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dimanche 12 septembre 2021

Henri Heine, une étude de Théophile Gautier

 

Portrait gravé sur acier de l'édition
Calmann-Lévy
Cette étude de Théophile Gautier ouvre le premier volume des oeuvres complètes de Henri Heine dans l'édition Calmann-Lévy de 1888.

HENRI HEINE 

    La dernière fois que je vis Henri Heine c'était quelques semaines avant sa mort ; je devais écrire une courte notice pour la réimpression de ses œuvres : il gisait sur le lit où le retenait cette indisposition légère au dire des médecins, mais qui ne lui avait pas permis de se lever depuis huit ans ; on était toujours sûr de le trouver comme il le faisait remarquer lui même, et cependant, peu a peu, la solitude s'agrandissait autour de lui ; aussi disait-il à Berlioz qui était allé lui rendre visite : « Vous venez me voir, vous ! toujours original ! » Ce n'était pas qu'on l'aimât et qu'on l'admirât moins, mais la vie emporte malgré eux les cœurs les plus fidèles ; il n'y a que la mère où l'épouse qui puissent ne pas abandonner une si persistante agonie. Les yeux humains ne sauraient, sans se détourner, contempler trop longtemps le spectacle de la douleur. Let déesses même s'en lassent, et les trois mille Océanides qui vinrent consoler Prométhée sur sa croix du Caucase s'en retournèrent le soir. 
    Lorsque ma vue se fut accoutumée à la pénombre qui l'entourait, car un jour très-vif eût blessé son regard presque éteint, je distinguai un fauteuil près de sa couche de grabataire et j'y pris place. Le poète me tendit avec effort une petite main douce, fluette, mate et blanche comme une hostie, une main de malade soustraite à l'influence du grand air, et qui n'a rien touché, pas même la plume depuis des années; jamais les plus durs osselets de la mort ne furent gantés d'une peau plus suave, plus onctueuse, plus satinée, plus polie. La fièvre à défaut de la vie y mettait quelque chaleur, et cependant à son contact j'éprouvai un léger frisson comme si j'avais touché la main d'un être n'appartenant plus à la terre. 
    De l'autre main, pour me voir, il avait soulevé la paupière paralysée de l'œil qui, chez lui, conservait une perception confuse des objets et lui laissait encore deviner un rayon de soleil comme à travers une gaze noire. Après quelques phrases échangées, quant il sut le motif de ma venue, il me dit : « Ne vous apitoyez pas trop sur moi ; la vignette de la Revue des Deux Mondes, où l'on me représente émacié et penchant la tête comme un Christ de Morales, a déjà trop ému en ma faveur la sensibilité des bonnes gens ; je n'aime pas les portraits qui ressemblent, je veux être peint en beau comme les jolies femmes. Vous m'avez connu lorsque j'étais jeune et florissant; substituez mon ancienne image à cette piteuse effigie.
    En effet le Henri Heine à qui j'avais été présenté en 183..., peu de temps après son arrivée à Paris , ne ressemblait guère à celui qui, alors, était étendu sous mes yeux, immobile comme un corps qui attend qu'on le couche au cercueil. 
    C'était un bel homme de trente-cinq ou trente-six ans ayant les apparences d'une santé robuste; on eût dit un Apollon germanique a voir son haut front blanc, pur comme une table de marbre, qu'ombrageaient d'abondantes masses de cheveux blonds. Ses yeux bleus pétillaient de lumière et d'inspiration; ses joues rondes, pleines, d'un contour élégant, n'étaient pas plombées par la lividité romantique à la mode à cette époque. Au contraire, les roses vermeilles s'y épanouissaient classiquement ; une légère courbure hébraïque dérangeait, sans en altérer la pureté, l'intention qu'avait eue son nez d'être grec ; ses lèvres harmonieuses « assorties comme deux belles rimes », pour nous servir d'une de ses phrases, gardaient au repos une expression charmante; mais, lorsqu'il parlait, de leur arc rouge jaillissaient en sifflant des flèches aiguës et barbelées, des dards sarcastiques ne manquant jamais leur but ; car jamais personne ne fut plus cruel pour la sottise : au sourire divin du Musagète succédait le ricanement du Satyre. 
