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samedi 27 décembre 2025

Waves and Circles, la nouvelle trilogie du Ballet d'État de Bavière

Megaherz 


Waves and circles (Des vagues et des cercles), le Bayerisches Staatsballett a donné la première de la saison en présentant un triptyque chorégraphique d'une grande diversité : Blake Works I de William Forsythe, Megaherz, une nouvelle création de la chorégraphe Emma Portner, et l'emblématique Boléro de Maurice Béjart.  L'intitulé de la soirée évoque la plage, les ondes radiophoniques qui ondulent comme des vagues ou les vagues humaines de la ola dans les stades. Le mot vague contient en soi l'idée d'énergie, une énergie qui se propage et crée une impression de vie. Les vagues se déploient souvent en cercles, rayonnant d'un centre dans toutes les directions.  

Blake Works I

En juillet 2016, le Ballet de l'Opéra de Paris a donné au Palais Garnier la première mondiale de Blake Works I. Il s'agit la quatrième œuvre de William Forsythe à intégrer le répertoire de la compagnie munichoise, après Limb's TheoremThe Second Detail et Artifact II. Le ballet comporte sept séquences  dansées sur des morceaux de l'album The Colour in Anything du musicien anglais James Blake Litherland, qui utilisent des claviers électroniques et des percussions syncopées. Les paroles introspectives, d'une grande sensibilité et d'une douceur fragile, évoquent la façon souriante de réagir au monde de leur créateur, y compris aux temps plus douloureux. Le ballet est interprété par 21 danseurs. 20 d'entre eux portent des tenues d'entraînement bleues qui rappellent celles de l'École de danse de l'Opéra de Paris, le 21ème danseur est vêtu d'un jean foncé et d'un t-shirt. Dans la carrière de William Forsythe, cette oeuvre marque un retour à un vocabulaire chorégraphique plus classique. Costumes et chorégraphie évoquent des œuvres néoclassiques françaises et américaines, tout en témoignant de la démarche déconstructiviste de Forsythe. La chorégraphie est millimétrée, son créateur développe une vision scénique d'une esthétique exquise, qui exige une extrême précision d'exécution de la part des danseurs. Les mouvements sont complexes, leur évolution changeante est d'une grande rapidité, la vitesse des jeux de jambes expressifs, inspirés de l'école française, exigent une virtuosité extrême, une qualité stellaire dont les danseuses et les danseurs du ballet bavarois disposent à foison. La distribution change au fil des représentations. Ce soir, au ciel constellé du Bayerisches Staatsballett, Laurretta Summerscales, Elisabeth Tonev, Maria Chiara Bono, Julian MacKay, pour ne citer qu'eux, livrent un travail d'orfèvre dans leur incarnation de la fragilité enjouée des mélodies. Blake Works I nous a rappelé la résilience du dandysme, l'adoption d'une attitude raffinée d'élégance, de distinction et d'esthétisme, le choix de faire de sa vie une œuvre d'art vivante, une forme de résistance active à la médiocrité et aux malheurs du monde. 

Carollina Bastos et Jakob Feyferlik dans Megaherz

C'est la première fois que la jeune chorégraphe canadienne Emma Porter (31 ans) crée une oeuvre en Allemagne. La carrière d'Emma Porter a ceci de particulier qu'elle a d'abord conçu des chorégraphies avant même de devenir danseuse. Son style singulier  donne à voir un monde  énigmatique, intime et profond qu'animent sept personnages. Megaherz est basé sur la musique éponyme « I Trawl The Megahertz » de Paddy McAloon. Au coeur de ce  ballet de 22 minutes, une femme s'interroge sur sa place dans le monde. La soliste brésilienne Carollina Bastos incarne la voix d'une narratrice en quête de sens et de mémoire. À ses côtés interviennent six personnages supplémentaires qui sont en lien avec sa voix de diverses manières et qui donnent vie à la mémoire. La distribution est luxueuse : Severin Brunhuber , Ana Gonçalves , Marina Mata Gomez , Osiel Gouneo , Jakob Feyferlik et Soren Sakadales ont contribué à la création de cette œuvre. Les lumières très particulières et les vidéos d'Eric Chad découpent et architecturent le récit chorégraphique, un récit énigmatique dans lequel un danseur donne une danse du voile impressionnante qui le transforme en un être hybride, oiseau ou chauve-souris aux ailes blanches, voilier ou robe à traîne. 

Elisabeth Tonev dans le Boléro

La musique des deux premières chorégraphies était enregistrée. Pour la musique du Boléro des deux Maurice, Ravel et Béjart, l'orchestre et son chef Patrick Lange s'installent pendant un court intermède. Ravel nous a laissé une description de son Boléro : « En 1928, sur la demande de Mme Rubinstein [Ida Rubinstein], j'ai composé un boléro pour orchestre. C'est une danse d'un mouvement très modéré et constamment uniforme, tant par la mélodie que par l'harmonie et le rythme, ce dernier marque sans cesse par le tambour. Le seul élément de diversité y est apporté par le crescendo orchestral. » 

Boléro
 
Ce crescendo, Béjart l'a utilisé en 1961 pour créer son Boléro au Cirque royal de Bruxelles pour le Ballet du XXème siècle, la compagnie qu'il venait de fonder dans la même ville. Dans cette salle, tous les spectateurs sont installés en surplomb de la scène, ils avaient un regard plongeant sur la représentation se déroulant sur la piste du cirque. Dans un théâtre, la perception est différente, elle n'est plus englobante mais frontale, ce qui crée une perspective nouvelle, intéressante certes mais à l'effet diminué. On retrouve la grande table rouge, circulaire placée au centre de la scène et encadrée par une série de chaises sur les trois côtés de la scène, un côté quadrangulaire à l'aspect fort éloigné de la circularité bruxelloise. À l'origine, une soliste dansait seule sur la table, entourée d'un corps de ballet masculin désirant. Depuis 1979, le rôle soliste peut aussi être interprété par un homme. Le danseur ou la danseuse livrent un combat solitaire incessant, aux prises avec la puissance et le rythme de la musique de Ravel. La berlinoise Elisabeth Tonev, lauréate en 2024 du prix Konstanze Vernon de la fondation Heinz Bosl et devenue première soliste de la compagnie bavaroise en 2025, interprète avec une grande intensité le rôle tendu d'une femme objet du désir et de la sensualité des hommes aux torses nus qui l'entourent et entrent à son approche dans un rythme et une transe hypnotiques. La danse d'Elisabeth Tonev colle très exactement à la musique avec laquelle elle entre en parfaite osmose. À Munich, le solo a été également répété par Osiel Gouneo, qui l'a dansé lors des deux premières, et également par Jakob Feyferlik, Violetta Keller et Ksenia Shevtsova. La chorégraphie est dirigée par les maîtres du Ballet Béjart, Julien Favreau, qui a lui-même interprété le rôle, et Piotr Nardelli. Une oeuvre mythique et fascinante qui clôture glorieusement une soirée chaleureusement acclamée et applaudie.

Crédit photographique © Nicholas MacKay

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