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vendredi 26 juin 2020

26 juin 2020 — 150ème anniversaire de la Walkyrie de Richard Wagner créée à Munich le 26 juin 1870

Therese et Heinrich Vogl en Sieglinde et Siegfried
(répétition générale de 1870)
Aujourd'hui, il y a 150 ans jour pour jour, la Walkyrie était créée au Théâtre national et de la Cour de Munich par ordre du roi Louis II de Bavière et contre la volonté de Richard Wagner. Pour célébrer dignement cet anniversaire, Munichandco vous offre les articles que le Guide musical et le Ménestrel, célèbres hebdomadaires musicaux de l'époque, consacrèrent de janvier à novembre 1870 à la création de cet opéra, le Ménestrel reproduisant ici et là le Guide musical. Nous terminons notre dossier avec l'article de l'anti-wagnérien Petermann dans la Revue britannique,  qui s'applique à dénigrer le chef-d'oeuvre de Richard Wagner de sa plume trempée dans l'acide.

Le Guide musical

20 janvier 1870

MUNICH. — Les rôles de la Walkyrie de Wagner sont déjà distribués. Mais les répétitions ne commenceront qu'après le retour de Mlle Stehle, qui chantera le rôle de Brunhilde et qui donne en ce moment des représentations à l'étranger.

3 mars 1870

MUNICH. —  Les répétitions de la Walkyrie, de R. Wagner, ont commencé le 20 février ; la première représentation aura lieu vers la fin du mois de mars. On travaille jour et nuit aux machines et aux décorations.
M. Wullner, maître de chapelle de la cour, paraît décidé à renoncer à la direction de l'orchestre de l'Opéra et il fera bien.
Richard Wagner aura terminé cette année la troisième partie des Nibelungen. Il s'occupera ensuite delà composition de son Bouddha et de son Perceral, dont les textes sont déjà achevés. Wagner compte avoir écrit, d'ici à quatre ans ces nouvelles partitions qui serviront de couronnement à son œuvre. Il s'occupera alors, plus directement qu'il ne l'a fait jusqu'à présent, de la représentation de ses ouvrages conformément à ses intentions

7 avril 1870

MUNICH. — La première partie des Nibelungen de Richard Wagner sera décidément représentée dans le courant du mois de mai. Le roi a donné l'ordre de hâter les préparatifs, de telle sorte que la Walkyrie, aussi bien que l'Or du Rhin, puissent être joués avant son départ pour la campagne. La reprise de l'Or du Rhin donnera lieu à une mise en scène entièrement nouvelle ; les machines et les décors, aussi bien que ceux de la Walkyrie, seront exécutés d'après les indications du machiniste Brandt, de Darmstadt. Ces travaux sont déjà terminés et mis à la disposition de l'intendance. Sous le rapport musical, les choses sont loin d'être aussi avancées ; pour la Walkyrie, à part les études particulières de quelques chanteurs et chanteuses, comme Vogl (Siegfried) et Mme Vogl (Sieglinde), Mlle Stehle (Brunhilde), Bausewein (Hunding), rien n'a encore été fait jusqu'à présent, parce que la mal heureuse question du chef d'orchestre n'est pas encore résolue. Dans les circonstances actuelles, on ne peut songer ni à Bulow ni à Richter, et quant aux maîtres de chapelle présents, MM. Wullner, Meyer, Zenger, personne, en haut lieu ni ailleurs, ne veut en entendre parler. Aussi, l'intendance se trouve-t-elle dans un grand embarras, d'autant plus que sa tentative pour décider Wagner à désigner pour la Walkyrie un chef d'orchestre à son gré, semble avoir échoué contre le refus obstiné du compositeur de se mêler des affaires du théâtre de Munich.

2 et 9 juin 1870

RICHARD WAGNER & L'OPERA DE MUNICH.