    Un léger embonpoint païen que devait expier plus tard une maigreur toute chrétienne arrondissait ses formes : il ne portait ni barbe, ni moustache, ni favoris, ne fumait pas, ne buvait pas de bière, et comme Gœthe avait horreur de trois choses : il était alors dans toute sa ferveur hégélienne; s'il lui répugnait de croire que Dieu s'était fait homme, il admettait sans difficulté que l'homme s'était fait Dieu , et il se comportait en conséquence. Laissons-le parler lui-même et raconter ce splendide enivrement intellectuel. « J'étais moi-même la loi vivante de morale, j'étais impeccable, j'étais la pureté incarnée ; les Madeleines les plus compromises furent purifiées par les flammes de mes ardeurs et redevinrent vierges entre mes bras : ces restaurations de virginités faillirent parfois, il est vrai, épuiser mes saintes forces ; j'étais tout amour et tout exempt de haine ; je ne me vengeais plus de mes ennemis ; car je n'admettais pas d'ennemis vis-à-vis de ma divine personne, mais seulement des mécréants, et le tort qu'ils me faisaient était un sacrilège, comme les injures qu'ils me disaient étaient autant de blasphèmes. Il fallait bien de temps en temps punir de telles impiétés, mais c'était un châtiment divin qui frappait le pécheur, et non une vengeance par rancune humaine. Je ne connaissais pas non plus à mon égard des amis, mais bien des fidèles, des croyants, et je leur faisais beaucoup de bien. Les frais de représentation d'un Dieu qui ne saurait être chiche et qui ne ménage ni sa bourse ni son corps sont énormes. Pour faire ce métier superbe, il faut avant tout être doté de beaucoup d'argent et de beaucoup de santé ; or, un beau matin, c'était à la fin du mois de février 188, — ces deux choses me firent défaut, et ma divinité en fut tellement ébranlée qu'elle s'écroula misérablement. » 
    Je vis beaucoup Heine pendant cette période divine, c'était un dieu charmant — malin comme un diable — et très-bon quoi qu'on en ait pu dire. Qu'il me regardât comme son ami ou comme son croyant, cela ne m'importait guère, pourvu que je pusse jouir de son étincelante conversation ; car, s'il fut prodigue de son argent et de sa santé, il le fut encore davantage de son esprit. Quoiqu'il sût très-bien le français, quelquefois il s'amusait à déguiser ses sarcasmes d'une forte prononciation tudesque qui eût exigé, pour être reproduite, les étranges onomatopées par lesquelles Balzac figure dans sa Comédie humaine, les phrases baroques du baron de Nucingen ; l'effet comique en était alors irrésistible, c'était Aristophane parlant avec la pratique d'Eulenspiegel. 
    À son lyrisme se mêlait une sorte de force joyeuse, et si le clair de lune allemand argentait un des côtés de sa physionomie, le gai soleil de France dorait l'autre. Nul écrivain n'eut à la fois tant de poésie et tant d'esprit ; deux choses qui se détruisent ordinairement ; quant à la sensibilité nerveuse qui fait le charme de l'Intermezzo, du Tambour Legrand, des Bains de Lucques et de tant de pages des Reisebilder, il la cachait dans la vie ordinaire avec une pudeur exquise, et arrêtait à temps par un bon mot la larme qui eût débordé. 
    Pour sa mise, quoiqu'il n'eût aucune prétention de dandysme, elle était plus soignée que ne l'est ordinairement celle des littérateurs où toujours quelque négligence gâte des velléités de luxe. Les divers appartements qu'il habita n'avaient pas ce qu'on appelle aujourd'hui le cachet artiste, c'est-à-dire n'étaient pas encombrés de buffets sculptés, d'esquisses, de statuettes et autres curiosités de bric-à-brac, mais présentaient au contraire un confortable bourgeois où la volonté d'éviter l'excentrique semblait manifeste. Un beau portrait de femme par Lacmlein, représentant cette Juliette dont le poète parle dans le début d'Atta-Troll, est le seul objet d'art que je me souvienne d'y avoir vu. 
