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dimanche 5 juillet 2020

Joseph Joûbert — Les châteaux du roi Louis II de Bavière (2) — Hohenschwangau et Neuschwanstein

Un texte de Joseph Joûbert, publié en 1911 à Angers dans les Mémoires de la Société d'agriculture, sciences et arts d'Angers.

Joseph Joûbert (1853-1925) fut journaliste et écrivain, membre de la Société des études coloniales et maritimes. Passionné de géographie, il travailla dans le domaine des sciences de l'information et de la documentation.

Les châteaux du roi Louis II de Bavière (suite)

Deux autres châteaux du roi Louis : Hohenschwangau et Neuschwanstein (qui l'un et l'autre rappellent en allemand le nom du cygne) se trouvent séparés par une courte distance, deux à trois kilomètres, et s'élèvent non loin de la petite ville de Füssen dans le cercle de Souabe et, qu'arrose le Lech, cet affluent du Danube aux capricieux méandres.

Le premier de ces châteaux, au-dessus duquel flotte l'étendard bleu et blanc de la Bavière, et qui, se dressant sur une éminence, domine cette cité pittoresque, accuse un caractère franchement gothique. C'est, une ancienne demeure seigneuriale, ayant jadis appartenu aux Guelfes, puis aux Hohenstaufen, pour passer, au XVIe siècle au pouvoir des ducs de Bavière ; le manoir, qui avait beaucoup souffert pendant les guerres de 1796 à 1814, tombait en ruines, lorsqu'en 1832, le prince royal de Bavière, le futur roi Maximilien II, en commença la reconstruction sur les plans de Quaglio. On monte par un escalier à lacets, bordé de parterres de fleurs, jusqu'à une voûte, couverte de lierre, portant au fronton les armes de la Bavière et des Schwanstein et qui donne accès dans une petite cour, d'où,l'on pénètre dans le château même.

Les étrangers, avant de commencer la visite, attendent dans la salle des Gardes, où des deux, côtés se dressent des armures en pied de chevaliers bardés de fer, casque, avec visière rabattue, en tête, et les gantelets appuyés sur. la lourde,épée, dont la pointe repose entre les jambières; et les solerets à la poulaine ; les murailles sont décorées de panoplies, de boucliers, de rapières, de mousquetons, de fusils à mèche et de lances ; des colonnes supportent la voûte polychrome à nervures ou compartiments et d'un joli effet. Dans le fond s'ouvre la porte de la chapelle aux riches vitraux artistiques.

L'énumération des nombreuses pièces : salle de billard, chambres à coucher, salle à manger, etc., serait fastidieuse ; je citerai seulement la Chambre orientale, celles de Schwangau, de Berthe, d'Agnès, des Hohenstaufen, du Tasse, des Guelfes et des Lombards, qui rappellent des souvenirs historiques.

La décoration, bien gothique, est, en général, plutôt curieuse que belle. et très inférieure, comme richesse, et luxe, à celle de Linderhof et des deux autres châteaux de Neuschwanstein et de Herrenchiemsee.

La plupart, des pièces sont ornées de belles fresques, quelques-unes vraiment remarquables, d'après les esquisses du peintre renommé Maurice de Schwind, et représentant des épisodes de la mythologie ou des annales, de l'Allemagne, par exemple : l'histoire des trois princes de la dynastie de Schyr, des Guelfes et des Hohenstaufen avec les phases mouvementées de leurs prouesses héroïques, au Moyen Age ; puis sur les murs se déroulent, en une série de tableaux, la légende de Lohengrin, le départ du Chevalier du Cygne, quittant le Gralsburg, la victoire du héros, le mariage de Lohengrin avec la duchesse de Bouillon ; plus loin les fresques célèbrent les fastes militaires de la Maison de Schwangau ainsi que ses alliances matrimoniales ; ailleurs c'est l'histoire touchante de Berthe aux longs pieds, l'innocente épouse, persécutée et enfin triomphante. 

L'ameublement en général est plutôt simple et, sauf quelques mélanges parfois peu heureux et de singuliers anachronismes qui jurent avec l'ensemble, il ne s'écarte guère du  style gothique ; mais ce qui frappe surtout, c'est l'image ou le monogramme du Cygne qui se retrouve partout pour ainsi dire : dans nombre de fresques, peint sur les murs comme motif de décoration, brodé sur les tentures ou sur les meubles, de toutes les tailles, en porcelaine, en faïence, que sais-je ? On peut bien dire que Hohenschwangau est le château du Cygne, comme Louis II, j'allais presque dire son adorateur, s'est symbolisé dans le Chevalier du Cygne aux rêves poétiques et aux idéales aspirations, mais isolé dans notre monde prosaïque et où domine l'égoïsme pratique. Avant de redescendre à Füssen, nous faisons le tour du petit parc entourant la demeure féodale et qui nous rappelle un peu les jolis jardins du palais de Monaco, eux aussi accrochés en quelque sorte au rocher et d'où l'on jouit également d'une vue magnifique ; ce qu'on remarque surtout à Hohenschwangau, c'est une fontaine abritée par des bosquets, avec des lions de pierre supportant une vasque et de la gueule desquels jaillit un filet d'eau qui retombe dans le bassin circulaire. Souvenir mauresque, plus ou moins fidèle, du merveilleux Alhambra de Grenade.

