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mercredi 28 octobre 2020

Le couple impérial à Pesth en 1857 — Une correspondance du Monde illustré

 



L'Empereur et l'Impératrice d'Autriche.

(Correspondance particulière du Monde illustré. Article publié le 13 juin 1857).

Pesth, le 6 juin.

    La mort si rapide qui a enlevé au jeune empereur et à la jeune impératrice d'Autriche l'aînée de leurs filles, la petite archiduchesse Sophie, a subitement interrompu le voyage de Leurs Majestés dans l'intérieur du royaume de Hongrie. L'entrée et le séjour de Leurs Majestés dans la capitale étaient déjà un fait brillamment et somptueusement accompli ; le départ de Pesth pour l'intérieur, d'abord fixé au 14, avait été inopinément rejeté au 23, par suite des inquiétudes causées par la mauvaise santé de la seconde fille de l'empereur, l'archiduchesse Giselle.Le 23 mai dernier, l'enfant se trouvait tout à fait bien ; Leurs Majestés avaient entrepris ce rude et fatigant voyage, ne prévoyant assurément pas que si peu de jours après ils auraient à l'interrompre pour revenir en toute vitesse à leur résidence impériale de Bude, et donner ce douloureux et poignant baiser de l'éterneladieu à l'autre de leurs filles, à l'aînée, à cette charmante petite princesse qu'une semaine auparavant nous voyions encore, du fond des équipages de la cour, adresser des sourires et faire des signes de main aux populations accourues pour les fêtes.
    Leurs Majestés, retournées à Vienne, reviendront-elles prochainement en Hongrie ? poursuivront-elles dans l'intérieur le voyage qu'elles avaient à peine commencé ? visiteront-elles les villes et les grands centres de population qui les attendaient et qui avaient fait des frais énormes pour répondre à la solennité d'une première visite d'impératrice ? Tout le monde l'ignore encore ; les uns disent oui, les autres non ; mais pour nous, le vrai est que personne n'en sait rien, et que d'ailleurs la tombe de l'enfant est trop récemment fermée pour que le père et la mère puissent eux-mêmes annoncer leurs décisions.
    Pour le moment, nous nous reporterons sur l'ensemble des circonstances de ce voyage, et comme nous étions peut-être le seul étranger à l'Autriche présent à l'arrivée impériale à Debreczin, arrivée qui a sitôt été suivie d'un départ inattendu, nous pouvons dire que nous ne parlons pas et ne racontons pas d'après des yeux d'emprunt.
    À ce voyage même se rattache une circonstance tout exceptionnelle qui lui donne un prestige peu ordinaire : je veux dire que son vrai but a été la présentation de la jeune impératrice, par son époux, à ces diverses populations, dont la réunion fait de l'Autriche une si étrange et si vaste mosaïque. Aussi faut-il bien le dire, les frais de réception ont été partout énormes et partout variés : en quelques districts, toutle pittoresque des vieux usages honorifiques a été remis en scène. Ainsi dans le district des Kumanyes et des Jazygiers, visités le 23 et le 24 mai par Leurs Majestés, la plus belle postérité des fils et des filles d'Attila est venu en costume traditionnel et exclusivement national présenter les cadeaux de la tribu au souverain et à la souveraine. D'admirables paysannes, reines de beauté et types de pur race, ont mis un diadème sur la tête de la charmante princesse, tandis que douze à quinze cents cavaliers-paysans, revêtus du dolman foncé et coiffés du kalpak noir, chevauchaient autour du trône dont ils étaient l'escorte.
    Partout où l'impératrice Elisabeth se présente, elle s'assure des suffrages, car sa figure et son maintien, doués de tant de jeunesse, sont pleins de charme et invitent à ce sourire aimable que produit toujours, sur les individus comme sur les foules, le spectacle de la beauté et de la grâce. Les peuples les plus froids comme les plus accessibles aux subites impressions adorent toujours la beauté extérieure, et lorsque les yeux sont séduits, l'esprit et le cœur suivent bien souvent les yeux. Les divers portraits qui existent de cette jeune impératrice, qui est une princesse de Bavière, m'ont, en général, tous paru fort au-dessous de la véritable ressemblance ; portraits équestres, portraits en pieds, portraits-figure, je n'en ai jamais rencontré un qui reproduisît exactement la finesse des traits, le sourire des regards et l'ensemble extrêmement gracieux et joli de la tête de cette souveraine : sa magnifique chevelure, rejetée à flots sur la nuque, conserve à la jeunesse de sa tête tout son éclat et rehausse en même temps la fraîcheur des tempes et du front. J'ai rarement vu femme se maintenir si belle en son printemps et gagner pareillement en beauté depuis ses fiançailles. Le hasard de mes voyages d'été, depuis quelques années, m'a mis à même de rencontrer souvent l'impératrice Elisabeth ; je la vis à Ischl, près de Salzburg, dès les premiers temps de son mariage; je la vis àVienne mainte et mainte fois, mais jamais je ne l'ai trouvée si radieuse et si jolie qu'en cette présente année et en ce présent voyage.
    Toutes les gazettes ont, à peu près, rendu compte de l'entrée solennelle de Leurs Majestés à Pesth ; nous ne redirons donc pas ce qui a déjà été dit, mais nous trouvons qu'on n'a point assez appuyé sur la splendeur et la tenue de quelques magnats hongrois, princes du cortège, soit par leur titre et leur position, soit parla somptueuse tenue de leur maison précédant ou accompagnant leur équipage. En raison de la seule richesse du costume, il n'est point de cortège qui puisse rivaliser avec le brillant et la magnificence d'un cortège hongrois, si petit et si peu nombreux qu'il soit. Un Magyar, en tenue traditionnelle, monté sur le plus bel animal de ses écuries non moins paré de chaînons et de bijoux que le maître, ou roulé dans un équipage de gala traîné par six chevaux est déjà tout un tableau. Aussi, pour être vrai, pour être exact, je dirai que ce qui distingua surtout le cortège hongrois de Leurs Majestés