| Photomontage de couverture du programme |
Dans le cadre de la Bachfest München 2025, le Theater-am-Gärtnerplatz a concocté une petite soirée intimiste de derrière les fagots avec en dégustation une version semi-concertante de la Cantate du Café et en apéritif deux sonates, l'une de Bach et l'autre de son élève Goldberg. Une petite heure d'un concert donné sur instruments baroques dans le beau foyer du théâtre.
Deux sonates
La Sonate en sol majeur pour violon et basse continue BWV 1021, date probablement de la période de Bach à Leipzig. La seule partition conservée fut copiée par Anna Magdalena Bach, la seconde épouse du compositeur avec des annotations de J.S. Bach. Musicienne, Madame Bach jouait du clavecin et copiait les pièces de son mari, qu'elle souhaitait visiblement comprendre parfaitement. Dans cette sonate, c'est au violon qu'est confiée la mélodie et les autres instruments jouent la ligne de basse et les accords.
La Sonate en trio en do majeur de Johann Gottlieb Goldberg avait autrefois été attribuée à Bach (elle fut cataloguée BWV 1067), une erreur qui s'explique par le fait que le style de la composition et la maîtrise du contrepoint de l'élève de Bach ressemblent à ceux du professeur. L'adagio fusionne avec élégance les lignes harmoniques des deux violons, la fugue est d'une construction magnifique, le largo est d'une émouvante intériorité et la gigue exprime une joie intense et expansive qui rappelle les oeuvres du Cantor. Les violons très expressifs de Kumiko Yamauchi et Susanne Sonnemann sont harmonieusement soutenus par la clavecin de Mairi Grewar et par le violoncelle de Clemens Weigel. Une sonate dont les ors flamboient dans le plus pur style italien.
La Kaffekantate, une mini opérette ou un micro opéra
La Cantate du café fut composée vers 1734 sur un texte du poète leipzigois Christian Friedrich Henrici qui, sous le pseudonyme de Picander, avait publié plusieurs volumes intitulés Ernst-schertzhaffte und satyrische Gedichte ("Poèmes gravement drôles et satyriques").
Introduit par les marchands vénitiens le goût du café s'était répandu en Europe dès le milieu du 17ème siècle. À l'époque de Jean-Sébastien Bach, l'Allemagne avait sacrifié à la passion pour le café et la ville de Leipzig n'avait pas fait exception. Le Café Zimmermann de la ville accueillait le Collegium Musicum, une association de musiciens et d'étudiants universitaires fondée par Telemann en 1702 et dont J.S. Bach assuma la direction à partir de 1729, six ans après son arrivée à Leipzig. Chaque semaine, on y donnait des concerts. Amateur de café, Bach en consommait trois tasses par jour. Il composa sa cantate pour le Collegium. Elle est écrite pour soprano, ténor et basse, avec accompagnement de flûte, instruments à cordes et clavecin.
Le texte de Picander trouve son origine dans une rumeur qui s'était répandue en Allemagne : on racontait que le roi de France avait interdit l'usage du café, parce que ce poison décimait les habitants de Paris. Évoquant un conflit générationnel, Picander se moque de l'engouement extatique des jeunes bourgeois pour le noir breuvage, dont la dégustation procurait grâce et émerveillement, et de leurs aînés qui le considéraient comme une drogue satanique. La jeune Liesgen est amoureuse du café dont elle affirme que le goût est plus suave que mille baisers. Son père, Herr Schlendrian (un nom péjoratif qui évoque la négligence ou encore un travail lourd et laborieux), cherche à préserver sa fille des dangers supposés des premières variétés de l'arabica et la menace de lui interdire le mariage. C'est ici que se termine le poème de Picander. Bach, qui révèle ici un humour et un sens de la plaisanterie raffinés, y rajoute un récitatif et un choeur finals où l'espiègle Liesgen déclare qu'elle n'épouserait que l'homme qui signerait au préalable un contrat lui autorisant de boire tout son saoul de café.
Bach réussit ici un délicieux badinage d'une richesse d'inspiration des plus ingénieuses aussi bien dans l'orchestration que dans le chant. La phalange musicale baroque des instrumentistes du Gärtnerplatztheater nous en livre une merveilleuse interprétation. La capricieuse Liesgen est accompagnée par une flûte langoureuse tandis que le père têtu se voit soutenu par une basse obstinée. La cantate a fait l'objet d'une petite mise en scène : Liesgen se fait apporter une série de tasses de café dont la taille s'accroît à chaque nouveau service ; les trois protagonistes de la cantate ont la couleur bordeaux en commun : la robe élégante de la jeune femme est d'un bordeaux bien chambré, la cravate du père, sur chemise rouge foncé, a des motifs bordeaux et la lavallière du narrateur se marie bien avec ce camaïeu de rouges.
Les chanteurs, tous trois exceptionnels, jouent le jeu aussi bien qu'ils le chantent. Ils rendent honneur à l'ingéniosité et à la richesse d'inspiration délicieuses de la partition. Le narrateur et bientôt fiancé est interprété par le ténor hongrois Guyla Rab qui chante sa partie de sa voix puissante et chaleureuse avec une diction et une projection parfaites. La soprano autrichienne Sophia Keiler, fraîche recrue de la troupe du théâtre qu'elle a rejoint la saison dernière, donne une jeune Liesgen ravissante, aussi passionnée qu'enjoleuse et astucieuse, à laquelle elle apporte sa voix lumineuse, crémeuse et légère comme la mousse dorée que l'on retrouve sur les meilleurs capuccinos. La basse bavaroise Lukas Enoch Lemcke endosse avec bonhomie le rôle du père débonnaire qui, malgré les profondeurs et les graves somptueux de sa voix chaleureuse et le parfait équilibre entre le souffle et la résonance, peine à résister à la détermination entêtée de sa fille et finit par se convertir à la chapelle du revigorant breuvage. Après les tasses, le trio cédera à la modernité des gobelets en carton recyclable, un dernier clin d'oeil amusé de la mise en scène. L'humour provient du texte plutôt que de la musique qui, d'une beauté toute séraphique, est comme en tension avec la trivialité de la dispute familière.
Distribution du 4 novembre 2025
Direction musicale : Eduardo Browne
Mise en scène de Daniel Vincent Huth
Dramaturgie András Borbély T.
Narrateur Gyula Rab
M. Schlendrian, le père Lukas Enoch Lemcke
Liesgen, sa fille Sophia Keiler
Violon baroque Kumiko Yamauchi , Susanne Sonnemann
Alto baroque Clara Holdenried
Violoncelle baroque Clemens Weigel
Contrebasse baroque Anton Kammermeier Flûte traversière Uta Sasgen
Clavecin Mairi Grewar
Visuels © Marie-Laure Briane
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