Neuschwanstein photographié en 1886 par Hugues Krafft (Source : album photographique
Karfft sur Gallica, BnF)
Neuschwanstein, la dernière création architecturale et le chef-d'oeuvre du royal Chevalier du Cygne, m'a produit, je l'avoue, une impression beaucoup plus intense. On arrive à ce prodigieux château par une forêt de pins séculaires, coupée'de torrents bondissants et que traverse une route en zig-zags, assez raide, à flanc de coteau et parfois côtoyant même le précipice.

Tout à coup, à un brusque détour du chemin, le visiteur se trouve face à face avec la colossale forteresse blanchâtre, aux puissantes assises, suspendues en quelque sorte au-dessus du roc presque à pic, avec ses galeries à colonnettes surplombant le gouffre, .avec son élégante dentelure.de créneaux, de tourelles, de pignons et de clochetons, qui pointent dans la nue ou se profilent sur les forêts épaisses et sur les sombres croupes des montagnes à l'arrière plan.

" Dans certaines de ces loggia l'on retrouve, a écrit  M. Ferdinand Bac, le balcon du palais impérial de Nuremberg ; ailleurs on se souvient de la Wartburg, le grand château des forêts de Thuringe, où vécut la sainte  Elisabeth de Hongrie, où Martin .Luther, prisonnier volontaire, traduisit la bible, et où enfin Richard Wagner mit son Tannhäuser. Dans les salles, on retrouve partout l'obsession de ces lieux prestigieux du théâtre, surtout avec ses effets trop pittoresques,  mais le théâtre était aussi avec la Nature le seul ami du Roi. Il y puisait des illusions qu'aucune réalité n'avait su lui donner. C'était la demeure de Lohengrin, et ce Lohengrin n'était-il pas né en face, sorti d'une antique légende à Hohenschwangau,  sur l'autre rocher ? Le cygne lui-même était incrusté depuis des siècles dans les blasons du vieux logis et l'enfant royal avait joué dans le battement de ses ailes blanches. » ,

La décoration intérieure de Neuschwanstein, comme celle de Hohenschwangau, mais plus riche, plus bariolée, plus opulente, est bien gothique ; dans les plus petits détails d'architecture et d'ornementation se trouve exprimée la caractéristique naïve et symbolique du Moyen Age, avec de fraîches couleurs animant les représentations picturales des candides légendes allemandes et des flamboyantes époques héroïques, chantées par les troubadours et que Richard Wagner, en les popularisant, a célébrées dans ses opéras, qui ravissaient l'âme extatique du Lohengrin moderne, son intime ami et son admirateur enthousiaste.

Il faudrait tout visiter dans ce palais enchanté, comme créé de toutes pièces par la baguette magique d'un Merlin ou la lampe merveilleuse d'un nouvel Aladin. Contentons-nous de mentionner les corridors dont les voûtes aux élégantes nervures multicolores sont supportées par des piliers aux chapiteaux en marbre de Falkenstein et figurant des têtes d'animaux très expressives ; sur les murs se déroule, en une série remarquable de fresques, la légende de Sigùrd, le héros mythique de l'Edda et des Nibelungen, son combat avec le dragon Fafnir, ses fiançailles avec Brûnehilde, qu'il abandonne après avoir bu le philtre maudit, le meurtre du héros, massacré par Guttorn, enfin le suicide de Brûnehilde désespérée sur le bûcher rutilant de Sigurd. 

La salle à manger et diverses chambres à coucher, ornées de mobilier gothique très fouillé, montrent une prodigieuse richesse avec le raffinement minutieux des détails. Inutile d'ajouter que là aussi les artistes ont multiplié le symbole du cygne. Dans une des pièces les plus luxueuses se voit représenté Sur des fresques tout le drame passionnant de Tristan et d'Iseult, une des plus belles épopées d'amour qui aient jamais été « connues, comme a dit Gaston Pâris, et qui a inspiré à Wagner l'un de ses plus célèbres drames lyriques, dont certains passages atteignent un pathétique déchirant.