Apostoliques, le jour de leur entrée à Pesth, ce ne fut nullement le nombre des seigneurs et magnats, mais bien plutôt la pompe, l'éclat, la richesse, le superbe ton de la tenue de ceux qui y furent présents. Le vieux prince Batthiany, fort petit homme, mais extrêmement grand seigneur, était en un équipage si digne de sa fortune et de son nom, que la foule l'applaudit en certains endroits sur son passage : huit valets de pied à tricorne précédaient ses six chevaux d'attelage, conduits à la fois à la Daumont et à grandes guides; ses hussards traditionnels, avec peau de tigre au dos, servaient les portières du carrosse ; et, quant au prince lui-même, tout petit qu'il est de sa personne, il était certainement chargé de plus de perles et de bijoux qu'il faudrait pour orner trois couronnes de royaux. Le prince Esterhazy, héros de toutes les ambassades où il s'agit de sacrer ou marier des empereurs et des rois, et où il convient de porter sur soi pour un million et demi de diamants, tout en ne manquant pas d'esprit ni de verve, était aussi de cette fête et y faisait honneur ; après venait le lourd, mais assez imposant attelage où se prélassait Son Eminence le cardinal-prince-primat de Hongrie, et, en vérité, au passage de ses six pesants chevaux chamarrés d'armes d'Eglise et balayant la poussière de leurs queues à longs crins, on eût cru voir s'animer un détail d'une toile de Van der Meulen représentant le cérémonial des équipages du roi Louis XIV marchant à Versailles. Grand nombre d'autres étaient à la suite, et beaucoup, de forts brillants, à deux chevaux, aussi, avaient fort bel air et grand aspect, parmi les'quels la palme de l'éclat et du goût revenait à coup sûr à l'équipage du baron Simon Sina, dont les hussards, qui étaient d'argent sur azur, convenaient bien aux énormes frais du maître qui, pour les seules pierreries (émeraudes et diamants) de son costume porté en gala pour la première fois n'avait pas reculé devant une dépense de 370,000. francs. Après la suite des équipages des magnats, venait le groupe des magnats à cheval, mais il était peu nombreux. J'en ai compté douze, faisant fort belle et fort grande figure, ayant aussi à leurs côtés leurs hussards à pied. Le comte E Karoly montait un cheval pêche tout bardé de colliers et de médailles au poitrail et en têtière; on eût dit un de ces chefs de tribus orientales chantés dans les légendes. 
    Le malheur qui se mêle à tout, la fatalité cruelle qui aime à verser l'amertume, chez les petits comme chez les grands, sont venus apporter un souvenir de deuil maternel à ce voyage si bien entrepris. Nous ne pouvons que nous joindre à tous ceux qui déplorent cette douloureuse épreuve ; le fait est que le séjour de la résidence impériale de Bude avait tout d'abord séduit S. M. l'impératrice Élisabeth. Elle aimait ce splendide et grandiose aspect de cette capitale du royaume si majestueusement arrosée par la fougue capricieuse du Danube et dominée hautement par les collines pittoresques qui, à droite et à gauche, sur l'autre rive, servent d'assises à la tournure orientale de Bude. 
    Pendant ce même séjour de Leurs Majestés a Pesth et le troisième ou le quatrième soir, la ville offrit cet exemple rare d'une fête ou plutôt d'un spectacle public donné somptueusement aux frais d'un particulier à toute une population de 200,000 âmes. Assurément, au présent siècle, le fait est de peu de fréquence, mais ce qui est certain, c'est l'exactitude de ce fait et c'est aussi son succès. Il est vrai qu'aussi il faut reconnaître que celui qui offrait ce beau spectable public à Leurs Majestés, et à la population hongroise avide de ces curiosités fulminantes et fulgurantes, était M. le baron Simon Sina, c'est-à-dire un de ces hommes peu communs à trouver aujourd'hui pour lesquels les impossibilités du comte de Monte-Christo sont choses possibles et faciles. M. le baron Simon Sina — et je trouve cela fort remarquable - inaugure sa fortune comme d'autres la finissent, par testament ; il fait des donations si honorables, si considérables et si imposantes qu'en vérité, si on ne lui savait une fortune colossale, on croirait que le baron prend plaisir à exécuter lui-même son testament, afin d'éviter aux magistrats ad hoc tous les ennuis et discussions qui sont, en général, la triste suite de l'heure finale d'un ex-mortel très-millionaire. Par raison d'origine, — je cite ces détails à titre d'exemple — il donne un million à Athènes pour y asseoir une académie des sciences, par raison de citoyen, il comble de bienfaisances les pauvres de Vienne ; par raison de séjour il fait un bien énorme à ceux de Venise ; par raison de sympathie, il donne aux inondés de France, l'année dernière, 25000 fr. Donc, précédé par de pareils traits de genérosité, il se crut permis (et cette fois, par raison de baron hongrois et de haut propriétaire dans le royaume) de donner un lumineux divertissement à la population de la capitale, par un des plus beaux soirs du mois de mai. Moyennant 30,000 fr., il manda chez lui l'artificier de la cour de Vienne, et offrit à ses artifices pour scène et pour foyer le gigantesque pont du Danube, de telle sorte que pour loge de premières, Leurs Majestés n'eurent qu'à prendre le balcon de leur résidence impériale, splendide château dans le style le plus complet de Marie-Thérèse et qui est couronné par les hauteurs de Bude ; de telle sorte, dis-je, que pour stalles et pour parterre, la population entière eut d'un côté les collines et les montagnes, et de l'autre les immenses quais et les vastes rives du fleuve, dans les eaux enflammées duquel se reflétèrent, grâce à l'artificier viennois, les images d'un Vésuve en éruption et de mille autres inventions tout aussi infernales, mais non moins dignes d'être applaudies — et elles le furent — par les mains et les voix d'unefoule dont la place de la Concorde et les Champs-Élysées sont quelquefois à même de nous donner la mesure.
ARMAND BASCHET.

