CHRONIQUE MUSICALE — OUVERTURE DU THÉÂTRE DE L'OPÉRA-COMIQUE.
Zampa, ou La Fiancée de marbre, opéra en trois actes, paroles de M. Mélesville, musique de M. Herold, décorations de M. Gué, mise en scène de M. Solome.–Première représentation.
Les chants de l'Opéra-Comique avaient cessé, il fallait un nouveau général, une suspension d'armes pour réparer son camp et reformer ses troupes. M. Lubbert est rentré en campagne par une victoire complète. Les faits parlent, et hier deux mille spectateurs ont été surpris, émerveillés des heureux changements, des avantages immenses que le théâtre Ventadour a reçus en si peu de temps. On sait que ces améliorations doivent se faire remarquer dans toutes les parties essentielles de 1'exécution. L'avenir de l'Opéra-Comique, son existence même paraissaient un problème, maintenant plus de doutes, de brillantes destinées lui sont réservées ; M. Lubbert vient de lui donner le soutien qu'il réclamait en vain depuis vingt ans ; la force musicale, le charme puissant de l'exécution.
Ce directeur avait déjà prouve son habileté en portant l'opéra-comique sur notre grande scène lyrique ; il ne se montre pas moins adroit en amenant au théâtre Ventadour les pièces à spectacle, les mélodrames qui semblaient réservés à l'Académie Royale de Musique. Mais les genres se trouvent ainsi confondus ? Qu'importe. L'objet principal d'un théâtre lyrique est d'obtenir de belles partitions et de les faire exécuter avec cette pompe, cette vigueur de moyens dont le public ne peut plus ne veut plus se passer. La comédie à ariettes surnageait encore ; la galère capitane du pirate Zampa vient de couler à fond la barque légère de Jeun Gau. M. Valentino a fait tonner son admirable orchestre, et ses premiers accents ont marqué le triomphe de la musique dans des lieux où l'on avait jusqu'à ce jour méconnu la puissance magique de cet art.
La salle Ventadour est grande, belle mais elle était peu favorable aux effets sonores. La cause en était connue, il a été facile d'arriver à de meilleurs résultats au moyen d'une nouvelle disposition de l'avant-scène et de t'orchestre. Le théâtre avancé de quatre pieds dans la salle place les acteurs dans l'enceinte où l'on doit les entendre, et les sons de la voix ne se perdent plus dans les frises. L'orchestre a suivi la même progression et se trouve maintenant dans une position plus centrale, son harmonie éclatante et bien nourrie se répand avec une parfaite égalité de forces dans toutes les parties de la salle. Je dois dire encore que le plancher de l'orchestre a été relevé et construit de manière à servir de table d'harmonie à cette précieuse réunion d'instrumens. Beaucoup de mutations ont eu lieu parmi les symphonistes, leur nombre a été augmentée et l'élite des violons de l'Odéon après avoir passée par le théâtre des Nouveautés est venue se placer sous le sceptre de M. Valentino. Grâce à ces puissants auxiliaires les forces de l'archet peuvent balancer la voix éclatante des instruments de cuivre et ne pas redouter le bruit des timbales du tambour, des cymbales et du triangle. Nos trois orchestres lyriques sont excellents : partout ou peut rencontrer l'aplomb, la hardiesse, la clarté, la justesse, l'éclat ; mais celui de l'Opéra-Comique l'emporte pour la vigueur et la verve d'exécution, c'est l'orchestre de la capitale qui sonne le mieux après celui du conservatoire. Honneur aux artistes qui le composent ! honneur surtout au chef qui les dirige avec une si rare intelligence
L'essai de ces nouvelles forces musicales devait être fait dans une pièce nouvelle. Zampa s'est présenté, et l'artillerie de l'orchestre faisant feu de tribord et de bâbord a merveilleusement secondé le pirate ; son navire est entré au port à pleines voiles, aux acclamations du public enchanté. Voyons la route qu'il a suivie.