Deux pièces sont vraiment merveilleuses et même éblouissantes, c'est la Salle du trône et la Salle des fêtes. La première mesure 20 mètres de long sur 12 de large et 13 de haut. Le coup d’œil est grandiose et digne de la plus splendide majesté royale; c'est le style byzantin dans son épanouissement le plus ruisselant et le plus fastueux ; l'impression sur le visiteur est d'autant plus saisissante qu'à la magie de l'art se mêle un caractère imposant dé sentiment religieux, les fresques- qui tapissent les murs rappelant avec piété l'alliance de la Royauté avec la Religion, depuis les temps les plus reculés, et des manifestations de la puissance royale pour introduire ou propager le christianisme. La beauté de la salle provient surtout des deux galeries superposées qui courent tout autour, avec leurs élégantes arcades et les superbes colonnes, les unes en porphyre, les autres en lapis-lazuli, les bases étincelantes d'or, et les chapiteaux rehaussés de remarquables sculptures. Le pavage est composé des mosaïques les plus rares, et à la voûte, non moins opulente, rayonne, parmi des scènes pieuses, saint Michel, ceint du glaive flamboyant et qui terrasse le prince dés ténèbres râlant sous le talon vainqueur de l'archange !

À une extrémité s'élève la tribune, elle aussi étincelante, et à l'autre, en face, est placée l'estrade du trône, à laquelle on accède par neuf marches en marbre blanc. Là, sous un luxueux baldaquin, supporté par quatre belles colonnes, devait se dresser le trône tout en or massif et en ivoire ; en arrière s'ouvre une petite baie ornée de palmes et de lions couronnés, tapissée de magnifiques fresques offrant au regard les portraits des six rois saints : Casimir dé Pologne, Etienne de Hongrie, Henri II d'Allemagne, Ferdinand III d'Espagne, neveu de Blanche de Castille, saint Louis (de France) et Edouard le Confesseur d'Angleterre.

La Salle des Fêtes, longue de 27 mètres et éclairée par dix larges fenêtres à triples meneaux, avec la somptuosité de ses décors, la splendeur de ses énormes lustres et de ses candélabres si fouillés, avec sa fastueuse tribune aux fresques rappelant les épisodes du poème épique de Parsival, la Table ronde, la cour du roi Arthur et la royauté du mystérieux Graal, cette Salle des Fêtes, dis-je, peut presque rivaliser de fulgurant éclat avec l'éblouissante Salle du Trône, où vraiment l'art s'est surpassé.

Mais le bijou, la perle de Neuschwanstein c'est la Loggia, « le sanctuaire des éblouissements », comme l'avait nommée l'impératrice Elisabeth, elle aussi une Wittelsbach, la seule femme que pouvait supporter le Solitaire bavarois et également marquée au front par la destinée pour une mort si tragique ! La Loggia carlovingienne d'une simplicité voulue, avec ses colonnes élancées, ses baies si légères et élégantes, son dragon ailé qui semble en garder l'accès jalousement, est surtout renommée pour le panorama d'une beauté incomparable dont l’œil y jouit, en contemplant le merveilleux paysage : les deux admirables lacs d'azur, aux ondes si transparentes et que fend le gracieux sillage de cygnes au col de neige, dorment paisibles ; sur le cristal de leur miroir s'allongent, au déclin du jour, comme autant de spectres de légendaires héros, les grandes ombres mystérieuses des sapins centenaires, ou bien, à l'heure solennelle du crépuscule, plane, avant de regagner son aire aérienne, un aigle altier dont les ailes éployées décrivent dans les abîmes célestes les troublantes ellipses de son vol majestueux.

Louis de Bavière avait une prédilection pour ce coin enchanteur où, les yeux noyés dans ces beautés quasi divines, il oubliait tous les soucis qui assiégeaient son esprit tourmenté et trop altéré d'extase. C'est là que devait commencer le drame de l'abdication forcée et de la courte captivité royale, lorsque dans la nuit historique du 11 juin 1886 le Dr Gudden, son geôlier et bientôt sa victime, commit le crime de lèse-majesté, en venant arrêter le roi de Bavière, l'étrange monarque tudesque qui s'était identifié en un nouveau Louis Le Grand (de France).

Il n'y a pas de parc proprement dit autour de Neuschwanstein ; mais c'est un plaisir ineffable de se promener dans les sentiers accidentés, qui sillonnent l'imposante forêt, peuplée de beaux sapins ; un quart d'heure de marche mène à un pont en fer d'une extrême légèreté et d'une singulière hardiesse, Marienbrücke. jeté entre deux énormes roches et où, à une vertigineuse profondeur, écumant ,entre les pins penchés et les blocs rongés, dévale avec fureur dans la Pollatschlucht, un torrent aux ondes mugissantes. Le coup d’œil est admirable sur le château colossal d'une architecture si mouvementée et dont trois côtés aux puissantes assises plongent à pic pour s'étayer sur la roche escarpée, sur la saillie abrupte.

(À suivre)




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