Andrey Zhilikhovsky (Achilla), Christophe Dumaux (Giulio Cesare), Yuriy Mynenko (Tolomeo), Olga Kulchynska (Cleopatra) |
" Ce qui est intéressant, c'est que nous avons affaire à un personnage complexe. Il est multiple, comme nous tous. Il est à la fois fort et lâche, héroïque et méprisable. Nous voyons la nature humaine lutter pour sa survie dans une situation extrême de combat constant et de danger perpétuel, et comment elle réagit. Cette observation est la plus précieuse. Nous ne divisons pas nos personnages en méchants et en âmes nobles. Personne n'est une simple représentation de la « bonté ». Après tout, chacun est capable de tout ; chacun peut franchir les limites à tout moment. Et pourtant, chacun peut aussi mériter une profonde compassion. "
Olga Kulchynska (Cleopatra) |
Pourtant Dmitri Tcherniakov a su dégager un espace pour le rêve, à la scène 2 de l'acte II. Il fait apparaître un orchestre au-dessus du bunker, qui joue une symphonie, une image poético-romantique qui contraste avec le reste de l'opéra. César entend dans les sphères célestes un son harmonieux qui le ravit ("Cieli, e qual delle sfere scende armonico suon, che mi rapisce?"). Le livret mentionne la vision du Parnasse où trône la Vertu, assistée des neuf Muses. Un moment de charme extatique, comme une oasis musicale, que l'humaine nature aura tôt fait d'occulter. Le Cesare de Tcherniakov " sombre dans une mélancolie prolongée, sentant que tout ce sur quoi il a construit sa vie, toutes ses valeurs, ont perdu leur sens. Il est peut-être le seul à ce stade de l'histoire à en être conscient. Il se sent comme un rien, un corps sans défense, perdu, vulnérable, en manque de soutien. "
Christophe Dumaux (Giulio Cesare), Federico Fiorio (Sesto), Lucile Richardot (Cornelia), Andrey Zhilikhovsky (Achilla) |
Emmanuelle Haïm, qui a déjà dirigé Giulio Cesare in Egitto à diverses occasions (à Chicago en 2007, à Garnier en 2011), apporte à la production toute son expertise haendelienne et s'applique à mettre en exergue la conduite dramatique de la composition dont la musique met en évidence et individualise la trajectoire affective et émotionnelle de chacun des personnages. De son clavecin, elle invite le Concert d'Astrée à rendre la veine lyrique, l'expressivité et les contrastes dramatiques de l'opéra de Haendel. Christophe Dumaux apporte sa connaissance de cet opéra qu'il a souvent abordé dans le rôle de Tolomeo pour lequel il est sollicité dans le monde entier. Il offre un Giulio Cesare vocalement accompli, souple et agile, semblant se jouer des difficultés d'un rôle dont il définit parfaitement le rythme et la cadence. Il campe son personnage avec prestance et autorité et, comme le veut le metteur en scène, l'entraine dans les dérives du désespoir. L'ukrainienne Olga Kulchynska fait des débuts glorieux à Salzbourg dans le rôle de Cleopatra, à laquelle elle confère l'irradiation lumineuse et les couleurs irisées de son soprano chaleureux. Déguisée en Lidia, une suivante de Cléopâtre elle est affublée d'une longue perruque rose qui conviendrait à un quelconque lupanar, elle apparaît par la suite au naturel et donnera un "Piangerò la sorte mia" époustouflant. La mezzo-soprano française Lucile Richardot habille de mâles vertus le personnage de Cornelia avec les profondeurs de sa voix puissamment dramatique, dotée de sombres couleurs, qui exprime remarquablement les affres de la maltraitance la plus infâmante. Federico Fiorio, qui a beaucoup pratiqué le rôle de Sesto la saison dernière dans le Nord de l'Italie, en donne une interprétation très juvénile de sa voix de sopraniste, un Sesto effondré par l'assassinat ignominieux de son père, un jeune homme agité de tremblements nerveux et qui peine à se maîtriser. Le contre-ténor ukrainien Yuriy Mynenko campe un Tolomeo au comble de l'ignominie, en long pardessus brun, les cheveux avec une longue frange latérale, à la démesure du personnage. Le baryton moldave Andrey Zhilikovsky fait des débuts salzbourgeois remarqués dans le rôle d'Achilla, qu'il interprète également pour la première fois avec les nuances très sombres d'une voix bien projetée. Troisième contre-ténor, l'Américain Jake Ingbar chante Nireno, eunuque et confident de Cléopâtre. Le jeune chanteur Roberto Raso réussit un excellent Curio.
Le spectacle a reçu des applaudissements nourris qui se sont vite mués en standing ovation.
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