M. le maître de chapelle Esser ayant demandé à Richard Wagner s'il y avait quelque espoir de voir représenter la Walkyrie sur le Théâtre royal de Munich, dans un temps plus ou moins éloigné, et notamment si l'illustre compositeur prêterait son concours à l'étude de son œuvre, il a reçu la réponse suivante et l'a livrée à la publicité, selon le désir exprimé par l'auteur :

Mon estimable ami,

La question que vous m'adressez au sujet du caractère de la représentation projetée de ma Walkyrie à Munich, m'est parvenue, dans ces derniers temps, des côtés les plus différents. Je désire y répondre une fois pour toutes, et c'est pourquoi il me serait très-agréable de vous voir donner à ma réponse la publicité que vous jugerez convenable.
Je suis redevable à la magnanimité de mon auguste protecteur, le roi Louis II de Bavière, non-seulement de ce que mes créations et mes travaux artistiques ne soient pas entièrement disparus, comme cela était facile à prévoir, de ce qu'il soit encore question des ouvrages qui ont suivi le Lohengrin, mais surtout de ce que je puis, après onze années d'interruption, reprendre la composition de mon Anneau des Nibelungen, et, comme j'en suis sûr à présent, le ter miner réellement.
Ce qui rend cet immense bienfait plus fécond encore, c'est la persuasion que m'a donnée mon généreux protecteur, qu'après complet achèvement, mon œuvre serait aussi représentée entièrement selon mes intentions. Je ne doute aucunement qu'on ne me mette un jour à même de faire représenter l'Anneau des Nibelungen de la manière que j'ai exactement indiquée comme indispensable dans la préface dont j'ai accompagné la publication du poème. J'espère arriver dans le courant de l'année prochaine à la fin de ce travail fatigant de la composition musicale de la dernière partie aussi ; et rien alors ne s'opposera plus, pour ce qui me concerne, à la représentation de l'ensemble en 1872.
Comme j'avais à obtenir surtout, pour l'exécution de mon ouvrage, le temps et les délais nécessaires, je crus me rendre digne de cette faveur en m'attachant à réaliser, dans la mesure du possible, le désir témoigné par mon auguste protecteur, de connaître dès à présent quelques parties de mon œuvre. Il y a environ deux ans, comme il y avait apparence que je pourrais acquérir une influence suffisante sur les agissements artistiques du théâtre royal de Munich, il m'était permis aussi d'espérer qu'en accomplissant le vœu si honorable pour moi de mon généreux protecteur, loin d'être infidèle à mes principes artistiques, je les favoriserais bien plutôt, en préparant peu à peu le terrain propre à la réalisation de mes tendances.
Ainsi que vous l'avez déjà appris d'autre part, je dus bien vite renoncer à l'espoir de me maintenir dans un accord salutaire avec l'administration du théâtre royal. Il ne me restait donc d'autre parti à prendre que de laisser le théâtre royal de Munich, tel qu'il est, suivre sa voie sans m'en occuper davantage, mais d'un autre côté, puisque ce désir persistait eu haut lieu, de ne mettre aucun empêchement à la représentation souhaitée des parties détachées de mon ouvrage.
Par suite du bienveillant accomplissement de ma prière à ce sujet, je suis aussi dispensé de toute obligation de prêter ma coopération à ces représentations partielles, et certes, je me sens ainsi déchargé d'une exigence très-pénible. La représentation prochaine de la Walkyrie sera-t-elle rendue possible ? Cela m'est aussi inconnu qu'il me serait difficile de deviner si elle pourrait réussir, dans le cas où elle serait possible. Quoi qu'il en soit, le désir qui provoque ces représentations est respectable pour moi ; c'est en même temps un heureux signe de la persistance vivace de la généreuse sympathie à laquelle non-seulement j'ai à rendre grâce de pouvoir achever mon œuvre, mais à laquelle je devrai certainement d'en voir une noble représentation.
Alors seulement, je prendrai encore part à une représentation publique. Mais jamais plus je n'écrirai un ouvrage pour nos théâtres d'opéra, ni ne leur en livrerai un seul ; avec les Maîtres Chanteurs, je suis entré en contact pour la dernière fois avec ces théâtres.
En voilà assez là-dessus ! Maintenant, recevez encore mes félicitations d'être arrivé aussi dans un asile qui vous préserve de tout rapport ultérieur avec le système et le théâtre d'opéra allemand.
Salutations cordiales de votre dévoué,

Richard Wagner.
Triebschen, près de Lucerne, 16 mai 1870.

26 mai 1870


MUNICH. — Après de longues recherches, l'Opéra a enfin découvert un chef d'orchestre pour diriger la Walkyrie de Wagner. C'est M. Marpurg, actuellement maître de chapelle en second à Darmstadt.

