Crédit photographique: Helmut Koch |
La compagnie Opera Incognita s'est produite pour la huitième fois à Munich pour le plus grand bonheur du public bavarois. Andreas Wiedermann mettait cette fois en scène le deuxième opus de Puccini , Edgar, dans le très beau cadre de l'ancienne église de la Résidence, la Allerheiligen Hofkirche. Le lieu se prête admirablement à cet opéra dont l'action se déroule pour partie dans une église, et dont la partition contient de nombreuses références à la musique religieuse. Il offre la simplicité somptueuse d'un décor renaissant aux accents nécessairement romains à un drame qui pourrait être antique, mais dont l'excellente mise en scène de Wiedermann souligne l'intemporalité.
Avec des moyens minimalistes, un cube blanc présenté par un de ses angles pour figurer tant la maison d'Edgar que l'église et réalisé par Udo Ebenbeck, et les jeux de lumières de Peter Younes, Wiedermann
habite l'église des mouvements choréographiés des superbes chanteurs comédiens du choeur. Il nous fait oublier que le livret place l'action au Moyen Âge, et donne une présentation résolument contemporaine d'Edgar, qu'il transforme en un bureaucrate pointilleux entouré d'un ballet de secrétaires et de solliciteurs plus ou moins hargneux et arrogants. Avant la musique ne commence, on pourrait se croire transporté dans le château de Kafka.
Mais Edgar n'est pas le petit fonctionnaire que l'on croit. L'amour dévastateur de Tigrana va le transformer en un rebelle anarchiste qui abandonnera son épouse, la pourtant délicieuse Fidelia, et défrayera la chronique locale par ses pratiques amorales et violemment blasphématoires, qu'aucun tabou ne tempère.
Wiedermann sait parfaitement faire monter la tension scénique en créant des tableaux de plus en plus prenants et évocateurs, jusqu'à l'apothéose du troisième acte qui dévoilera l'infamie et la concupiscence de Tigrana, qui finira par se perdre définitivement dans une folie meurtrière.
Le travail scénique de Wiedermann s'est élaboré en complicité avec celui d'Ernst Bartman, qui a adapté la partition de Puccini pour son exécution par un orchestre de chambre, et lui donne, lui aussi, des tonalités purement contemporaines, au point que cette collaboration transforme cette oeuvre de la fin du XIXème siècle en une création artistique actuelle. Au delà des siècles, il y a la folie amoureuse des humains, et le drame qui se déroule sous nos yeux et emplit nos oreilles est un drame d'aujourd'hui beaucoup plus que d'hier.
Comme le nom de la compagnie l'indique, son objet est de faire vivre des oeuvres inconnues, et il est vrai qu'Edgar est peu joué par les grandes maisons d'opéra. Mais justement, comme le public ne connaît pas l'oeuvre, sinon peut-être par quelques arias, il la découvre avec ingénuité et est frappé par sa nouveauté et son actualité. Il découvre aussi le talent de jeunes chanteurs. On soulignera notamment la très belle prestation de Hui Jin dans le rôle titre, avec une voix aux accents puissants et justes, et une expression théâtrale habitée. A ses côtés, Dorothea Koch (Fidelia) , Torsten Petsch (Frank) et Dorothea Spilger (Tigrana), ont tous reçu des applaudissements aussi nourris que mérités.
Un seul regret, le nombre réduit de représentations! Seul un millier de spectateurs auront eu l'occasion de participer à ces soirées qui marient la qualité de l'exécution musicale au génie créatif de la mise en scène. Bien sûr, cela participe de la magie du monde culturel munichois, mais face à une telle qualité, on pourrait espérer un coup de pouce promotionnel des pouvoirs publics, en d'autres termes des subventions, pour que l'art ici produit profite à une plus grande audience. Ou encore que le spectacle puisse retenir l'attention d'un sponsor ou d'un directeur de festival et s'exporter. Entretemps, chapeau bas!
Après l'aquatique Idomeneo de l'an dernier, et l'Edgar de cette année, nous attendrons avec impatience de découvrir ce qu' Opera Incognita nous offrira l'an prochain. Une compagnie à suivre!
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