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jeudi 1 octobre 2020

Nel carcere di Ginevra — Le poème de Giovanni Pascoli consacré à Luigi Lucheni. Traduction française et analyse.

Par Police de sûreté du canton de Vaud — Archives cantonales vaudoises

NEL CARCERE DI GINEVRA

I

...Dormi - parlò, - figlio dell’uomo ignoto?
dal tuo delitto erri lontano? hai morso,
per non tornarvi, al dolce fior del loto?

dormi ? Oh! lontano tu sei già trascorso.
Nel sonno oscuro il tuo pensier calpesta
suolo senz’eco e vie senza rimorso.

Non m’odi ? Io pendo sopra la tua testa;
busso al tuo cuore taciturno e vuoto.
Sai chi ti chiama? sai chi ti ridesta?

dimi: sono il padre tuo, l’Ignoto.

II

Son io che uccisi, forse; io non veduto;
sì; io che piango a capo del tuo letto
e che parlo nel tuo carcere muto.
Piangiamo insieme. M’odi? Eri un reietto,
un solitario nella dura via;
andavi senza pane e senza tetto

e senza nome; e della legge pia
non t’accorgesti che per le catene;
e la tua patria t’intimò: Va via!

anche tua madre, Va! ti disse... Ebbene?

III

Eri — suprema gioia — eri innocente!
potevi dir tendendo le tue braccia:
«Voi tristi, io buono; e voi tutto ed io niente!

Perchè lo soffro, non perchè lo faccia,
conosco il male; e voglio che non resti
del vostro male nel mio cor la traccia:

io v’amo!» Eri innocente, eri dei mesti
di cui far bene è non dover, sì gioia:
eri la dolce vittima; volesti

essere... sciagurato, essere il boia!

IV

Qual tesoro di pianto non deterso
e non veduto, di superbo pianto,
hai con un’ebbra voluttà disperso!

hai rinnegato quel dolor tuo santo,
che venne teco a tanta via, che pure
ti si sarebbe addormentato accanto!

hai disertato dalle tue sventure!
hai voluto tiranno essere e reo!
perchè l’hai tolto a qualche regia scure

il ferro per il tuo pugnal plebeo.

V

Tuo focolare era il dolor del mondo,
o senza tetto! Uscisti: il tuo pugnale
cercò, cercò, con odio vagabondo.

Ma tu dicevi, nell’andar fatale,
vedendo il pianto in ignorate ciglia:
«Tu mi sei sacro per il pane e il sale:

ave, infelice della mia famiglia!
conosco il segno che non si cancella:
va!» ...No: con l’arma che gocciò vermiglia,

passasti il cuore d’una tua sorella!

VI

D’un’infelice!... Oh! la sua reggia? Niuna
la invidïò, che presso il foco spento
pure ci avesse un tremolìo di cuna.

Niuna il suo trono invidïò, che il lento
figlio aspettasse, tuttavia, lunghe ore,
nell’abituro battuto dal vento.

Niuna mutato il suo pur mesto cuore
col cuore avrebbe, che tu hai trafitto;
niuna, nel mondo in cui si piange e muore;

fuor che tua madre, dopo il tuo delitto!

VII

Or ella ha pace, e tu non l’hai: ti sento
gemere, o figlio. E sorge una lunga eco
nel cavo sonno al tacito lamento.

Tu non lo sai, quel sangue, più, nel cieco
errare: incontri i sogni che lo sanno;
ed un eterno calpestìo vien teco.

O nell’immoto sonno ombre che vanno!
Io piando, o figlio, sopra il tuo destino;
piango per ciò, che non t’uccideranno,

ti lasceranno vivere Caino!

VIII

Son io che uccisi forse; io che da’ lidi
lontani, senza disserrar le porte,
venni, e ti parlo; e piango, perchè vidi.

Vidi dall’alto, vidi dalla morte:
da quel supremo culmine del vero
tra voi non vidi il grande, il ricco, il forte,

re, plebe. Vidi un formicolìo nero
di piccole ombre erranti per le dune,
e ne saliva dentro il cielo austero

un grido d’infelicità comune.