2 et 9 juin 1870

CARLSRUHE. — Notre maître de chapelle M. Lévi avait été choisi par M. l'intendant de Perfall pour diriger à Munich la Walkyrie de Wagner. Après de longues négociations, M. Lévi se déclara prêt à se mettre à la tête de l'orchestre, si le compositeur lui-même en tombait d'accord. Mais l'attitude réservée que garde Wagner au sujet de l'Opéra de Munich rendait une entente à peu près impossible. Des scrupules purement artistiques ont décidé M. Lévi à renoncer, par égard pour les désirs du compositeur, à cette occasion séduisante de faire valoir sur une des principales scènes de l'Allemagne son remarquable talent de chef d'orchestre.

MUNICH. — Par suite du refus de M. Lévi, c'est M. le maître de chapelle Wullner qui prendra le bâton de com mandement à la première représentation de la Walkyrie. Cette solennité est ajournée jusqu'après les vacances d'été ; elle aura lieu dans la deuxième quinzaine de ce mois.

16 et 23 juin 1870

MUNICH. — La première représentation de la Walkyrie de Richard Wagner est fixée au dimanche 26 juin.

30 juin et 7 juillet

MUNICH. — La première représentation de la Walkyrie de Richard Wagner a eu lieu, comme on l'avait annoncé, le dimanche 26 juin. Elle n'a pas duré moins de cinq heures, en y comprenant les entr'actes, d'une longueur démesurée, à la vérité. Sans pouvoir être comparée sous aucun rapport à celle des Maîtres chanteurs, l'exécution a été aussi satisfaisante qu'il soit possible de se l'imaginer sans une entente préalable entre le compositeur d'une part, le chef d'orchestre et les chanteurs de l'autre. Des progrès très-sensibles ont été réalisés depuis la représentation de l'Or du Rhin; les exécutants et le public à leur suite, comprenant déjà mieux le nouveau style propre à la trilogie des Nibelungen et que l'on pourrait appeler 1a troisième manière de Wagner ; car elle diffère, non-seulement de celle du Tannhaeuser et de Lohengrin, mais de celle de Tristan et Isolde et des Maîtres chanteurs.
Les impressions du public à la première audition peuvent se résumer ainsi : au premier acte, enthousiasme croissant depuis le commencement jusqu'à la fin. A la chute du rideau, on rappelle M. et Mme Vogl (Sieglinde et Siegmund), le maître de chapelle M. Wullner, le machiniste Brandt, le peintre-décorateur Jank.
Au deuxième acte, qui renferme quelques longueurs, Mlle Stehle (la Walkyrie Brunhilde) s'élève à une grande hauteur tragique, surtout dans sa scène avec Siegmund ; elle obtient à son tour les honneurs du rappel. Le troisième acte est applaudi avec transport d'un bout à l'autre ; tous les artistes sont rappelés, y compris les huit Walkyries qui se sont réellement distingués dans leur scène colossale.
A la deuxième représentation, la salle était comble ; les résultats ont été à peu près les mêmes, sauf une intensité plus grande encore dans les applaudissements après le magnifique duo du premier acte.
Le roi n'assistait ni à la première ni à la deuxième représentation, mais il assistera à la troisième qui est annoncée pour le 10 juin et qui sera précédée, à trois jours d'intervalle, du prologue l’Or du Rhin. Comme les deux ouvrages sont étroitement liés l'un à l'autre, tant sous le rapport dramatique que sous le rapport musical et même thématique, il a été décidé qu'ils alterneraient sur l'affiche. Le répertoire pour le mois de juillet est dès à présent fixé comme suit : l'Or du Rhin le 7, le 14 et le 21, la Walkyrie le 10, le 17 et le 23.

