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lundi 11 février 2013

Munich découvre avec ravissement I due Foscari de Verdi

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L'organisateur de spectacles Vita e Voce offre tout au long de l'année au public munichois des soirées d'opéra en version concertante et lui permet parfois de découvrir une oeuvre moins connue interprétée par de grands artistes. Ce fut le cas à la fin de la saison passée avec La Straniera de Bellini qu'avait magnifiquement portée Edita Gruberova. Et en ce mois de février, Vita e Voce a proposé I due Foscari de Verdi, une oeuvre qui n'avait jamais été jouée à Munich depuis sa création à Rome en 1844. L'occasion était belle de faire découvrir cette oeuvre méconnue du grand compositeur italien dont on fête cette année le bicentenaire de la naissance. Vita e Voce a fait le pari  de faire interpréter Lucrezia, l'infortunée épouse de Iacopo, le fils du Doge Foscari, par une star allemande de l'opéra baroque, Simone Kermes, un choix étonnant, décalé, et qui a étonné plus d'un mélomane. La chanteuse qui impose sur scène une forte personnalité faisait curieusement la tête d'affiche. Si Lucrezia est un rôle important, comme le nom de l'opéra l'indique ce sont pourtant les Foscari, le Doge et son fils, qui sont au centre du drame romantique.

Malgré ce choix un peu...baroque, le pari de Vita e Voce a été largement gagné, le public des deux soirées organisées a été conquis par la présentation et l'interprétation de l'oeuvre. A lire Michel Orcel*, Verdi estimait lui-même que cet opéra n'était pas de sa meilleure écriture. Après le succès d'Ernani, il le trouvait 'trop uniforme de couleur'. Pourtant le public romain l'avait apprécié lors de sa créatrion au Teatro Argentina, et aujourd'hui le public munichois a été charmé en découvrant les beautés sombres et poignantes du drame des Foscari, dans cet opéra qui fait la part belle au bel canto.

Massimiliano Murrali a dirigé avec un mélange heureux de fougue et de doigté un Münchener Opernorchester (Orchestre munichois d'opéra) visiblement complice et ravi de son chef. Murrali, spécialisé dans le répertoire italien, avait déjà dirigé I due Foscari au Teatro Massimo de Palerme et a su communiquer son enthousiasme pour le tragique romantique de l'oeuvre. Les très beaux choeurs d'Andreas Herrmann ont reçu les mêmes applaudissements nourris que l'orchestre.

Un Paolo Gavanelli au mieux de son art a su donner tout le pathos et exprimer les tourments du Doge Foscari avec un crescendo qu'il conclut dans un troisième acte tout simplement grandiose. Il rend admirablement la contrainte de la fonction du vieux Doge qui se croit obligé de réprimer ses sentiments paternels dans les deux premiers actes, pour laisser éclater toute sa douleur lorsqu'il apprend l'innocence de son fils condamné, puis sa mort, qui conduira à la sienne propre. Le public munichois a rendu les honneurs du trépignement au magnifique travail du baryton qui affiche trente années de carrière. La performance du ténor mexicain Arturo Chacón-Cruz séduit elle aussi tout au long de l'opéra: il fait ici une prise de rôle et donne un Iacopo écorché de douleur, clamant son innocence mais incapable d'échapper à la vengeance de Loredano. Munich vient d'avoir l'occasion d'apprécier ce talent à l'étoile grandissante le mois passé dans le rôle de Pinkerton. Face à ces deux grandes voix,  Daniel Kotlinski fait pâle figure en donnant un Loredano sans relief, comme absent, dont on ne perçoit ni la haine ni l'esprit d'une vengeance triomphante.

Face à tant de maîtrise verdienne, la présence de la sulfureuse Simone Kermes a de quoi surprendre. Même si l'on est en période de carnaval et que l'action se déroule sur fond de liesse vénitienne, son accoutrement provocant aux bleutés lilas empailletés qui souligne la rousseur flamboyante de sa chevelure paraît totalement incongru pour le personnage de Lucrezia. Les fracs noirs de Gavanelli et de Chacón-Cruz conviennent parfaitement bien aux affres dans lesquels sont plongés le Doge et son fils. Mais que dire de cette robe de soirée aguichante qui découvre des jambes nues montées sur des chaussures à très hauts talons couvertes de strass. La robe s'ouvre en corolle orchidéenne et la nudité des jambes semblent indiquer le chemin vers d'autres délices que ceux du chant, comme l'invite sensuelle d'une fleur épanouie. Lucrezia Contarini vient pourtant d'une famille patricienne qui a fourni huit Doges à Venise et dont on peut imaginer la dignité rogue et la pompe rigide. Elle est l'épouse du fils du Doge en exercice et perd au cours de l'action son mari, qu'elle aime et dont on lui interdit de partager l'exil, et elle perd aussi son statut et son prestige puisque son beau-père sera déchargé de sa fonction. L'incarnation de ce personnage n'invite-t-il pas aux couleurs sombres et sobres de l'affliction la plus profonde et à la retenue? Vient ensuite le problème du chant: Simone Kermes enfile des perles de son très légères et jolies, parfaitement filées, et s'efforce d'exprimer sa douleur, sa révolte et sa rage impuissantes avec les moyens des attaques de bec de la furie du chant baroque, mais le collier ainsi formé reste totalement baroque et n'atteint en rien la verve et les couleurs sombres douces et amères du pathos verdien. C'est joliment chanté, mais c'est inapproprié, Kermes se trompe de pièce. On l'imagine bien donnant de splendides répliques à un contre-ténor effarouché ou même tenant avec brio sa partie. Le public a acclamé une diva visiblement avide de reconnaissance et en recherche inquiète d'applaudissements, mais la Lucrezia verdienne était la grande absente de la soirée. La tête d'affiche s'est logiquement fait voler la vedette par les belles interprétations de Paolo Gavanelli et d'Alberto Chacón-Cruz, par la qualité de l'orchestre et des choeurs et par l'interprétation tout autant fougueuse que sensible du chef Murrali qu'on reviendrait volontiers entendre dans le répertoire belcantiste.

On a pu passer outre l'exotisme de la présence de Simone Kermes et de ses ornements vocaux, parce que la voix est légère et jolie et que le public a suffisamment de culture musicale pour appréhender le phénomène et dispose de capacités de transposition. Ce furent à Munich des soirées de découverte d'une oeuvre qu'on aura plaisir à réentendre. Vita e Voce apporte un plus indéniable à la vie musicale munichoise et on restera attentif à ses programmations prochaines.**

*Orcel, Michel, Verdi. La vie, le mélodrame, Grasset, Paris, 2001
** Cette saison, Via e Voce organise encore un récital Mozart de Pavol Breslik (le 27 février) et une très attendue Lucia de Lammermoor avec Diane Damrau et Josep Calleja les 1er et 4 juillet 2013.

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