La scène est en Sicile, le théâtre représente une salle gothique du château du seigneur Lugano, dont la fille va sa marier avec Alphonse de Monteza. Alphonse est un jeune officier sans fortune, mais il a sauvé la vie de Lugano, il aime Camille, en est aimé, le bonheur des jeunes époux est assuré, leur noce se prépare, un inconnu vient la troubler. C'est Zampa corsaire, que ses exploits et ses cruautés ont rendu fameux sur les côtes de Sicile. Ce brigand, arrive au château de Lugano, et vient annoncer à Camille que son mariage ne saurait avoir lieu puisqu'il s'y oppose, qu'il lui destine un autre époux et que cet époux c'est lui-même. Camille est au désespoir, et témoigne à ce nouveau prétendant toute l'horreur qu'il lui inspire. Zampa lui répond en lui montrant une lettre de Lugano, le malheureux vieillard est au pouvoir du corsaire, sa mort doit suivre le refus de Camille. On entend un coup de canon, il part de la galère capitaine, les entours du château sont gardés par les compagnons de Zampa, les pirates sont maîtres de la place, ils s'y établissent ; leur chef y commande en maître et fait tout disposer pour son mariage avec Camille, qu'il voulait épouser afin de s'emparer de son immense fortune ; il n'a pu ta voir sans en devenir amoureux. Que fait Alphonse pendant que le manoir de sa belle est le théâtre de tant d'événements funestes ? Je vous le dirai tout à l'heure ; il faut auparavant que je parle d'Alice de Manfredi, personnage muet, qui joue un grand rôle dans la pièce.
Victime d'un amour malheureux, séduite, abandonnée par le frère aîné d'Alphonse de Monteza, l'infortunée Alice de Manfredi est morte depuis douze ans au château de Lugano. Sa tombe est auprès de la chapelle, et son image figure parmi les statues dont la grande salle est décorée. On la révère comme une sainte. Les malheurs d'Alice sont connus de tout le pays et les jeunes filles chantent une complainte qui les rappelle avec fidélité. C'est auprès de cette statue que les corsaires se livrent aux transports d'une joie bruyante ; ils boivent, chantent, et Zampa voyant le portrait d'Alice qu'il a trompée d'une manière si cruelle a l'impudence de lui passer au doigt son anneau, de lui jurer fidélité jusqu'au lendemain et de la nommer sa fiancée. L'orgie continue, on boit à la santé de la fiancée de marbre. Camille fait appeler Zampa, le pirate s'empresse de se rendre à cette invitation ; mais avant de sortir de la salle, il veut reprendre sa bague. La statue lève son bras menaçant ; ferme la main et replie son bras sur sa poitrine pour retenir l'anneau. Ce prodige frappe de terreur les pirates; Zampa s'efforce de les rassurer, il les excite à boire, à chanter mais l'expression de leur terreur se mêle aux éclats de leur joie forcée. Ce morceau, parfaitement traité sous le rapport de la position dramatique, de la musique et de la mise en scène, a produit le plus grand effet. Le rideau tombe sur ce tableau. Camille a pour femme de chambre Ritta, jeune veuve dont le mari a été tué, dit-on, par la troupe de Zampa ; Ritta va convoler à de secondes noces avec Dandolo, sonneur de cloches de village. Ce mari n'est point mort, Daniel a pris du service, il est parmi les corsaires, les deux époux se reconnaissent, mais Daniel qui redoute l'indiscrétion de Ritta s'obstine à soutenir qu'elle se trompe, et le costume de seigneur qu'il a pris pour assister aux noces de son chef le seconde pour en imposer à la curiosité de Ritta. Cette scène très plaisante est terminée par un joli duo qui devient ensuite trio a l'arrivée de Dandolo. Ritta se trouve ainsi placée entre son mari et son fiancé.
Attiré dans un piège, Alphonse a été enlevé par les pirates, il parvient à se délivrer de leurs mains, et ne rentre au château que pour apprendre l'infidélité de Camille et voir les apprêts de son mariage avec son rival. Zampa n'est connu que de Camille, elle n'osele signaler dans la crainte de perdre son père. Mais Dandolo a vu les prétendus seigneurs mettre des coupes d'argent dans leur poche il a surpris quelques propos qui lui font croire que ces chevaliers et leur chef sont des brigands déguisés, il sait que Pietro, l'un d'eux, a été envoyé a Messine, et qu'on attend son retour avec impatience. Alphonse donne des ordres pour que l'on s'empare de Pietro et des dépêches qu'il apporte. Le théâtre représente la façade d'une chapelle et la mer dans le fond. Camille voit Alphonse et lui fait connaître toute l'horreur de sa situation, Alphonse désespéré, ne pouvant s'opposer de vive force aux projets de son rival entre dans la chapelle et va l'attendre au pied de l'autel. Zampa triomphant conduit sa nouvelle fiancée, mais Alice repose auprès de la chapelle, la statue couchée sur le tombeau se lève et le menace encore. Zampa seul l'a vue, Alphonse arrête son audacieux rival et reconnaît en lui te chef de pirates qu'il est charge d'arrêter et dont il a le signalement.