14 et 21 juillet

MUNICH. (Correspondance particulière). — Je crois utile d'ajouter quelques particularités aux renseignements un peu optimistes que vous avez publiés sur la représentation de la Walkyrie.
Je ne fais aucune difficulté de convenir que l'exécution était aussi bonne qu'elle pouvait l'être en dehors de l'influence personnelle de l'auteur ; le chef d'orchestre, les chanteurs et les instrumentistes ont fait de leur mieux, mais je me hâte d'ajouter que ce mieux est encore à mille lieues du bien. A chaque instant, la diction mesurée du compositeur est remplacée par de languissants points d'orgue ou des queues de dragon à l'italienne. Quant aux mouvements, je me bornerai à signaler la chanson du printemps, prise au moins le double trop vite, comme s'il s'agissait de la Belle Hélène. Le même reproche peut s'adresser, quoique dans une proportion moindre, à l'ouverture. En général, on peut dire que M. Wullner ne s'écarte pas d'un iota de cette manière traditionnelle de battre la mesure, contre laquelle Wagner s'est élevé dans sa brochure sur l'art de diriger l'orchestre. Les violons manquent d'ampleur et de noblesse, surtout dans le portamento ; un grand nombre de passages remarquables sont par-là complètement perdus pour le public. L'orchestre se compose de 106 exécutants (16 premiers violons, 16 seconds, 12 altos, 10 violoncelles, 8 contrebasses, 2 harpes, 8 cors, 4 trompettes, 4 trombones, 1 tuba, etc.) Quant à la mise en scène, à part le feu d'artifice de la fin, elle est réellement par trop enfantine. L'attelage de béliers de Fricka, chef-d'œuvre de mécanique primitive, a produit un effet comique.
En somme, l'apprentissage ne fait que commencer pour les Nibelungen. Il est à prévoir que nous aurons encore à subir des centaines d'exhibitions médiocres sur tous les théâtres de l'Allemagne, avant qu'on puisse songer sérieusement à organiser pour la trilogie qui sert de couronnement à l'œuvre de Wagner, des représentations modèles comme celles qui viennent d'avoir lieu à Weimar, avec des artistes et devant un public déjà initié au style de Tannhaeuser et de Lohengrin qui, eux aussi, avaient eu d'abord à faire leurs années de purgatoire. E. K.

28 juillet et 4 août

MUNICH. — La mise en scène de la Walkyrie a coûté environ 100,000 florins. Kindermann et Mlle Stehle ont reçu chacun 500 florins par représentation et 50 florins par répétition ; les autres artistes qui tenaient les principaux rôles ont touché 200 florins par représentation en sus de leurs appointements.
WEIMAR. — A la suite des brillantes représentations d'opéras de Wagner, Liszt a quitté Weimar pour se rendre à Liebenstein, auprès du duc de Meiningen, puis à Munich, où il a assisté à la représentation de la Walkyrie. Il est parti ensuite pour Oberammergau, dans l'intention d'y voir jouer le célèbre mystère de la Passion. Il compte passer quelques mois en Hongrie, chez son ami le baron d'Augusz. Il est douteux qu'il retourne à Rome ; car il a reçu du grand-duc de Weimar une invitation très-pressante de séjourner ici l'automne et l'hiver prochain.

8 septembre 1870

MAYENCE. — La maison Schott de Mayence vient de publier la partition pour piano à deux mains de l'Or du Rhin et de la Walkyrie de Wagner. La deuxième partie des Nibelungen (Siegfried) paraîtra avant la fin de l'année en partition complète pour piano avec texte.

24 novembre 1870

MUNICH. — Mlle Schefzki, engagée à l'Opéra par ordre exprès du roi, après avoir joui d'un traitement d'attente sur la caissette et avoir reçu un certain nombre d'éventails, de bouquets et de parures comme marques de haute faveur, a enfin débuté, dans le rôle de Frika de la Walkyrie de Wagner. Elle a fait preuve d'un remarquable talent de tragédienne ; mais il serait difficile de déterminer dès à présent quel emploi elle pourra tenir comme chanteuse ; sa voix, qui n'a ni les registres élevés du soprano ni les cordes graves du contralto, possède trop peu d'étendue pour qu'il lui soit possible d'aborder avec avantage les rôles de mezzo-soprano. Pendant la représentation, S. M. a fait parvenir à Mlle Schefzky un magnifique bouquet. Mlle Stehle, qui chantait le rôle de Brunehilde, a reçu le lendemain une lettre autographe, dans laquelle le roi lui exprimait sa satisfaction en termes des plus flatteurs.


Le Ménestrel

Le Ménestrel, 30 janvier 1870

A Munich, on s'occupe déjà du nouvel ouvrage de Richard Wagner, la Walkyrie. Tous les rôles sont distribués. Mais les répétitions ne commenceront qu'après le retour de Mlle Sthele [sic, pour Stehle], qui chantera le rôle de Brunehilde, et qui donne en ce moment des représentations à l'étranger. Sans doute les fidèles de Wagner, qui siègent à Paris, organiseront un petit pèlerinage, bien que cela ne leur ait pas trop réussi pour les Maîtres Chanteurs.

