L'Opéra de Munich vient de présenter au public le 27 octobre la création mondiale du deuxième opéra de Jörg Widmann, Babylon. L'oeuvre est dirigée de main de Maître par le directeur musical de la maison, Kent Nagano, qui en est à sa dernière saison à Munich, avant de partir rejoindre Hambourg la saison prochaine. Un plateau remarquable: Jussi Myllis dans le rôle de Tammu, Claron McFadden dans celui de l’Âme, Anna Prohaska dans celui d'Inanna et Willard White dans ceux du Prêtre-roi et de la Mort. La mise en scène a été confiée à la compagnie de la Fura dels Baus, célèbre pour ses remarquables productions, sous la direction de Carlus Padrissa. Elel avait déjà invitée la saison passée pour monter Turandot à Munich.
Un Rubik's cube des alphabets du monde |
L'Euphrate (Gabriele Schnaut) |
Magie du nombre sept, phalluset vulves |
En somme, Widmann et Sloterdijk nous proposent une Babylone fantasmée à partir de la Babylone historique, et dont le destin évoque les problématiques des mégapoles modernes et pose la question de la faisabilité et de l'utopie de la vie multiculturelle commune: à l'opposé du mythe d'Orphée qui perd son Euridyce, l'Amour d'Innana ramène Tammu à la vie; l'Amour et l'Ordre pourraient-ils vaincre les dissensions religieuses et culturelles? Notre société est-elle capable de civilisation et de culture? Au sortir de l'opéra, la question reste posée et la réponse en est ouverte. le tableau final, celle d'une Babylone envahie par des hommes-scorpions qui croissent et se multiplient à grande vitesse, n'incite cependant pas à trop d'optimisme.
La mise en scène de Carlos Padrissa et de la Fura del baus est à l'aune de la partition de Widmann et du livret de Sloterdijk: au déferlement des sons et des idées correspond un déferlement de vagues visuelles parfaitement orchestrées et d'une beauté souvent confondante, avec une visualisation rimbaldienne du langage qui donne vie et couleurs aux lettres des alphabets de toutes origines, des pictogrammes cunéiformes aux alphabets grecs et latins. Les lettres déferlent de toute part, s'articulent en architectures pour former les murailles et les portes gigantesque d'une Babylone mythique. L'Euphrate lui-même est figuré par des panneaux mouvants portés à bout de bras dans des tranchées de scènes. Et quand ce monde de lettres s'effondre, un mythique homme-scorpion survit dans les décombres de la civilisation et se démultiplie, envahissant les ruines de la mégapole.
Les couleurs, le fleuve et les sons se répondent, l'orchestre déborde lui aussi de son cadre habituel et envahit les loges d'avant-scène où prennent place des percussionnistes qui à l'aide d'instruments plus exotiques vont rendre compte de la babélisation du langage, la diversité musicale contribue au multiculturalisme ambiant. Tamtams, xylophones, vibraphones, gongs, tambourins, castagnettes et autres maracas, un nombre impressionnant d'instruments des musiques du monde est sollicité pour évoquer le creuset citadin de la diversité. Ce n'est pas sans rappeler l'orchestre mobilisé pour le Saint François d'Olivier Messiaen. Kent Nagano, en expert des musiques du XXème siècle, navigue avec une compétence heureuse sur le fleuve de la partition. Un moment plus léger de la soirée est donné lors du cortège babylonien de l'an nouveau, alors que Widmann donne des tons d'opérette ou de comédie musicale à sa musique avec des emprunts gaudriolesques notamment au folkore musical bavarois: la Fura del Baus s'est prêtée à coeur joie à la création d'un cortège carnavalesque qui tenait du carnaval vénitien et de l'Oktoberfest, on ne pouvait pousser le bouchon du melting-pot culturel plus loin. A l'opposé, on trouvera des moments plus intenses et plus graves, comme celui très émouvant où Widmann écrit un somptueux duo pour clarinette et soprano en introduction d'un des tableaux.
Il y a cependant des ombres à cette orgie de tableaux visuels et sonores: on est pris dans un étourdissement de sensations, c'est un monde de tableaux et de représentations toujours mouvantes qui sollicitent l'attention au détriment de l'individualisation: les protagonistes ne semblent que peu en communication, on ne ressent pas de grands bouleversements et déchirements intérieurs en Tammu qui devrait pour tant être tiraillé entre amour de la patrie et passion amoureuse, la tempête macroscopique ne semble laisser que peu de place à la densité psychologique, Tammu n'est pas Tannhaüser. Il faudra prendre le temps de l'analyse du livret et de la partition, et de la nécessaire décantation, pour déterminer s'il n'y a là qu'une impression due à une mise en scène aussi réussie qu'orgastique. Ce samedi 3 novembre, les amateurs du monde entier pourront s'en faire une idée puisque le Bayerisches Staatsoper nous offre une retransmission de l'opéra sur internet en video-streaming.
Prochaines représentations: les 3 novembre (avec captation et webstreaming), 6 et 10 novembre au Théâtre national de Munich. Et le 21 juillet 2013, dans le cadre du Festival d’opéra de Munich (Münchner Opernfestspiele).
Crédit photographique: Wilfried Hösl
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