La pièce de théâtre Pygmalion de George Bernard Shaw créée dans la capitale anglaise en 1914, est devenue mondialement connue grâce à la comédie musicale américaine que Frederick Loewe (musique) et Alan Jay Lerner (paroles et livret) en avaient tirée sous le titre My fair Lady. Elle fut jouée pour la première fois à Broadway le 15 mars 1956 avec Julie Andrews et Rex Harrison dans les rôles principaux, quasiment sans interruption jusqu'en 1962 (2717 représentations, un record pour l'époque), puis adaptée pour le cinéma en 1964 par le cinéaste américain George Cukor, avec Audrey Hepburn et le même Rex Harrison.
La comédie musicale connut sa première en langue allemande à Berlin en 1961, le cockney disparaissant au profit du slang berlinois. Cette production fut reprise à Munich en 1962. Vienne dut attendre 1963 pour voir la comédie musicale avec une reprise de la production berlinoise au Theater-an-der-Wien. La Volksoper présenta pour la première fois My fair Lady en 1979 dans une mise en scène de Heinz Marecek et dans l'excellente traduction de Robert Gilbert qui reste la référence dans les pays germanophones. En 1993, l'Opéra populaire donna une nouvelle version revisitée par Robert Herzl, qui remit l'ouvrage sur le métier en 2008. En ce mois de décembre 2024 une nouvelle version qui met l'accent sur les valeurs d'une société égalitaire vient de voir le jour. Elle est due à l'actrice autrichienne Ruth Brauer-Kvam qui nous fait voir d'un œil nouveau la manière dont les conventions sociales régissent une société. Vers la fin de l'opéra, on voit Eliza traverser la scène sur une bicyclette. Circuler sur un vélocipède ! Un acte révolutionnaire et avant-gardiste pour une femme du début du 19ème siècle, et qui devint un symbole de la libération de la femme.
L'action se déroule à Londres à l'époque victorienne, ce dont rendent merveilleusement compte la scénographie et les costumes de Rolf Langenfass qui nous plongent dans le Londres du début du 20e siècle. La reconstitution du centre de la capitale britannique avec la coupole de Saint-Paul qui domine les toits, les quartiers populaires avec un pub typique, fully licensed, le marché sis près de Covent Garden, l'intérieur grand bourgeois d'un professeur d'université, la reconstitution de la réunion chapeautée du derby du Royal Ascot avec sa tribune réservée, tout est réussi et très british.
Ce classique sur la société de classe anglaise, le pouvoir du langage et la lutte des sexes est un véritable spectacle culte : la comédie musicale raconte comment le professeur de phonétique, le Dr Higgins, transforme la vendeuse de fleurs Eliza Doolittle en une dame de la haute société. Jeune fille aussi vulgaire que jolie issue des milieux populaires, elle gagne sa vie en faisant et vendant des bouquets de violettes. Sans véritable éducation, elle ne parle que le cockney (ou ici le dialecte berlinois), cet argot des bas-fonds londoniens aux caractéristiques savoureuses, mais qui n'est compréhensible que par les Londoniens de souche ou par les spécialistes en lexicologie anglaise et autres phonologues. Eliza vend ses fleurs aux habitués de Covent Garden, le prestigieux opéra installé près de ce qui était alors un marché de fruits et légumes. C'est là qu'elle rencontre accidentellement le professeur Henry Higgins qui voit en elle la possibilité de mettre en pratique ses théories linguistiques et d'en faire une femme distinguée. À force de s'entraîner à parler, Eliza doit se débarrasser de ses origines « inférieures » et devenir une nouvelle créature façonnée par Higgins, qui n'est autre qu'une nouvelle version du mythique Pygmalion. Elle est ensuite fièrement présentée lors d'un bal. Mais Higgins manipule-t-il aussi les sentiments d'Eliza avec le langage ? Et parvient-on à se glisser dans une autre classe sociale comme dans un nouveau vêtement ? Les textes amusants d'Alan Jay Lerner et les tubes de la musique de Frederick Loewe, avec des chansons comme « Es grünt so grün wenn Spaniens Blüten blühen » ou « Ich hätt' tanzt heut Nacht », confèrent à l'intrigue un double fond, de l'humour et une portion importante de clins d'œil.
Royal Ascot — Manuel Rubey (Oberst Pickering), Paula Nocker (Eliza Doolittle), Lionel von Lawrence (Freddy Eynsford-Hill),Markus Meyer (Prof. Henry Higgins), Marianne Nentwich (Mrs. Higgins), Regula Rosin (Mrs. Eynsford-Hill) |
La jeune cheffe britannique Charlotte Corderoy a su imprimer un rythme entraînant à l'orchestre de la Volksoper. La découverte de la soirée est la prise de rôle d'Eliza Doolittle par la jeune Paula Nocker (27 ans) qui fait des débuts prometteurs à la Volksoper. Fille de deux acteurs allemands, née à Vienne, elle interprète la vendeuse de violettes avec un art de la scène consommé. Son père à la scène, le très alcoolisé Doolittle, est interprété par Karl Markovics, un acteur viennois qui a pratiqué le dialecte viennois dès l'enfance et dont on peut supposer qu'il a su en colorer son bagout plein de verve pour nous livrer un fabuleux numéro d'acteur. On ne sait si Markus Meyer en professeur Higgins finit par conquérir le cœur de sa pupille, qui veut se convertir en professeure de langues, mais cet excellent acteur et chanteur a su conquérir celui du public. Manuel Rubey fait lui aussi des débuts réussis dans la maison en Colonel Pickering. Se moulant dans la robe d'une grande dame, Marianne Nentwich incarne avec beaucoup d'aplomb, de bon sens et de cœur la mère du Professeur.
À défaut de comprendre tous les virelangues (ou fourchelangues) du texte allemand, on a pu apprécier au cours de cette excellente soirée les qualités articulatoires du chant proche du sillabato du professeur Higgins ou les prouesses dialectales, qu'elles soient berlinoises ou viennoises, d'Eliza avant sa métamorphose ou de son inénarrable père.
Distribution du 27 décembre 2024
Direction musicale Charlotte Corderoy
Mise en scène de Robert Herzl revisitée par Ruth Brauer-Kvam
Scénographie et costumes Rolf Langenfass
Orchestre et choeur de la Volksoper de Vienne
Ballet d'État de Vienne
Professeur Henry Higgins, expert en phonétique Markus Meyer
Eliza Doolittle Paula Nocker
Alfred P. Doolittle, son père Karl Markovics
Colonel Pickering Manuel Rubey
Freddy Eynsford-Hill Lionel de Lawrence
Mme Higgins, la mère du professeur Higgins
Mme Pearce Martina Dorak
Mrs. Eynsford-Hill, la mère de Freddy Regula Rosin
Crédit photographique © Barbara Pálffy/Volksoper Wien
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