Le Ménestrel, 10 avril 1870

MUNICH. — La première partie des Nibelungen de Richard Wagner sera décidément représentée dans le courant du mois de mai. Le roi a donné l'ordre de hâter les préparatifs, de telle sorte que la Walkyrie, aussi bien que l'Or du Rhin puissent être joués avant son départ pour la campagne. La reprise de l'Or du Rhin donnera lieu à une mise en scène entièrement nouvelle ; les machines et les décors, aussi bien que ceux de la Walkyrie, seront exécutés d'après les indications du machiniste Brandt, de Darmstadt. Ces travaux sont déjà terminés et mis à la disposition de l'intendance. Sous le rapport musical, les choses sont loin d'être aussi avancées ; pour la Walkyrie, à part les études particulières de quelques chanteurs et chanteuses, comme Vogl (Siegfried) et Mme Vogl (Sieglinde), Mlle Stehle (Brunhilde), Bausewein (Hunding), rien n'a encore été fait jusqu'à présent, parce que la malheureuse question du chef d'orchestre n'est pas encore résolue. Dans les circonstances actuelles, on ne peut songer ni à Bulow ni à Richter, et quant aux maîtres de chapelle présents, MM. Wullner, Meyer, Zenger, personne, en haut lieu ni ailleurs, ne veut en entendre parler. Aussi, l'intendance se trouve-t-elle dans un grand embarras, d'autant plus que sa tentative pour décider Wagner à désigner pour la Walkyrie un chef d'orchestre à son gré, semble avoir échoué contre le refus obstiné du compositeur de se mêler des affaires du théâtre de Munich. (Guide musical.)

Le Ménestrel, 29 mai 1870

A Munich, on a enfin trouvé un maître de chapelle pour diriger les études du nouvel opéra de Wagner, Valkyrie [sic]. C'est M. Marpury, de Darmstadt.

Le Ménestrel du 12 juin 1870 (via le Guide musical).

— Carlsruhe. — Notre maître de chapelle M. Lévi avait été choisi par M. l'intendant de Perfall pour diriger à Munich la Walkyrie de Wagner. Après de longues négociations, M. Lévi se déclara prêt à se mettre à ta tête de l'orchestre, si le compositeur lui-même en tombait d'accord. Mais l'attitude réservée que garde Wagner au sujet de l'opéra de Munich rendait une entente à peu près impossible. Des scrupules purement artistiques ont décidé M. Lévi à renoncer, par égard pour les désirs du compositeur, à cette occasion séduisante de faire valoir sur une des principales scènes de l'Allemagne son remarquable talent de chef d'orchestre.

Le Ménestrel, 3 juillet 1870

C'est bien dimanche dernier, comme nous l'avions annoncé, qu'on a donné à Munich la première représentation de la Walkyrie, le nouvel opéra de Richard Wagner. Tout Munich était sens dessus dessous : une quantité d'étrangers, beaucoup de Français notamment, s'étaient donnés rendez-vous en cette ville. Il y a eu succès après le 1er et le 3e actes, sifflets et applaudissements mélangés après le 2e acte. On cite surtout un grand duo d'amour, une pure merveille, paraît-il. Les correspondances s'accordent à trouver dans cet opéra un style tout nouveau, qu'on n'a encore remarqué dans aucune des œuvres du même auteur. Il est notoire, d'ailleurs, que Wagner change de manière à chaque nouvel ouvrage. Aurait-il enfin trouvé la bonne ? — La mise en scène splendide est due au célèbre machiniste Brandt. Le maître de chapelle de la cour, M. Wullner, a dirigé l'orchestre avec grande intelligence. On a beaucoup remarqué l'absence du roi de Bavière ; en revanche l'empereur de Russie devait assister à la représentation. Voici comme était distribué l'ouvrage : Mlle Stehle (la Walkyrie Brunnhilde), M. Kindermann (Wotan), Mme Vogel (Sieglinde) et M. Vogel (Siegmund) ; les rôles secondaires de Hunding — l'époux de Sieglinde — et de Fricka — l'épouse de Wotan — remplis par M. Bausewein et par Mlle Kaufmann.

Le Ménestrel, 10 juillet 1870

MUNICH. 