Invitation à la lecture

    
J'invite les lectrices et lecteurs que l'histoire des Habsbourg et des Wittelsbach passionne à découvrir les textes peu connus consacrés à mon ami le prince héritier Rodolphe réunis dans Rodolphe. Les textes de Mayerling (BoD, 2020).

Voici le texte de présentation du recueil  (quatrième de couverture):

   Suicide, meurtre ou complot ? Depuis plus de 130 années, le drame de Mayerling fascine et enflamme les imaginations, et a fait couler beaucoup d'encre. C'est un peu de cette encre que nous avons orpaillée ici dans les fleuves de la mémoire : des textes pour la plupart oubliés qui présentent différentes interprétations d'une tragédie sur laquelle, malgré les annonces répétées d'une vérité historique définitive, continue de planer le doute.
   Comment s'est constituée la légende de Mayerling? Les points de vue et les arguments s'affrontent dans ces récits qui relèvent de différents genres littéraires : souvenirs de princesses appartenant au premier cercle impérial, dialogue politique, roman historique, roman d'espionnage, articles de presse, tous ces textes ont contribué à la constitution d'une des grandes énigmes de l'histoire.

Le recueil réunit des récits publiés entre 1889 et 1932 sur le drame de Mayerling, dont voici les dates et les auteurs :

1889 Les articles du Figaro
1899 Princesse Odescalchi
1900 Arthur Savaète
1902 Adolphe Aderer
1905 Henri de Weindel
1910 Jean de Bonnefon
1916 Augustin Marguillier
1917 Henry Ferrare
1921 Princesse Louise de Belgique
1922 Dr Augustin Cabanès
1930 Gabriel Bernard
1932 Princesse Nora Fugger

Le dernier récit, celui de la princesse Fugger, amie de la soeur de Mary Vetsera, est pour la première fois publié en traduction française. Il n'était jusqu'ici accessible qu'en allemand et en traduction anglaise.

Luc-Henri Roger, Rodolphe. Les textes de Mayerling, BoD, 2020. En version papier ou ebook (ebook en promotion de lancement).

Commande en ligne chez l'éditeur, sur des sites comme la Fnac, le Furet du nord, Decitre, Amazon, etc. ou via votre libraire (ISBN 978-2-322-24137-8)



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