Première hier soir pour la nouvelle production du Ballet d'Etat de Bavière au Prinzregententheater, Exits and entrances avec en première partie la création mondiale de Unitxt de Richard Siegal suivie d'une oeuvre de Merce Cunnigham, BIPED, datant de 1999. Treize années séparent la création de ces deux oeuvres du ballet contemporain, on pourrait cependant dire un siècle tant l'esprit des deux oeuvres diffèrent, tant la contemporanéité est devenue un facteur d'actualité immédiate, ainsi que la Weltanschauung, l'expression de la perception du monde. Oserait-on dire que l'oeuvre de Cunningham est déjà le marqueur d'une époque dépassée, le paradis perdu de la fin d'un XXème siècle qui voulait encore croire à la possibilité d'un idéal, et que la création de Siegal, assourdissante, s'inscrit bien dans un certain Munich contemporain, avec une perte de l'âme et du sens au profit d'une société mécaniciste, hyper-efficace, aux contraintes violentes mais qui n'a d'autres buts que l'efficacité et la contrainte, et dont la substantifique moëlle se serait asséchée?
Richard Siegal est un munichois d'adoption qui s'est vu décerner il y a quelques semaines le prix de la danse de Munich, la capitale du Land de Bavière ("Tanzpreis der Landeshauptstadt München"). Avec Unixt, de concert avec le designer industriel Konstantin Grcic et avec l'artiste et compositeur Carsten Nicolai, ils créent une forme d'installation scénique qui dépasse les genres avec des projections lumineuses qui donnent un nouvel éclairage à la scène, des costumes objets qui influencent les mouvements des danseurs, élargissent leurs possibilités et leur rayon d'action et leur dynamique et confèrent une nouvelle qualité au langage corporel.
Le ballet s'ouvre sur le déroulement visuel surdimensionné, écrasant, du mot NOISE qui défile lentement, le N apparaît d'abord suivi du O, immenses lettres blanches sur écran noir, on croit lire une négation, mais non, c'est l'énoncé verbal de ce que l'on est forcé d'entendre depuis la première minute, un bruit infernal, omniprésent, qui ne laisse pas d'échappatoire, même pas, surtout pas, le repli vers un silence intérieur, il n'y a plus de place pour l'intériorité. Le ballet sera rythmé par trois projections de mots uniques: NOISE, SIGNAL et finalement SILENCE. Mais dans l'univers de Siegal, le silence est un nouveau concept, c'est une nouvelle qualité de bruit, le bruit restera constant, l'univers a été entièrement médiatisé et computérisé, dominé par les cours de la bourse qui rappellent que Dieu est mort et que Mammon a vaincu. Siegal crée un nouveau langage corporel qui décline les possibilités limitées et mécanicisées d'un monde devenu absurde et contrôlé par la seule obsession de la production, un monde de contrainte, de froideur et de violence contenue. Les costumes objets de Constantin Grcic offrent de nouvelles prises aux danseurs qui peuvent se saisir et se manipuler de nouvelles manières, mais cette extension des possibilités d'interaction par de nouvelles prises ne conduit pas à un nouvel espace de liberté, mais au contraire à plus d'emprise, à davantage de contrôle.En fin de compte, la seule liberté qui reste est celle de la création et de la distance qu'elle permet dans l'analyse, effarante, du monde qu'elle veut représenter. Et la liberté des danseurs qui peuvent explorer un nouveau langage de la danse, et qui le font avec un engagement fasciné et fascinant. Cette chorégraphie fait le constat d'un monde sinistre et déshumanisé, mais avec à la fois un puissant effet cathartique, elle nous en purifie parce qu'elle montre la voie de sortie, celle de l'effort créateur et de la beauté qui en résulte. La fragilité de la danse classique y est constamment mise en contraste avec la brutalité des mouvements et de la musique. Le travail du chorégraphe et de la mise en scène et les extraordinaires prestations des danseurs et des danseuses recevront une ovation d'une intensité rare. Alarmant et fabuleux! Et questionnant: faut-il vraiment perpétuer cet enfer?
Après un tel bouleversement, après une telle mise en question, le monde édulcoré selon Cunningham paraît un peu mièvre et sucré, malgré ses beautés délicates, ses coloris éthérés et sa musique céleste. Avec BIPED On est aux antipodes de l'atmosphère étouffante du début de notre siècle, avec ses tours infernales et ses corruptions bancaires, son système en faillite. Le monde est un damier délicatement azuré délimité par la douceur de faisceaux lumineux dessinés au laser. Des danseurs aux maillots de corps irisés évoluent avec grâce et se rencontrent avec bonheur et tendresse. leurs évolutions sont doublées par la danse de spectres de lumières, des êtres surnaturels aériens et colorés, magie des nouveaux arts visuels qui créent l'illusion de la troisième dimension. Plus tard les danseurs revêtiront des costumes d'étoffes transparentes et légères qui recevront des éclairages célestes d'un bleu intense imprégnant les parties supérieures du corps. Ici, tout n'est qu'ordre et beauté, luxe, calme et volupté. Et légèreté aérienne. Les artistes visuels, Paul Kaiser et Shelley Eshkar, ont créé un monde enchanté. Mais ce monde n'est plus le nôtre, peut-être la fin du XXème siècle y croyait--il encore, mais ce paradis rêvé a quelque chose de lassant, ce bonheur incessant nous ennuie, comme la musique minimaliste de Gavin Bryars, avec ses motifs répétés sans cesse, magnifiquement interprétés cependant par l'ensemble Biped du compositeur. Mais l'éternité c'est long, surtout vers la fin.
Il s'agit du premier spectacle chorégraphique à utiliser l'imagerie numérique et l'informatique pour parvenir à la technique de la superposition des images qui double le ballet sur scène d'un ballet lumineux et aérien, et à introduire le hasard comme élément participatif majeur de la création. Merce Cunningham travaille constamment le mouvement pur, il l'analyse, le décompose avec précision et une quasi minutie, ce qui fait qu'un public spécialisé sera plus sensible à un décorticage qui pourra paraître de la répétition au public plus profane. Cette oeuvre novatrice sur le plan de la technique est à la fois un oeuvre témoin de l'ensemble de la carrière du grand chorégraphe, qui l'a créée alors qu'il était âgé de 80 ans.
Une soirée toute en contraste, avec deux chorégraphies qui présentent une vision opposée du monde, captivante de technicité, et qui montrent si le fallait, par l'engagement total et l'excellence des danseurs et des danseuses, par la vibration enthousiaste du public, que les nouveaux chemins empruntés par le Bayerisches Staatsballett vers plus de contemporéanité répond aux voeux clairement manifestés tant par le corps de ballet que par le public.
Merce Cunningham / Richard Siegal
Premiere le 25 juin 2013 à 19H30
Puis les 26 et 28 juin, et le 16 juillet à 19H30 au Prinzregententheater.
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Crédit photographique: Wilfried Hösl
Faire l'éloge de cette plate et prétentieuse copie de Forsythe et cracher ainsi sur Cunningham... Misère...
RépondreSupprimerPorter aux nues cette plate copie de Forsythe et dédaigner ainsi Cunningham sans y rien comprendre... Misère...
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