— Aux seconde et troisième représentations, le succès de Walkyrie s'est consolidé, nous dit M. Gustave Lafargue du Figaro : « Le prix des places a été augmenté ; un fauteuil de balcon se paye, lorsque Walkyrie est sur l’affiche, neuf francs au lieu de sept ; un fauteuil d'orchestre, sept francs au lieu de cinq. Les deux premières représentations ont produit 20,000 fr., résultat inouï pour Munich. La direction de l'Opéra royal a, d'ailleurs, bien fait les choses : elle a dépensé, nous assure-t-on, 100,000 fr. pour monter la nouvelle œuvre de Wagner. Les meilleurs amis de Wagner, MM. Liszt, Esser, Tausig, Richter, ceux de Londres, de Paris et de Saint-Pétersbourg, ne se sont pas montrés à la première de Walkyrie ; par contre, les maîtres des chapelles royales et impériales de toute l'Allemagne semblaient s'y être donné rendez-vous ; parmi eux on remarquait M. de Hülsen, surintendant des théâtres royaux de Prusse; M. Radecke, maître de la chapelle royale de Berlin ; MM. Herbeck et Lewy, maîtres de la chapelle impériale et royale de Vienne ; M. Reiss, de Cassel ; M. Lévy, de Carlsruhe ; M. Stoneway, de New-York, etc. Et pendant ce temps le deus ex machina se cache à Lucerne.

— Le roi de Bavière veut cumuler, son ambition n'a plus de bornes. Ce porte-couronne, comme dirait Victor Hugo, vient de se constituer directeur de théâtre et en même temps éditeur de musique. Il vient d'acquérir l'Action théâtre et aussi trois partitions de Richard Wagner : Rheingold, Walkyrie et un autre ouvrage encore à naître, se réservant d'en traiter à sa guise avec les directions étrangères. Il assure en compensation à Wagner une rente annuelle de 16,000 fr., ce qui permettra au bruyant maître allemand de faire le jeune homme à Lucerne.

Le Ménestrel, 31 juillet 1870

— Franz Listz a quitté Weimar. Il est allé à Pesth en passant par Munich, où il a entendu le Rheingold et les Walkyries de son ami Wagner.
— Malgré la guerre, on continue de parler en Allemagne d'un petit congrès pacifique des auteurs et compositeurs dramatiques, qui se tiendrait à Nuremberg, le 20 septembre, à l’effet de constituer en Allemagne une association semblable à celle des compositeurs et auteurs dramatiques français. Tous les compositeurs de l'école nouvelle auraient envoyé leur adhésion, sauf Richard Wagner.
—  La Presse musicale nous apprend que Camille Saint-Saens l'a échappé belle. Revenant de rendre visite à Richard Wagner, à Munich, il se trouvait dans le train qui a déraillé sur le chemin de fer de Lyon. L'éminent artiste, heureusement, en a été quitte pour quelques contusions sans gravité et pour la légitime émotion que lui a causé le navrant spectacle dont, après l'accident, il a été témoin.