    Pour affermir sa divinité qui chancelait un peu, Henri Heine alla passer la saison des bains à Cauteretz, où il composa ce singulier poëme dont un ours est le héros, mêlant à la poésie la plus idéale les caprices les plus grotesques, et je le perdis de vue quelque temps. 
    Un matin l'on vint me dire qu'un étranger, dont je ne pus comprendre le nom défiguré par le domestique, demandait à me parler. Je descendis dans la pièce où je recevais les visiteurs, et je vis un homme très-maigre dont le masque rappelait celui de Géricault, et se terminait par une barbe pointue et fauve, déjà mêlée de beaucoup de fils d'argent. Je cherchai dans mes souvenirs quel pouvait être cet hôte matinal qui me saluait de mon petit nom et me tendait la main avec la franche cordialité d'un vieil ami. Je ne parvins pas à mettre un nom sur cette figure ainsi changée ; mais, au bout de quelques minutes de conversation, à un trait d'esprit de l'inconnu, je m'écriai: « C'est le diable ou c'est Heine. » C'était Heine en effet de dieu devenu homme.
    À quelques mois de là, Henri Heine prit le lit pour ne plus le quitter : il resta huit ans cloué sur la croix de la paralysie par les clous de la souffrance. Pendant cette longue agonie il offrit le phénomène de l'âme vivant sans corps, de l'esprit se passant de la matière, la maladie l'avait atténué, émacié, disséqué comme a plaisir, et dans la statue du dieu grec taillait avec la patience minutieuse d'un artiste du moyen âge un Christ décharné jusqu'au squelette, où les nerfs, les tendons, les veines apparaissaient en saillie. Ainsi dépouillé, il était beau encore ; et, lorsqu'il relevait sa paupière appesantie, une étincelle jail- lissait de sa prunelle presque aveugle; le génie ressuscitait cette face morte ; Lazare sortait de son caveau pendant quelques minutes : ce spectre, qui semblait dans ses linceuls une effigie funèbre couchée sur un monument, trouvait une voix pour causer, pour rire, pour lancer de spirituelles ironies, pour dicter des pages charmantes, pour donner l'essor à des strophes ailées, et, aux jours où la pierre de sa tombe lui meurtrissait plus durement les reins, pour gémir des lamentations aussi tristes que celles de Job sur son fumier. Ses amis devraient se réjouir de ce que cette atroce torture soit terminée enfin, et que le bourreau invisible ait donné le coup de grâce au pauvre supplicié ; mais penser que ce cerveau lumineux, pétri de rayons et d'idées, d'où les images sortaient en bourdonnant comme des abeilles d'or, il ne reste plus aujourd'hui qu'un peu de pulpe grisâtre, est une douleur qu'on n'accepte pas sans révolte. C'est vrai, il était cloué vivant dans sa bière ; mais, en approchant l'oreille, on entendait la poésie chanter sous le drap noir. Quel deuil de voir un de ces microcosmes plus vastes que l'univers et contenus par l'étroite voûte d'un crâne, brisé, perdu, anéanti ! Quelles lentes combinaisons il faudra à la nature pour former une tête pareille ! 
    Henri Heine était né le 1er janvier de l'année 1801, ce qui lui faisait dire en riant, qu'il était le premier homme du siècle. Töpffer remarque l'inconvénient qu'il y a, lorsqu'on vieillit, à porter le millésime de son siècle, qui vous avertit perpétuellement de votre âge et semble vous entraîner avec lui. Heine a quitté son compagnon à la cinquante-sixième étape. 