Le peuple menace Zampa ; ses compagnons revêtus de leurs habits de fête sont sans armes, et, pour comble d'infortuné, Piétro, saisi par tes soldats d'Alphonse, a livré les papiers qu'il apportait. Zampa ne trouble point ; cette pièce est sa grâce et celle de tous ses compagnons; le vice-roi vient de la lui accorder et de lui donner te commandement d'un vaisseau de l'État, afin de se délivrer d'un ennemi dangereux et de ramener cette troupe de braves sous la bannière de l'honneur. Le peuple applaudit, chante les louanges de Zampa qui épouse Camille à l'instant même. La cérémonie a lieu dans l'intérieur de la chapelle, un évêque assisté de plusieurs prêtres bénit le mariage, et les sons religieux de l'orgue se mêlent au carillon des cloches. Le peuple, à genoux sur la place et sur le perron de l'église fait des vœux pour le bonheur des époux.
Au troisième acte Camille est dans la chambre nuptiale et se livre à son désespoir. Un batelier chante sous ses fenêtres ; elle reconnaît la voix d'Alphonse, lui répond et bientôt le batelier est sur le balcon et dans la chambre de la mariée. Alphonse veut l'enlever ; elle refuse de le suivre; un serment solennel l'unit à Zampa ; sa fuite serait un crime. Le pirate vient auprès de Camille qui lui demande en grâce de se retirer dans le couvent de Sainte Agnès ; Zampa s'en offense, et lui dit qu'il connaît la cause de ses rigueurs : « Vous rougissez d'être l'épouse d'un chef de bandits ; mais rassurez-vous, je puis vous donner un titre digne de votre naissance et je pense que celui de comtesse de Monteza. À ces mots, Alphonse, qui s'approchait pour poignarder Zampa, laisse échapper son arme en reconnaissant son frère. On le saisit, on l'entraîne ; Zampa n'a plus de rival à redouter ; il supplie il menace Camille, qui se sauve et court embrasser le prie-Dieu et se mettre sous la protection de la divinité. Les rideaux de l'alcôve tombent ; Zampa les relève, et trouve la statue d'Alice à la place où Camille s'était prosternée. Alice entraîne Zampa dans l'abîme, et des flammes annoncent la punition du coupable. La scène change, et nous voyons Camille et Alphonse recevant dans leurs bras le vieux Lugano, rendu par les pirates et la statue qui a repris sa place sur son piédestal et son immobilité, au retour de son voyage souterrain.
On voit que ce sujet a des rapports avec celui de Don Juan. M. Mélesville ne pouvait éviter cette ressemblance sans renoncer au moyen le plus dramatique de sa pièce. La statue d'Alice est muette ; il eût été maladroit de faire accompagner une voix de femme par des trombones, cortège ordinaire des oracles et des ombres qui sortent du tombeau pour venir admonester les grands criminels. La voix de basse a seule la force et la solennité que réclament de semblables discours. Daniel pirate, dont la conscience est méticuleuse, est un autre Sganarelle qui fait des sermons à Zampa. Don Juan est le chef-d'œuvre des livrets d'opéra. Nous devons pardonner à M. Mélesville d'avoir conservé quelques traits de ce grand modèle ; d'ailleurs la nature de son sujet l'y forçait. Le livret de Zampa est parfaitement disposé pour la musique ; la fable en est fantastique, les situations intéressantes et conduites avec beaucoup d'artifice. Un auteur dramatique cherche des effets qui agissent fortement sur le public, et ne justifie pas toujours la conduite de ses personnages. À la fin du second acte, Zampa obtient sa grâce : le voilà absous de ses crimes, il rentre dans la société, il devient assez honnête pour n'être pas pendu. Et pourtant Zampa continue à se servir du moyen d'oppression qu'il a contre Camille, il la menace toujours du meurtre de son père.
