Rechercher dans ce blog

mardi 17 août 2021

Hermann Levi, un éloge funèbre

Le compositeur et chef d'orchestre Hermann Lévi est mort le 13 mai 1900 à Partenkirchen dans les Alpes bavaroises. Louise Debor publia son éloge funèbre dans le journal La Fronde le 16 mai 1900.

HERMANN LÉVI

   Les Parisiens se souviennent encore d'un soir de vendredi saint où, dans un éblouissement presque surnaturel, Parsifal leur fut révélé. L'orchestre de Colonne, merveilleusement discipliné et cependant comme traversé d'un souffle magnétique, était conduit par un chef étranger, familier aux fervents de Bayreuth : Hermann Lévi.
    Hermann Lévi vient de mourir. La France perd en lui un ami et un connaisseur délicat de son art et de sa littérature.
    Hermann Lévi fut, ce que chacun sait, un des premiers initiateurs, sinon le premier, de l'art wagnérien. Alors que Wagner était encore méconnu et bafoué de tous, même en Allemagne, Lévi devinait son génie, en recevait, si l'on peut dire, la révélation, embrassait la religion artistique nouvelle et lui vouait sa vie. Il faudrait ici pouvoir renforcer les mots pour exprimer le caractère fervent, divin, presque sacré de l'enthousiasme de Lévi pour la musique. Il recréait vraiment par l'amour, par la compréhension intense et profonde les chefs-d'œuvre qu'il avait mission d'interpréter. Et la plus grandiose, la plus auguste, la plus surhumaine des cathédrales de l'art, Parsifal, fut érigée par lui avec une ampleur, une sérénité et en même temps une passion frémissante et contenue, qui ne furent plus jamais égalées.
    Mais Lévi, qui aspirait Wagner de tout son être et à chaque minute de sa vie, n'était pas, — ce qui étonnerait bien des esthètes de chez nous, — un exclusif, un dédaigneux. Il avait gardé le culte des vieux maîtres, de Bach et de Beethoven. Il adorait Schumann qu'il jouait non en pianiste, mais en « amant », je ne trouve pas de meilleur mot. Enfin, parmi les contemporains, outre les jeunes Allemands, Richard Strauss et Humperdinck, il goûtait particulièrement les compositeurs français, Chabrier et Léo Delibes. Il aimait de Chabrier la sincérité, la fougue, la verve, la couleur, bref le tempérament, joint à une science musicale consommée. De Léo Delibes, l'aisance, le naturel, la grâce, le piquant, le brillant, qui lui semblaient qualités toutes françaises. Chose surprenante! il appréciait moins nos musiciens qui se forcent dans le wagnérisme, disait-il, et blâmait vivement ceux qui chez nous, méconnaissent le caractère national.
    Homme complet, s'intéressant à toutes les manifestations de la pensée et de l'art, Hermann Lévi était grand amateur de peinture. Il fut l'ami intime de Lenbach, le célèbre portraitiste munichois. Il possédait des œuvres de musée, et aux vieux maîtres allemands, les Lucas Cranach et les Dürer, se mêlaient dans sa galerie les toiles françaises de nos derniers salons.
   Enfin il avait une prédilection particulière pour notre littérature. De goût classique, gœthien passionné, il prisait moins Ibsen qu'Anatole France, dont la perfection attique l'enchantait au point qu'il essaya de traduire en allemand quelques-uns de ses contes. L'écrivain suisse Gottfried Keller fut son dernier enthousiasme.
    Hermann Lévi, par sa situation privilégiée d'artiste adoré du public, connut des triomphes faits pour enorgueillir un homme de médiocre caractère. Il reçut des marques d'estime et d'affection de souverains, hommes d Etat, de princes, de princesses, de savants, d'artistes, des personnages les plus éminents de toute l'Europe.
    Mais il resta pour ses proches un homme simple, affable, charmeur, qu'on ne pouvait voir sans l'aimer.
   Doué d'une sympathie, d'une vivacité, d'une fécondité intellectuelles qui perpétuaient sa jeunesse, il est mort sans avoir vieilli.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire