Andreas Wiedermann et Ernst Bartmann nous ont à nouveau organisé une de ces soirées d'opéra dignes de la Cour des Grands. L'idée de monter la Clemenza di Tito sous le chapiteau du cirque Krone en transformant les personnages en artistes de cirque pourrait hérisser plus d'un amateur d'opera seria. Et bien, tant pis pour les grincheux, car cela fonctionne magnifiquement!
Titus au cirque n'a pourtant rien d'incongru. Enfonçons d'abord la porte ouverte en rappelant que la construction du Colisée se termine sous son règne: l'Empereur l'inaugure en 80 APJC. Wiedermann a opportunément saisi la perche tendue par l'histoire: lorsque son Tito veut faire exécuter Sesto, il tend le poing avec le pouce renversé comme le faisaient les empereurs qui refusaient de gracier les gladiateurs vaincus. Publius fait de même, mais les autres protagonistes de l'opéra, entraînés par Annio, s'efforcent de les faire changer d'avis. Toutes les tergiversations de Tito sont représentées par une amusante pantomime des pouces baissés et des pouces levés. Et, comme au temps de jeux du cirque, Annio sollicite tout en chantant l'avis des spectateurs: en un clin d'oeil, la salle enthousiaste a le pouce levé et demande à Tito grâce pour le coupable. Les spectateurs du cirque ont remplacé les courtisans du palais. Wiedermann intègre le public à l'action, par divers procédés connus mais efficaces, ainsi le choeur est-il installé parmi les spectateurs et envahit la scène au départ des gradins occupés par le public.
Tous en piste donc, et les personnages du drame deviennent les artistes du cirque: Tito en Monsieur Loyal dirige le spectacle et l'univers depuis la loge, avec comme attribut le fouet du dompteur. Sesto est le clown blanc habillé en Pierrot tandis que Annio est grimé en un Auguste qui s'emmêle les pinceaux de ses interminables chaussures. Vitellia en une écuyère-trapéziste à la limite de la domina, Servilia en danseuse et Publio en groom d'hôtel à la Spirou, vendeur de glaces à l'entracte.
Wiedermann est un metteur en scène aussi créatif et enthousiaste qu'exigeant: il demande beaucoup et plus encore à ses jeunes chanteurs qui ont dû apprendre rapidement les métiers du cirque, il leur a fallu apprendre à jongler , à faire des pyramides humaines, à monter sur des échasses, à évoluer sur un vélo à une seule roue, pour la plus grande joie du public qui a pu retrouver le temps d'une soirée son regard d'enfant. Point n'est besoin de décors quand on a un véritable cirque à sa disposition: la salle de spectacle est le décor, les jeux de lumières utilisent les chapelets électriques du grand chapiteau ou les faisceaux des projecteurs qui servent à suivre les performances des artistes de cirque. Wiedermann exploite jusqu'au bout les possibilités de son idée maîtresse, c'est là l'économie parfaite d'une idée magnifique.
Qu'on ne s'y trompe pourtant pas, la mise en scène n'enlève rien ni à la qualité de l'exécution musicale, ni à la tension dramatique. Les gens du cirque sous leurs dehors de comédiens vivent les mêmes drames que tout un chacun, les oripeaux n'y changent rien: la passion amoureuse, la haine, les intrigues et les complots, la vengeance, le pardon et la magnanimité peuvent s'exprimer sous les grimages du comique, le clown est triste, c'est bien connu, et capable de crime comme de grandeur.
Et peut-être même l'apparent oxymore des intrigues les plus sordides sous le maquillage des drôleries du cirque ne fait-il que renforcer encore la dramatique de l'opera seria. Le monde entier est un théâtre, et tous, hommes et femmes, n’en sont que les acteurs.
Ernst Bartmann a remarquablement arrangé la partition pour l'adapter à un orchestre de chambre d'une bonne dizaine de musiciens, en y introduisant ci et là un clin d'oeil à la musique de cirque, et en insérant une remarquable page de musique contemporaine au moment le plus crucial de l'action.
Il dirige l'orchestre et les chanteurs, et les choeurs par 20, avec maestria: sa direction musicale rend honneur à la musique de Mozart. Les choeurs, qui figurent la foule du palais de l'empereur ou celle de l'amphithéâtre flavien, ponctuent avec talent et enthousiasme plusieurs moments de l'action.
Les chanteurs donnent toute la mesure de leurs jeunes talents: la Coréenne Nam Young Kim donne une Vitellia impétueuse et puissante, avec un beau soprano à la technique maîtrisée qui prend facilement possession d'un espace sonore circulaire pourtant difficile à occuper; c'est aussi le cas de la basse sonore du Publio de Torsten Petsch. L'Autrichienne Reinhild Buchmayer donne un Sesto subtil et nuancé et se joue avec brio des acrobaties de la partition. La voix est encore bien ténue et manque pour le Parto parto ma tu ben mio, mais dans l'ensemble sa prestation est des plus séduisantes. La mezzo Carolin Ritter allie une voix prometteuse à de beaux talents de comédienne dans son interprétation d'un Annio en auguste sensible et drôlatique, le coeur sur la main. Katharina Ruckgaber fait quant à elle une Servilla charmante. Enfin Hui Jin incarne un Titus touchant de sensibilité avec son beau ténor léger. Il a l'habitude des rôles impériaux: le public parisien a peut-être pu l'apprécier au Théâtre du Châtelet dans sa prise de rôle de Mao dans Nixon in China.
Si vous êtes à Munich le samedi 15 septembre, il ne faut pas manquer la deuxième soirée de cette production qui a reçu hier soir la standing ovation d'un public unanimement séduit. Rien de plus entraînant que l'enthousiasme créateur de cette jeune compagnie qui remporte depuis plusieurs années un succès mérité avec ses spectacles d'opéra originaux montés dans les lieux les plus inattendus! La troupe d'Opera incognita vaut la peine d'être connue!
Prochaine représentation au Zirkus Krone de Munich le 15 septembre à 20 heures.
Plus de renseignements sur le site d'OPERA INCOGNITA.Les billets sont en vente chez MünchenTicket au 0180/ 54 81 81 81 ou via le site http://www.muenchenticket.de/
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