La mus.que est d'un style vigoureux, soutenu dans son élévation toutes les fois que la situation dramatique l'exige ; le compositeur n'a été moins heureux dans la partie gracieuse de t'ouvrage. Cette partition fait le plus grand honneur a M. Herold ; je me propose de l'examiner en détail une autre fois, Zampa doit fournir une longue carrière à l'Opéra-Comique. [...] L'exécution a été bonne de la part des chanteurs ; les choristes se sont signalés ; l'orchestre a été admirable ; presque tous les morceaux ont été applaudis. ; plusieurs ont excité des transports d enthousiasme, tels que le finale du premier acte, la ballade [de Camille] chantée par Mme Casimir. Depuis longtemps l'Opéra-Comique n'avait obtenu un succès aussi brillant, aussi mérité. — X. X.X.
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| Mme Boulanger en Ritta © BNF/Gallica |
Le Journal des Débats du 10 mai 1831
J'ai promis un examen détaillé de la musique de Zampa. Je commence sans aucun prélude par le premier coup d'archet de l'ouverture ; il est du plus grand éclat, toutes les forces de l'orchestre se réunissent sur ce début rapide et brillant. Cette phrase est pleine de verve et de franchise, elle doit reparaître pour servir de motif principal au chœur des buveurs, et devenir ainsi le pivot sur lequel tourne la finale du premier acte. Après un exorde peu développe dans le ton de ré, l'archer et l'embouchure attaquent un si bémol à l'unisson qui est d'un grand effet et dont la vibration puissante et monotone contraste avec les jeux d'harmonie que le musicien a su lui faire succéder. Plusieurs modulations ingénieuses amènent un chant mélancolique et religieux où les bassons et les clarinettes jouent un rôle principal. Ce chant est celui de la ballade ou complainte d'Alice Manfredi. On voit que M. Hérold a suivi la marche adoptée par beaucoup d'auteurs en composant sa symphonie avec les motifs les plus remarquables de l'opéra. L'ouverture de Zampa offre pourtant une innovation qm mérite d'être signalée.
Après l'exposition des parties qui forment te premier plan de ce morceau, après la cadence sur la dominante du ton de la, arrive la phrase incidente écrite en la selon l'usage ordinaire. Mais cette phrase est répétée de suite en ré pour passer rapidement a la péroraison. Par ce moyen expéditif, M. Hérold ne s'arrête point en la, ne conclut point sa première partie avant d'attaquer la seconde. Son ouverture est d'un seul jet et file vers son dénouement avec la plus grande vivacité. Les instruments de cuivre ont une entrée dont l'éclat et la puissance agissent d'autant plus sur le public que l'exécution en est parfaite. La réponse des violons est dessinée de main de maître, et cette strette peut soutenir la comparaison avec ce que nous avons de mieux dans ce genre. Rossini avait déjà abrégé les ouvertures en supprimant le travail d'harmonie qui lie les deux parties bien distinctes d'une semblable composition. Il est vrai que Mozart avait déjà pris cette licence dans le Nozze di Figaro. Voilà que M. Hérold enchérit encore sur ses devanciers en retranchant une bonne moitié de cette première partie. Dans ce siècle, on est impatient, le public veut que les spectacles soient longs mais que l'on aille vite en besogne. Ou s'empresse de servir son goût.
L'introduction commence par un chœur dont le rythme rappelle celui des Deux Nuits : La belle nuit, la belle fête ; les repos, la cadence de ces mots Dans ces présents, quelle magnificence, ont appelé une même distribution de notes ; au reste, ce que j'en dis n'est qu'un petite chicane et n'enleva rien au mérite du morceau. L'air de Camille est bien ; en y remarque vers le milieu un trait d'orchestre plein d'élégance et de délicatesse. Cet air, encadré dans l'introduction, commence en la bémol pour finir en la naturel, je le crois du moins, peut-être me suis-je trompé. La tonalité du début ne m'avait laissé qu'une impression fugitive, lorsque je me suis avisé d'eu faire l'observation vers la fin. Cependant je persiste a penser que M. Hérold. a pris encore cette licence. Mme Casimir a dit cet air avec beaucoup de charme et l'a terminé par des traits exécutés hardiment, et dont la réussite a été complète. Un de ces traits, celui qui monte jusqu'à 1'ut en notes détachées tient de l'ancien style, et n'en a pas eu moins de succès devant le public de l'Opéra-Comique. À la bouillotte [jeu de cartes français basé sur le brelan], ou gagne souvent le coup par la fausse carte qui devait le faire perdre. Le chœur qui précède l'entrée d'Alphonse est d'un rythme original d'un joli dessin, mais les couplets que chante ce personnage sont faibles.