IX

Tutti mortali — oh! tu lo sai! lo vuoi!
c’è, mancando la gran falce, il pugnale
piccolo! oh! sempre si morrà tra voi! —

tutti infelici! Che se c’è chi sale
e chi discende in questo fiottar lieve,
l’acqua ritorna, con la morte, uguale.

E l’odio è stolto, ombre dal volo breve,
tanto se insorga, quanto se incateni:
è la pietà che l’uomo all’uom più deve;

persino ai re; persino a te, Lucheni.

La traduction de Jean Dornis

DANS LA PRISON DE GENÈVE

    Dors-tu (dit-il), fils de l'homme inconnu ? erres-tu loin de ton crime ? as-tu mordu, pour n'y pas revenir, à la douce fleur du lotus?
    Dors-tu? Oh ! tu es déjà loin dans le sommeil obscur; ta pensée foule un sol sans écho et des chemins sans remords.
    Tu ne m'entends pas ? Je me penche au-dessus de ta tête, je frappe à ton cœur taciturne, vide. Sais-tu qui t'appelle, sais-tu qui te réveille ?
    Ecoute-moi : je suis ton père l'Inconnu.
    C'est peut-être moi qui ai tué, moi, non vu, oui, moi, qui pleure au chevet de ton lit et qui parle dans ton cachot muet.
    Pleurons ensemble. M'entends-tu? tu étais un réprouvé, un solitaire dans le dur chemin : tu allais, sans pain et sans toit, et sans nom ; tu ne t'aperçus de la loi que par les chaînes, et ta patrie t'ordonna : « Va-t'en ! » Ta mère aussi te dit : « Va ! » Eh bien ?
    Autrefois tu étais (joie suprême) tu étais innocent ! tu pouvais dire en tendant tes bras : « Vous êtes mauvais, je suis bon, vous « avez tout et moi je n'ai rien ! Parce que je le souffre, je connais le « mal, non parce que je le fais, et je ne veux pas qu'il reste dans mon « cœur trace de votre mal. »
    Quel trésor de pleurs non essuyés et non vus, de superbes pleurs, tu as, avec volupté gâché !
    Tu as renié cette sainte douleur qui t'avait suivie par tant de chemins et qui, enfin, se serait aussi endormie à tes côtés!
    Tu as déserté de tes malheurs. Tu as voulu être tyran et coupable; tu l'as arraché à quelque hache royale 
    le fer de ton poignard plébéien.
    Ton foyer était la douleur du monde, ô sans toit ! Tu sortis : ton poignard chercha, avec une haine vagabonde.
    Pourtant tu disais dans ta marche fatale, voyant des larmes en des cils inconnus : « Toi tu m'es sacré par le pain et le sel, « salut, ô malheureux de ma famille, je connais le signe qui ne « s'efface pas! »
   Non ! avec l'arme qui dégoutta vermeille tu as transpercé le cœur d'une de tes sœurs : d'une  malheureuse!
    Oh ! son royaume ? Personne ne l'envia qui eut près du foyer éteint, un frémissement de berceau.
   Personne n'envia son trône, de ceux qui attendaient de longues heures, le fils lent à revenir dans la chaumière battue du vent.
    Personne n'aurait changé son cœur triste contre le cœur que tu as transpercé, personne, dans le monde où l'on pleure et meurt, personne, sinon ta mère après ton crime !