    Il faisait un temps froid, gris, brumeux ; l'heure indiquée pour le convoi était matinale ; quelques rares amis et admirateurs se promenaient devant la maison mortuaire, attendant que l'on se mît en marche pour le cimetière. Le poète avait défendu toute pompe, toute cérémonie ; il se regardait comme mort depuis longtemps, et il voulait que le peu qui restait de lui fût emporté silencieusement de cette chambre qu'il ne devait quitter que pour la tombe. — La vue du cercueil, très-large, très-long, très-lourd, où la mince dépouille était couchée plus à l'aise que dans son lit, nous fit souvenir involontairement de ce pas- sage de l'Intermezzo : « Allez me chercher une bière de planches solides et épaisses : il faut qu'elle soit plus longue que le pont de Mayence ; et amenez -moi douze géants encore plus forts que le vigoureux saint Christophe du Dôme de Cologne, sur le Rhin ; il faut qu'ils emportent le cercueil et le jettent à la mer ; un aussi grand cercueil demande une grande fosse. Savez-vous pourquoi il faut que le cercueil soit si grand et si lourd? J'y déposerai en même temps mon amour et mes souffrances. » 
    En effet, la bière n'était pas trop grande; et si on ne la jeta pas à la mer, on la descendit dans un caveau provisoire, en présence des poètes et des artistes français ou allemands, peu nombreux, qui se tenaient là respectueusement rangés, sachant qu'ils assistaient aux funérailles d'un roi de l'esprit, quoiqu'il n'y eût ni long cortège, ni musique lugubre, ni tambours voilés, ni drap noir constellé d'Ordres, ni discours emphatique, ni trépieds couronnés de flammes vertes. La dalle refermée, chacun redescendit la triste colline et se perdit dans l'immense fourmillement de la vie humaine. 
    Peu de poètes nous ont ému et troublé autant que Heine. — Nous ne savons pas l'allemand, il est vrai, et n'avons pu l'admirer qu'à travers la traduction ; mais quel homme doit être celui qui, dénué du rhythme, de la rime, de l'heureux arrangement des mots, de tout ce qui fait le style enfin, produit encore des effets si magiques ! — Heine est le plus grand lyrique de l'Allemagne, et se place naturellement à côté de Gœthe et de Schiller ; tel il nous apparaît, bien que la poésie traduite en prose ne soit que du clair de lune empaillé, comme il le dit lui-même. 
    Jamais nature ne fut composée d'éléments plus divers que celle de Henri Heine ; il était à la fois gai et triste, sceptique et croyant, tendre et cruel, sentimental et persifleur, classique et romantique, Allemand et Français, délicat et cynique, enthousiaste et plein de sang-froid ; tout, excepté ennuyeux. À la plastique grecque la plus pure il joignait le sens moderne le plus exquis ; c'était vraiment l'Euphorion, enfant de Faust et de la belle Hélène. 
    Ce n'est pas ici la place de faire une appréciation de son œuvre, qui parlera d'elle-même, mais nous pouvons du moins en rendre l'impression. Quand on ouvre un volume de Heine, il vous semble entrer dans un de ces jardins qu'il aime à décrire ; les sphinx de marbre de l'escalier aiguisent leurs griffes sur l'angle des piédestaux, et vous regardent de leurs yeux blancs avec une intensité inquiétante ; des frissons courent sur leur croupe léonine, leur gorge de femme palpite comme si un cœur battait sous le contour rigide ; les portes gémissent en tournant sur leurs gonds rouillés, et l'on croit voir un pli de robe disparaître sous l'arceau, comme si l'âme de la solitude s'enfuyait, surprise par votre approche. La mousse, l'ortie et la bardane ont poussé entre les dalles disjointes de la terrasse ; les charmilles non élaguées vous retiennent au passage par leurs branches et vous supplient de ne pas aller plus loin. Les roses semblent saigner au milieu des ronces, et les gouttes de pluie suspendues à leurs pétales brillent comme des larmes; les fleurs, étouffées par les mauvaises herbes, ont des parfums étranges qui asphyxient et donnent le vertige. Dans 1e bassin, l'eau noire croupit sous les lentilles vertes, et la Naïade tronquée est camarde comme le masque pâle de la Mort. Le crapaud sautèle à travers les sentiers et va conter votre venue à sa tante la vipère. Cependant le vent soupire ses élégies et le rossignol chante ses peines d'amours perdues ; à la fenêtre du manoir délabré apparaît une jeune fille, blonde et fraîche, serrée dans sa robe de satin, pareille à ces jolies Néerlandaises que Gaspard Nestcher aime à peindre dans un cadre de pierre ou de vigne vierge ; elle est charmante, mais elle n'a pas de cœur, et dans son sein se condense un petit glacier. Jamais elle n'aura de torts envers vous ; mais, si vous avez de l'âme et des nerfs, mieux vaudrait être épris de ces femmes qui portent le vice peint en rouge sur la joue. Elle vous fera mourir avec mille supplices innocemment diaboliques, et au jour du jugement vous ne vou- drez pas ressusciter, de peur de la revoir ! 
