Pour célébrer le bicentenaire de la naissance de Giuseppe Verdi, le Bayerische Staatsoper monte trois opéras du maître italien. C'est au Hongrois Árpád Schilling qu'a été confiée la mise en scène du premier d'entre eux, Rigoletto. Il s'agit de la troisième mise en scène d' Árpád Schilling à l'Opéra de Munich, où il a déjà monté La Cenerentola avec l'Opéra Studio et Undankbare Biesters , un opéra de chambre qu'avait joué le collectif théâtral Krétakör, que dirige le metteur en scène. C'est cependant la première fois que le Bayerische Staatsoper lui confie la scène du Théâtre national, avec une série de chanteurs de réputation internationale: La Cenerentola avait été montée au Théâtre Cuvilliés pour les jeunes espoirs de l'Opernstudio, et Undankbare Bieste avait été créé au Marstallpavillon dans le cadre du festival d'été, et présenté comme un opéra expérimental. Une étape supplémentaire vient d'être franchie, Árpád Schilling accède à la cour des grands.
Schilling a opté pour une mise en scène qui oblitère le lieu et le temps de l'action. On pourrait se trouver à la cour de n'importe quel dictateur dans n'importe quel pays à n'importe quelle époque. Schilling, qui vit fort mal, cela se conçoit aisément, la situation difficile des créateurs hongrois soumis à un régime qui altère de plus en plus les libertés civiles et fait les choix culturels qui le servent, a peut-être voulu souligner l'intemporalité des dictatures.
Pas ou peu d'éléments de décors: quelques scènes se jouent devant le rideau de scène fermé, et le plus souvent d'immenses gradins occupent tout le plateau, sur lesquels sont assis cinq rangées d'hommes vêtus d'un camaïeu de couleurs beige et crème, aux visages uniformisés par des loups (pour la quarantaine de choristes) ou par des masques fort semblables à ceux des mannequins des vitrines de mode. Un simple long rideau de voile qui descend du cintre figure la maison de Rigoletto, l'intérieur du palais se voit représenté par un rideau de voile qui encercle tout le centre de scène avec en arrière-plan, derrière le rideau, la statue monumentale d'un étalon dressé sur ses pattes, qui peut à la fois symboliser la puissance et le sexe. Les figurants masqués assistent impassibles à la plupart des scènes, assis sur leurs gradins qui occupent parfois toute la scène, ou qui peuvent se fissurer en deux parties mobiles, disposées différemment selon les besoins de la mise en scène. Une des parties est vide lors de la scène chez Sparafucile, un personnage dont la nature est symbolisée par une chaise roulante aux roues surdimensionnées sur laquelle le brigand fait asseoir ceux qu'il veut dépouiller de leurs biens, fût-ce volontairement comme c'est le cas de Rigoletto, ou de leurs vies. Schilling y fait mourir Gilda, une solution plus élégante que celle du sac de pommes de terre. Morte, elle quittera lentement la scène devant un Rigoletto pétrifié de douleur.
Les costumes des protagonistes masculins du drame sont quasi identiques à ceux des figurants et du choeur, ce qui a tendance à gommer l'individualisation psychologique des caractères: Rigoletto et le Duc participent de ce fait de la même humanité que les courtisans, une humanité pauvre et dérisoire qui en mérite peu le nom. Cela a aussi pour effet de rendre Rigoletto moins difforme et le Duc moins monstrueux. Tous semblables, seules les femmes défilent parées d'atours colorés, une différenciation sexuelle quasi animale. Gilda, en pull et pantalon, échappe au cynisme ambiant, elle apparaît comme une jeune femme qui n'accepte pas d'être cloîtrée contre son gré et qui aspire à l'amour, un amour que ne demande qu'à favoriser sa gouvernante. Le Duc échappe cependant à la règle de l'uniformisation des costumes: au moment où il apprend que les courtisans ont enlevé Gilda, il troque ses vêtements pour un peignoir coloré japonisant, peignoir qui recouvrira Gilda déshonorée au moment de son retour sur scène et de ses retrouvailles avec son père. Un procédé par trop facile.
En avant-scène, un petit podium sur lequel viennent souvent se placer les chanteurs. Une curieuse
exploitation du trou du souffleur. Peu d'interactions entre les protagonistes qui viennent y exposer le drame face au public, ce qui donne un spectacle extrêmement frontal. Sans doute cela favorise-t-il la qualité du chant, mais la frontalité est telle qu'on a parfois l'impression d'assister à une version concertante de l'oeuvre. Il y a de la beauté dans ce dépouillement et ces couleurs uniformisées, reste la question de savoir si de centrer la mise en scène sur la seule action, et sa contemplation par des figurants impavides et impassibles, ne fait pas perdre de sa dimension au drame, ce qui aboutit alors au contraire de l'effet sans doute recherché.