La Revue britannique

La Revue britannique, juillet 1870

L'événement artistique du jour est la représentation des Walkyries à Munich, le deuxième ouvrage de la trilogie musicale des Niebelungen. Le ban et l'arrière-ban des wagnériens s'étaient, comme d'habitude, donné rendez-vous dans la capitale de la Bavière, et quelques-uns venaient de fort loin ; car le wagnérianisme est une religion qui a ses bonzes, ses derviches et ses fidèles, et Munich est la Mecque de l'art de l'avenir. Chaque représentation nouvelle est un mystère ; on n'y chante pas, on y officie, et avant même que la toile soit levée, les croyants ont déjà le front dans la poussière et l'esprit ravi en extase. La musique de Wagner ne se discute pas, on y croit ou l'on n'y croit pas : c'est comme le spiritisme et les tables tournantes ; il suffit quelquefois d'un incrédule pour tout faire manquer, et pour que quelques néophytes s'imaginent, à certain sourire moqueur, qu'ils sont dupes d'une mystification. Aussi est-ce avec le plus grand soin qu'est trié le public des premières représentations. Il faut dire le mot de passe ou l'on n'est point admis dans cette « vente » parmi les farouches carbonari de l'art nouveau. Quel enthousiasme, quel ravissement, quel délire dans cette salle pleine des fidèles de la religion wagnérienne ! Plus la musique est lourde, fatigante à suivre, insensée, décousue et haletante, plus les bonzes redoublent d'exclamations admiratives. Chacun voulant passer pour plus fort que son voisin, c'est surtout aux passages absolument incompréhensibles qu'on se pâme et qu'on est saisi d’une admiration épileptique. Après les séances du spiritisme, rien ne peut donner une plus pitoyable idée de l'infirmité humaine que la représentation d'un opéra de Wagner
Il faut voir avec quel air de mépris ou de pitié les illuminés traitent les mécréants, ceux qui ne sentent pas les beautés de la musique du Manitou. De telles manifestations de l'art, disent-ils, sont au-dessus des épaisses intelligences du vulgaire ; M. Wagner ne s’étonne pas de ce qu'il est incompris de ses contemporains ; c’est forcé ; du haut des sommets où il trône dans sa gloire, il attend sans impatience le verdict de l'avenir. Son royaume n'est pas de ce monde.
Dans le Rheingold, qui fut donné l'an passé, est compris en germe tout le sujet de la trilogie. L'anneau magique dérobé par Wotan, et dont la possession donne la puissance suprême, cet anneau devient le motif des autres drames. Tous ceux entre les mains desquels il tombe sont voués à la malédiction. Wotan, que nous voyons le posséder encore, au commencement du drame des Walkyries, a bien la suprême puissance, mais il est forcé de haïr tout ce qu'il a aimé et de tromper tous ceux qui mettent sa confiance en lui. Ainsi il doit sacrifier Sigmond, qu'il aime, dans son combat avec Hunding, et chasser du Walhalla la walkyrie Brunebilde, sa propre fille, parce qu'elle a protégé ce même Sigmond.
Mais j'en resterai là de mes explications, qui pourraient bien être plus nébuleuses que le texte.
On comprend de quel pauvre intérêt doit être forcément un drame qui met continuellement en scène des abstractions mythologiques, et d'une mythologie très-imparfaitement connue des spectateurs.
Encore cette fois le poëme est écrit en vers allitérés. C'est un tour de force dont peu de philologues seraient capables, et qui montre bien les aptitudes diverses dont est doué Wagner. Son intelligence, capable d'une telle patience et de tels efforts, est bien plutôt celle d'un savant que d'un artiste. Cette recherche d'archaïsme dans la forme littéraire, et qui a dû coûter tant de peine à l'auteur, est complétement inutile du reste au point de vue musical. Toutes ces préciosités du style disparaissent totalement dans le chant. Quant à la conception du drame, aux idées poétiques, elles font aussi complètement défaut à M. Wagner que les idées musicales. Je vois bien chez lui un curieux, un savant, un versificateur patient, capable de faire des acrostiches et des poëmes allitérés, ce qui est tout un, mais un poëte, je ne le vois pas. L'auteur des Walkyries, encore une fois, n'est pas artistiquement organisé ; il eût pu faire un mathématicien, un archéologue, un botaniste, aussi bien qu'un musicien ; le souffle, l'inspiration lui manquent ; il a des ragoûts d'harmonie, des curiosités d'orchestration qui rappellent, comme recherche, l'allitération de ses vers, mais une inspiration quelconque, il n'en a jamais eu. Cependant un philologue a pris la plume pour écrire une brochure, dans laquelle il prouve que si l'on veut se donner la peine de lire attentivement les drames de Wagner, on y trouvera des beautés poétiques de premier ordre.
Malgré le public d'initiés qui remplissait la salle, le succès des Walkyries n'a pas été ce qu'on attendait. Après le premier acte, les applaudissements, nombreux d'abord, sont toujours allés décroissant ; à la fin du troisième et du dernier acte, les pauvres initiés, soumis à cette haute pression de la musique wagnérienne, compliquée de la chaleur, n'avaient plus seulement la force d'élever les mains pour applaudir.
Ce qu'il y a de mieux réussi dans le nouvel opéra, ce sont les décors ; la mise en scène est réellement splendide. La réputation de Brandt, notre célèbre machiniste, s'en augmentera encore.
L'orchestre, composé de cent musiciens, sous la direction de M. Wullner, maître de chapelle de la cour, s'est acquitté avec une grande intelligence de la tâche toujours si ardue d'exécuter la musique de Wagner. Le nombre des instruments à vent avait été doublé.
Petermann




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