    Heine a cela de commun avec Gœthe, qu'il fait des femmes vraies, — une touche lui suffit pour qu'une figure se dessine vivante et complète. Quel charme décevant, quelle langueur perfide, quel rire d'hyène, quelles larmes de crocodile, quelle froideur brûlante, quelle flamme glacée, quelle coquetterie féline ! Jamais poète n'a mieux fait frétiller le bout de queue du dragon au coin d'une lèvre rose ; et avec quelle conviction il dit de Lusignan, l'amant de Mélusine : « Heureux homme dont la maîtresse n'était serpent qu'à moitié! » 
    Si Heine a sculpté dans le paros le plus étincelant des statues de dieux grecs et des bas- reliefs de Bacchanales aussi purs de forme que l'antique, il est au moins l'égal d'Uhland et de Tieck lorsqu'il raconte les légendes catholiques et chevaleresques du moyen âge. Il tire du cor merveilleux d'Achim d'Arnim et de Brentano des fanfares qui font tressaillir les cerfs au fond des forêts et s'abattre le pont-levis des manoirs féodaux. Quand il s'élance sur son destrier, il frôle bientôt de sa botte la jupe armoriée de la châtelaine en chasse, et nul ne manie l'épieu de meilleure grâce. 
    Nos mœurs littéraires, très- adoucies, peuvent faire paraître d'une grande cruauté quelques-unes des exécutions de Henri Heine ; il est impitoyable pour les mauvais poètes ; mais Apollon n'a-t-il pas le droit d'écorcher Marsyas ? La main qui tient la lyre d'or tient aussi le couteau pour disséquer le grossier satyre. — Terminons par cette page du livre de Lazare ; elle donnera une idée de la manière du poète, qui sait maintenant à quoi s'en tenir sur cette terrible question : 
    La pauvre âme dit au corps : « Je ne te quitte pas, je reste avec toi, avec toi je veux m'abîmer dans la nuit et la mort, avec toi boire le néant. Tu as toujours été mon second moi, tu m'enveloppais amoureusement comme un vêtement de satin doucement doublé d'hermine ; hélas ! il faut maintenant que toute nue, toute dépouillée de mon cher corps, un être purement abstrait, je m'en aille errer là-haut comme un rien bienheureux, dans le royaume de lumière, dans ces froids espaces du ciel où les éternités silencieuses me regardent en bâillant ; elles se traînent là, pleines d'ennui, et font un claquement insipide avec leurs pantoufles de plomb ! Oh ! cela est effroyable ! Oh ! reste, avec moi, mon corps bien -aimé !»     Le corps dit a la pauvre âme : « Oh ! console-toi , ne t'afflige pas ainsi. Nous devons supporter en paix le sort que nous fait le destin. J'étais la mèche de la lampe, il faut bien que je me consume : toi, l'esprit, tu seras choisi là-haut pour briller, jolie petite étoile, de la clarté la plus pure. Je ne suis qu'une guenille, moi. Je ne suis que matière : vaine fusée, il faut que je m'évanouisse et que je redevienne ce que j'ai été — un peu de cendre. Adieu donc et console-toi. Peut-être, d'ailleurs, s'amuse-t-on dans ce ciel beaucoup plus que tu ne penses. Si tu rencontres la Grande-Ourse à la voûte des astres, salue-la mille fois de ma part. » 

Théophile GAUTIER.

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