La soirée se transforme ainsi en un récital plus ou moins réussi de bel canto, avec les chanteurs qui viennent à leur tour chanter sur le podium, seuls ou en duo, et qui fonctionnent à l'applaudimètre. Vu sous cet angle, c'est Joseph Calleja qui remporte la palme, avec son ténor lyrique somptueux, une voix au timbre qui vous enrobe comme dans un tunnel doré et dont on ressort tout ébloui, une puissance sonore confondante qui parvient à passer sans problème le tonnerre de l'orchestre dirigé par un Armiliato fougueux qui semble oublier que la voix est un instrument délicat. Pourtant nous sommes à Rigoletto et non à un récital Calleja. Face à Joseph Calleja une Patricia Petibon exquise s'efforce d'offrir les modulations sensibles et justes de son soprano plus léger, mais ni Armiliato ni Calleja ne font de concessions à la délicatesse de l'interprétation de la colorature française. Ils se comportent comme des éléphants dans un magasin de porcelaine, surtout au premier acte. Les finesses et la beauté du travail vocal de Petibon sont couverts par un orchestre tonitruant et par un Calleja qui chante à poumons déployés en superbe bête de scène. C'est tout simplement choquant. En deuxième partie, et notamment dans les duos avec Rigoletto, on peut davantage apprécier les subtilités vocales, la beauté du timbre et l'incomparable agilité d'une chanteuse que le public munichois avait récemment tellement appréciée en Aspasia dans Mitridate re di ponto. Le Rigoletto de Franco Vassalo est en deça de l'exaltation douloureuse du personnage. Là où on attendrait l'expression d'une douleur exacerbée on reçoit une interprétation plus contenue et nuancée d'une belle voix de baryton, jamais tempêtueuse.
Il faudra revoir ce Rigoletto sous une autre baguette, plus précise et rigoureuse, avec un chef qui fasse davantage la part belle aux chanteurs et exploite avec plus de doigté les incomparables qualités de l'orchestre et des choeurs du Théâtre national.
exploitation du trou du souffleur. Peu d'interactions entre les protagonistes qui viennent y exposer le drame face au public, ce qui donne un spectacle extrêmement frontal. Sans doute cela favorise-t-il la qualité du chant, mais la frontalité est telle qu'on a parfois l'impression d'assister à une version concertante de l'oeuvre. Il y a de la beauté dans ce dépouillement et ces couleurs uniformisées, reste la question de savoir si de centrer la mise en scène sur la seule action, et sa contemplation par des figurants impavides et impassibles, ne fait pas perdre de sa dimension au drame, ce qui aboutit alors au contraire de l'effet sans doute recherché.
La soirée se transforme ainsi en un récital plus ou moins réussi de bel canto, avec les chanteurs qui viennent à leur tour chanter sur le podium, seuls ou en duo, et qui fonctionnent à l'applaudimètre. Vu sous cet angle, c'est Joseph Calleja qui remporte la palme, avec son ténor lyrique somptueux, une voix au timbre qui vous enrobe comme dans un tunnel doré et dont on ressort tout ébloui, une puissance sonore confondante qui parvient à passer sans problème le tonnerre de l'orchestre dirigé par un Armiliato fougueux qui semble oublier que la voix est un instrument délicat. Pourtant nous sommes à Rigoletto et non à un récital Calleja. Face à Joseph Calleja une Patricia Petibon exquise s'efforce d'offrir les modulations sensibles et justes de son soprano plus léger, mais ni Armiliato ni Calleja ne font de concessions à la délicatesse de l'interprétation de la colorature française. Ils se comportent comme des éléphants dans un magasin de porcelaine, surtout au premier acte. Les finesses et la beauté du travail vocal de Petibon sont couverts par un orchestre tonitruant et par un Calleja qui chante à poumons déployés en superbe bête de scène. C'est tout simplement choquant. En deuxième partie, et notamment dans les duos avec Rigoletto, on peut davantage apprécier les subtilités vocales, la beauté du timbre et l'incomparable agilité d'une chanteuse que le public munichois avait récemment tellement appréciée en Aspasia dans Mitridate re di ponto. Le Rigoletto de Franco Vassalo est en deça de l'exaltation douloureuse du personnage. Là où on attendrait l'expression d'une douleur exacerbée on reçoit une interprétation plus contenue et nuancée d'une belle voix de baryton, jamais tempêtueuse.
Il faudra revoir ce Rigoletto sous une autre baguette, plus précise et rigoureuse, avec un chef qui fasse davantage la part belle aux chanteurs et exploite avec plus de doigté les incomparables qualités de l'orchestre et des choeurs du Théâtre national.
Crédit photographique: Wilfried Hösl
Pour écouter le quartet Bella figlia dell'amor:
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