La ballade est un morceau qui devait captiver l'attention du spectateur, il fallait que la musique en lut agréable et variée dans ses formes ; c'est le récit des infortunes d'Alice Manfredi dont la statue agit d'une manière si importante dans la pièce. M. Herold a rempli ces conditions essentielles, sa ballade a fait fortune au théâtre, et sera bientôt chantée dans tous les salons. La partie historique est déclamée avec justesse et clarté sur un orchestre de la plus grande simplicité ; la physionomie du morceau change tout à fait sur la dernière phrase qui est une prière et le jeu d'instrumens à vent qui l'accompagne est d'une délicieuse suavité. Il est inutile de faire observer que le troisième couplet est soutenu par un accompagnement en rapport avec le dénouement de cette aventure tragique, et dans lequel les cors poussent d'harmonieux gémissements. Le trio Parlez bas est bien en scène ; c'est de la déclamation posée sur un orchestre agité ; la ritournelle finale est d'une piquante originalité de modulation et de dessin. Cette ritournelle s'éteint peu à peu, et le dialogue parlé recommence avant qu'elle ne soit finie. Pendant ce trio les personnages parlent pour ne rien dire et ne rien conclure ; la musique fait pardonner cette invraisemblance.
Le quatuor en canon est coupe à la manière des Italiens, c'est un des morceaux les plus remarquables de l'ouvrage. Je signalerai aux amateurs un dessein de violoncelle qui vient animer le motif à sa reprise, un agitato très dramatique, une superbe cadence finale. Le finale présentait de grandes difficultés pour le compositeur, et des objets de comparaison qui devaient l'effrayer. Dans le Comte Ory, dans les deux Nuits, MM. Rossini et Boieldieu avaient traité de scènes de buveurs de manière à laisser peu d'espoir aux musiciens qui seraient obligés de suivre leurs traces.M. Herold a triomphé de ces obstacles, et nous a donné un chœur de buveurs plein de vigueur et de folie, sans imiter en rien ses devanciers. Les chœurs de cette espèce, ceux des conspirateurs, ont un caractère si prononcé, leurs moyens d'exécution agissent si fortement sur le public, qu'un homme de talent a toujours beaucoup de chances de succès en écrivant un morceau de ce genre. La chanson de Zampa est une sicilienne c'est un fruit du pays, c'est sur ce rythme national que doit chanter un pirate sicilien, au pied de L'Etna. Cette chanson a de la rondeur et de la franchise, et le refrain dit à l'unisson par tous les choristes, ajoute encore à la vérité de ce chant, et le distingue du discours musical destine à suivre l'action dramatique.
Je dois signaler le trait que l'orchestre exécute lorsque Daniel reconnaît la statue d'Alice ; la marche de basse en est excellente, les triolets admirablement détachés par les violons sur l'entrée de Dandono ; la mélodie de la flûte, qui est toujours gaie bien que l'orchestre devienne sombre et agitée ; les contrastes enfin de la joie affectée de Zampa et de la terreur de ses compagnons. Ce finale est fort beau, il dure quinze minutes, on l'écoute avec intérêt, avec plaisir, d'un bout à l'autre, et cependant il y a peu de mouvement parmi les personnages. Le chœur religieux qui ouvre le second acte manque d'originalité, mais il est bien exécuté, quoique les chanteurs soient placés dans la chapelle et complètement séparés de l'orchestre. La cavatine de Zampa est très longue ; on écrit pour Chollet des airs interminables comme ceux que l'on faisait autrefois pour Martin. Je sais bien que le public se plaît a entendre ce chanteur, à l'entendre longtemps, cependant je crois que la cavatine de Zampa marcherait plus librement si l'on supprimait une de ses trois reprises. La cassette d'Harpagon était de la couleur des cassettes, la cavatine de Zampa ressemble un peu à toutes les cavatines. Le duo syllabique, chanté par Feréol et Mme Boulanger devient trio a l'arrivée de Dandono ; j'ai déjà fait l'éloge de ce morceau. Son exécution donnerait de bien meilleurs résultats, si l'un des deux comiques avait une voix de basse ; les voix de ténor ne conviennent point au débit rapide, elles fournissent trop peu de son, et ce son faible n'est pas convenablement placé pour l'effet. Dans le duo agité, chanté par Moreau et Mme Casimir, je signalerai d'abord un dessin d'orchestre bien suivi, un andante dans lequel les voix exécutent un joli trait en tierces sur un pizzicato d'un très bon effet, si l'on excepte pourtant quelques tierces ascendantes dont le mouvement ne s'accorde pas bien avec celui de l'accompagnement, et chagrine l'oreille dans un moment où l'auteur s'est proposé de le charmer. La strette marche bien ; la cabalette est noble et gracieuse, mais elle n'est pas sans rapports avec celle du duo du 2ème acte de Guillaume Tell.
