et pèse comme un couvercle angoissé et despotique pour symboliser le désespoir d'une femme que Thésée a abandonnée sur son île s'ouvrira, rédemptrice, pour ressusciter Ariane à l'amour grâce à la divine apparition de Bacchus. Une raie lumineuse s'y élargit dans la progression exacte de la théophanie et de l'ouverture du coeur d'Ariane qui se prépare à recevoir le dieu vivant. Ces moments plus dramatiques n'ont bien sûr de sens qu'en contraste avec un sens très viennois de la légèreté de l'amour et de l'humour qui est le seul vrai rédempteur. Les quatre compagnons de Zerbinetta, vêtus des mêmes robes noires et portant perruques de femmes, se déshabillent comme de grotesques Chippendales avec d'amusantes mimiques de travestis. D'autres travestis se dévêtiront pour offrir leurs corps musclés à Zerbinetta. Tout cela dans des mouvements scéniques magnifiquement chorégraphés par Marco Santi. La créativité débordante d'ingéniosité de Robert Carsen est mise en forme par une préparation minutieuse de la gestuelle et des déplacements des chanteurs et des acteurs. Les lumières de Manfred Voss, les décors de Peter Pabst et les costumes de Falk Bauer contribuent à la réussite du grand art qu'est ce spectacle.
Cet été, Bertrand de Billy dirige cette oeuvre avec l'aisance de la familiarité qu'il en a acquise, -il la dirige à Munich depuis 2009-, et sait rendre avec bonheur l'humour musical de la partition, avec la complicité d'un orchestre rompu à la dynamique de son chef. La distribution est exceptionnelle, avec une Sophie Koch magistrale en compositeur, le baryton sonore du bon acteur qu'est Eike Wilm Schulte en professeur de musique, la Zerbinetta de la pétulante Daniela Fally, qui a de plus le beau physique de l'emploi, l'imposante Ariadne d'Eva-Maria Westbroek, avec sa voix wagnérienne de grande tragédienne à la belle allure qui incarne pleinement le personnage dès les premiers accents , et l'impressionnant Bacchus du ténor américain Brandon Jovanovich, avec son lyrisme puissant, une voix parfaitement projetée et un vibrato qui en impose. Le trio des nymphes est un poème d'unisson (H-E Müller, Erraught et Dan) alors que le quatuor des compagnons de Zerbinetta, qui devrait être un de moments les plus entraînants et amusants de l'opéra, est bien moins réussi.
Prochaines représentations
Il reste quelques places pour demain soir, mercredi 10 juillet.
Le spectacle sera à nouveau à l'affiche les 16, 19 et 22 mai 2014 et le 23 juillet, pendant le festival d'été 2014.
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