* * *

    A présent Elle, elle a la paix, et tu ne l'as pas. Je t'entends gémir ô mon fils. Et de la secrète lamentation un long écho monte dans ton profond sommeil.
    Tu ne le vois plus ce sang dans ton aveuglement, mais tu rencontres des rêves qui s'en souviennent ; et un éternel piétinement te suit.
    Ô les ombres qui vont dans le sommeil immobile ! Je pleure, ô fils, sur ton destin ; je pleure parce qu'on ne te tuera pas.
    Ils te laisseront vivre, Cain !
   C'est moi q ui ai tué peut-être ? Moi qui des rivages lointains, vins, sans ouvrir de portes, et qui te parle. Je pleure parce que : 
    j'ai vu !
    J'ai vu d'en haut, j'ai vu « de la Mort ! » De ce suprême faîte du vrai, je ne distinguais plus entre vous, le grand, le riche, le fort, roi, plèbe. Je vis un fourmillement noir de petites ombres errantes par les dunes, et il en montait vers le ciel austère un cri de malheur commun.
    Tous mortels. Oh ! tu le sais ! tu le veux ! Il y a, quand tarde la grande faux, le poignard petit ! Oh ! toujours on mourra parmi vous.
    Tous malheureux ! Car s'il y a qui monte et qui descend, dans ces fluctuations légères, l'eau revient plane et unie, avec la mort.
    Et la haine est insensée — ombre au vol bref — qu'elle se révolte ou qu'elle emprisonne : c'est la pitié surtout que l'homme doit à l'homme, même aux rois, même à toi, Lucheni.

Giovanni PASCOLI.

(Traduction de JEAN DORNIS).

Une analyse

En 1925, Albert Valentin (1874-1930) publiait une intéressante monographie intitulée Giovanni Pascoli, poète lyrique (1855-1912) : les thèmes de son inspiration. Je lui emprunte le passage dans lequel il étudie le poème  Dans la prison de Genève, dans lequel Pascoli s'adresse à Lucheni.
[...] La stupidité humaine n’apparaît pas moins dans les crimes de vengeance accomplis par des égarés, au nom de doctrines sociales mal comprises. Pascoli cherchera sans doute les raisons de leur acte, leur trouvera même de lointaines excuses, mais réprouvera avec énergie le geste qui n’est pas d’un justicier, mais d’un insensé. L’homme dont la haine a armé le bras perd la sympathie que lui méritait sa souffrance, le prestige de l’innocence malheureuse et la joie suprême de pouvoir pardonner. En se faisant l’auxiliaire de la mort, il a tué, en même temps que sa victime, un idéal. Il a porté une main sacrilège sur ce qu’il y a de divin dans l’âme humaine ; il a détruit le pouvoir d’aimer même ceux qui nous font du mal. 
    Tel est le sens du poème Nel carcere di Ginevra, où l’on voit l’anarchiste Lucheni dans sa prison, après le meurtre de l’impératrice Elisabeth d’Autriche. L’ombre du premier coupable, du père inconnu de cet enfant trouvé, apparaît d’abord à l’assassin et s’accuse de l’avoir laissé au monde, sans soutien et sans secours. Il n’est donc pas entièrement responsable. Il a été rejeté par la société. Mais pourquoi n’a-t-il pas compris que la joie inestimable d’être innocent, l’orgueil d’être une victime, d’appartenir, comme disait Manzoni, à la famille des créatures que « la Providence prévoyante a mises parmi les opprimés », le plaçaient plus haut que les plus grands ? C’est la pure doctrine morale du christianisme qui se fait, entendre dans les vers de Pascoli : 

Tu étais, tu étais innocent, joie suprême! 
Tu pouvais dire en tendant tes bras :  « Vous, vous êtes 
méchants, moi je suis bon ; vous êtes tout, moi rien ! 

Moi, c’est de le souffrir et non de le commettre 
que je connais le mal ; et je veux qu’il ne reste 
nulle trace en mon cœur du mal que je reçois. 

Je vous aime! » Innocent, tu étais de ces pauvres 
pour qui faire le bien n’est pas devoir, mais joie. 
Tu étais la douce victime ; et tu voulus, 

devenir, malheureux, devenir le bourreau ! 

    Et le malheureux a tué une malheureuse comme lui. Malheureuse une reine ? Certes. Quelle est la femme, la mère qui enviait celle qui avait vu mourir tant des siens? Il a cru la punir. Il lui a donné enfin le repos de la mort. Mais le meurtrier n’a pas trouvé la paix dans son crime, qui devançait d’ailleurs de bien peu l'heure du destin. Les hommes, à quelque degré que la fortune les ait placés, riches ou pauvres, puissants ou misérables, sont également malheureux, puisqu’ils sont, mortels. Ils forment tous ensemble sur la terre une masse d’ombres errantes, d’où monte « le cri d’une infélicité commune » : 

Tous mortels et tous malheureux! Car si l’un monte 
et si l’autre descend au mouvement du flot, 
l’eau redevient ensuite avec la mort étale. 