Le chœur de la noce est fait avec adresse, voilà tout ; la barcarolle est charmante; l'air de danse est d'un bon effet, surtout quand il passe en mineur après l'apparition de la statue. La sombre vapeur qui se répand sur la scène éteint la lumière du jour et porte son voile sur les sons ; l'influence du spectre glisse un bémol sous les doigts des exécutants et donne ainsi une teinte de mélancolie à l'air de ballet. L'andante du second finale est bien fait et bien exécuté ; Mme Casimir, dont la voix s'est élevée jusqu'au ré descend au sol du contralto, ce qui marque une étendue de plus de deux octaves et demie. La strette est en mi naturel ; M. Herold pose sur cette tonique une modulation en fa naturel dont le résultat est plein de charme ; cette seconde est si bien préparée qu'elle perd toute sa dureté, le ton de fa s'empare tellement de l'oreille qu'il faut écouter avec beaucoup d'attention pour se convaincre que le mi sonne toujours à la basse.
Un troisième acte, à l'Opéra-Comique, est toujours peu garni de musique, on devrait adopter enfin la coupe italienne en deux actes, dont la disposition est bien plus heureuse pour un opéra. Rien n'est plus facile que d'établir cet usage, il suffit d'accorder aux auteurs le même droit pour deux que pour trois actes. Ils ne s'efforceront plus alors d'alonger leur partition pour nous donner un dénouement séparé du reste de la pièce par un entracte. La chanson d'Alphonse, déguisé en batelier, module comme la chanson du batelier d'Otello, et son refrain rappelle la romance du Crociato, giovinetto cavaliere [du Crociato in Egitto de Meyerbeer (1824)]. Le chœur de la sérénade est joli et très bien dit comme tous les chœurs de Zampa. Le dernier duo pourquoi trembler renferme une bette phrase que Chollet exécute avec autaut de charme que d'expresssion : cet acteur et Mme Casimir ont mis beaucoup de chaleur et d'entraînement dans la péroraison de ce duo.
J'ai fait connaître le fort et le faible de la partition de Zampa, la part de l'éloge l'emporte sur celle de la critique. Je le répète, ce nouvel opéra fait beaucoup d'honneur a M. Herold, ce compositeur n'avait pas encore atteint l'élévation de style que l'on applaudit dans Zampa ; c'est un opéra écrit en conscience, chose très rare de nos jours. Chollet est en possession des rôles de voleur et de pirate. Il a bien saisi le caractère de Zampa, son entrée, ses principales scènes ont produit tout l'effet qu'on devait en attendre. Il a joué son rôle en comédien et l'a bien chanté. Mme Casimir mérite les mêmes éloges, et la dernière scène du troisième acte a montré que les grands mouvements dramatiques n'étaient pas trop au-dessus de ses forces. Mme Boulanger a toujours beaucoup d'aplomb, et Féréol est assez plaisant dans le rôle de l'autre Sganarelle. Juillet est chargé de représenter le sonneur Dandono ; cet acteur n'a pas de grave dans la voix, ce rôle convenait à Henri, qui chante la basse et certes il n'eût pas été moins comique. Zampa éclipse son heureux rival. La partie d'Alphonse est peu importante et se compose seulement de deux chansons, d'un duo que Moreau chante avec Mme Casimir, et que l'on a applaudi.
Les costumes sont élégants et riches, les décors de M. Gué ont été remarqués, la chambre gothique surtout. La mise en scène que l'on doit à M. Solomé offre du mouvement et de la variété dans les groupes. La salle était pleine à la 3ème représentation de Zampa et le succès de cet opéra s'accroît de jour en jour. X. X.X.

Sources : Le Journal des Débats se trouve en lecture sur le site Gallica de la BNF. À noter que le même site propose les Indications générales et observations pour la mise en scène de Zampa, un texte extrêmement précis et détaillé rédigé par M. Solomé, le directeur de la scène du Théâtre Royal de l'Opéra-Comique.
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