Et la haine est stupide, ombres au vol si bref, 
qu’elle se révolte ou qu’elle impose des chaînes. 
C’est la Pitié surtout que l’homme doit à l’homme, 

qu’il doit aux rois, qu’il doit même il toi, Lucheni !

    Le poème finit sur cet appel au pardon. L’idée de mettre cette haute leçon dans la bouche du père coupable qui abandonna son fils ne laisse pas d’être étrange. Ce n’est pas de ce père dénaturé que l’on attendait une telle invitation à la pitié. Mais si Pascoli a choisi ce porte-parole, c'est qu’il parle « du haut de la mort, du faîte suprême de la vérité », d'où il comprend maintenant les véritables lois de la vie. Et c’est aussi pour cotte raison qu’il lui prête sur la sainteté de la douleur, la beauté de la résignation et le mérite des larmes, des accents proprement mystiques : 

Quel trésor de larmes que nul n’a essuyées 
et n’a vues, quel trésor de magnifiques larmes 
tu dispersas dans ton aveugle volupté! 
Car tu as renié cette douleur sacrée... 
Et ton foyer c’était, ô sans toit, la douleur 
du monde...

    Détruire la haine, apprendre à respecter la vie, à préférer la douleur à la vengeance, voilà ce que Pascoli a voulu enseigner d’abord. Maintenant il va exalter l’amour, il va montrer non point ceux qui frappent, mais ceux qui pardonnent : les victimes ouvrant les bras à leurs bourreaux, les âmes saintes brûlées de l'ardeur de la divine tendresse. [...]

 
Invitation à la lecture
    
J'invite les lectrices et lecteurs que l'histoire des Habsbourg et des Wittelsbach passionne à découvrir les textes peu connus consacrés à mon ami le prince héritier Rodolphe réunis dans Rodolphe. Les textes de Mayerling (BoD, 2020).

Voici le texte de présentation du recueil  (quatrième de couverture):

   Suicide, meurtre ou complot ? Depuis plus de 130 années, le drame de Mayerling fascine et enflamme les imaginations, et a fait couler beaucoup d'encre. C'est un peu de cette encre que nous avons orpaillée ici dans les fleuves de la mémoire : des textes pour la plupart oubliés qui présentent différentes interprétations d'une tragédie sur laquelle, malgré les annonces répétées d'une vérité historique définitive, continue de planer le doute.
   Comment s'est constituée la légende de Mayerling? Les points de vue et les arguments s'affrontent dans ces récits qui relèvent de différents genres littéraires : souvenirs de princesses appartenant au premier cercle impérial, dialogue politique, roman historique, roman d'espionnage, articles de presse, tous ces textes ont contribué à la constitution d'une des grandes énigmes de l'histoire.

Le recueil réunit des récits publiés entre 1889 et 1932 sur le drame de Mayerling, dont voici les dates et les auteurs :

1889 Les articles du Figaro
1899 Princesse Odescalchi
1900 Arthur Savaète
1902 Adolphe Aderer
1905 Henri de Weindel
1910 Jean de Bonnefon
1916 Augustin Marguillier
1917 Henry Ferrare
1921 Princesse Louise de Belgique
1922 Dr Augustin Cabanès
1930 Gabriel Bernard
1932 Princesse Nora Fugger

Le dernier récit, celui de la princesse Fugger, amie de la soeur de Mary Vetsera, est pour la première fois publié en traduction française. Il n'était jusqu'ici accessible qu'en allemand et en traduction anglaise.

Luc-Henri Roger, Rodolphe. Les textes de Mayerling, BoD, 2020. En version papier ou ebook (ebook en promotion de lancement).

Commande en ligne chez l'éditeur, sur des sites comme la Fnac, le Furet du nord, Decitre, Amazon, etc. ou via votre libraire (ISBN 978-2-322-24137-8)


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