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samedi 7 décembre 2019

L'histoire de ma passion pour la Fée blanche. Comment je suis tombé sous le charme de la comtesse Kalergis-Mouchanoff.

Marie Kalergis photographiée par Disdéri

C'est le moment des aveux.  Une grande dame blonde et nordique a fait ma conquête et ne le saura jamais. J'ai appris à la chérir puis à l'aimer, à apprécier sa maîtrise et son génie pianistiques, et j'ai pu pénétrer dans son intimité, faire en quelque sorte partie de ses proches car ses lettres sont arrivées jusqu'à moi. J'ai vu sous sa brillance adamantine couver la noire mélancolie et sourdre ces impatiences qui la mettaient toujours en mouvement et parcourir l'Europe de Pétersbourg à Paris et d'Amsterdam à Naples, toujours passant par Varsovie où elle était née ou par Baden-Baden où elle retrouvait ses amis et familiers du Gotha et les meilleurs musiciens, les plus grands compositeurs, quant elle n'était pas à Triebschen ou à Bayreuth, à visiter ses amis Richard et Cosima, ou à Weimar près de Liszt qu'elle appréciait autant qu'il chérissait son amitié.  Puis je l'ai suivie dans les épreuves de la maladie et ai aperçu la Camarde qui promenait son cul sur les remparts de Varsovie. Et lorsque cette faucheuse s'est emparée d'elle, alors que le grand pianiste von Bülow venait de lui jouer ces musiques de Chopin qu'elle avait tant aimées assis au piano installé dans une chambre adjacente à la chambre de l'agonisante, j'ai pleuré à gros sanglots. Douce et bonne amie que je ne rencontrerai jamais, je t'ai consacré mes recherches et ce livre qui va paraître dans le courant du mois de janvier, si la déesse de la Fortune le permet.

C’est au détour des études wagnériennes que j’ai fait la connaissance de Marie Kalergis. Elle était du nombre de ces quelques grandes dames qui avaient été des admiratrices inconditionnelles de la musique de Richard Wagner et qui l’avaient soutenu activement. Madame Kalergis faisait partie de cette couronne proche à l’instar de Jessie Laussot, Eliza Wille, Mathilde Wesendonck, la Princesse de Metternich, Malwida de Meysenbug, autant de personnalités fascinantes qu’il me tardait de découvrir. Mais, contrairement aux autres dames approchées dans de nombreux ouvrages, Madame Kalergis se faisait plutôt discrète dans la littérature wagnérienne d’expression française.

Mes premières consultations des archives de presse me firent découvrir les articles que publièrent Ernest Seillières en août 1910 dans la Revue des deux Mondes :  L’inspiratrice de la Symphonie en blanc majeur. Marie de Nesselrode, Comtesse Kalergis-Mouchanoff ainsi que l’article que Jacques-Gabriel Prod'homme publia en feuilleton dans Le Ménestrel des 1er, 8 et 15 août 1930 sous le titre Une grande dame cosmopolite et dilettante. La Comtesse Mouchanoff. Ces deux articles me furent utiles pour la réalisation de l’article de présentation de Marie Kalergis que je réalisai de concert avec le Dr Cyril Plante et que publia Nicolas Crapanne sur son site Le Musée virtuel Richard Wagner

Au cours des deux dernières années je me passionnai pour la réception française de l’œuvre de Wagner au cours de l’année 1869 : la création du premier Rienzi parisien monté par Jules Pasdeloup, les articles de Judith Gautier, alors épouse Mendès, qui présentaient lamême année l’œuvre de Wagner, l’impression en français de la nouvelle édition du Judaïsme dans la musique, puis en juillet et août les nombreux comptes-rendus dans la presse française de la création munichoise de l’Or du Rhin, un événement considérable dans l’histoire de la musique auquel je décidai de consacrer un ouvrage intitulé Les Voyageurs de l’Or du Rhin qui avait l’ambition de rendre compte de la réception en langue française des événements culturels munichois de l’été 1869. Le couple Mendès et leur ami Villiers de l’Isle-Adam partirent comme journalistes à Munich et décidèrent de faire un crochet par Lucerne où résidaient Richard Wagner et Cosima von Bülow. Ils firent la connaissance de Madame Mouchanoff qui les avait invités à la soirée munichoise qu’elle avait donnée à Munich. Judith Gautier évoquera cette rencontre dans ses souvenirs qu’elle publia bien plus tard dans le Troisième rang du collier. Les deux femmes eurent cet été-là un rôle similaire dans leurs tentatives respectives pour réconcilier Franz Liszt avec sa fille dans l’affaire de son divorce avec Hans von Bülow. Et les trois écrivains retrouvèrent madame Mouchanoff à Triebschen après le séjour munichois.

Il m’apparut comme indispensable de recueillir le sentiment de Marie Mouchanoff sur cette période et de me pencher sur sa correspondance avec sa fille, que Marie Lipsius (qui signait La Mara, son nom de plume) avait recueillie et publiée en 1907 (puis en 1911 pour une seconde édition). Ces livres, quasi introuvables sur le marché secondaire, se trouvaient heureusement dans les collections de la Bayerische Staatsbibliothek de Munich et étaient disponibles à la consultation. Je fus très vite séduit par ces lettres que Madame Mouchanoff avait rédigées en français et c’est lors de la rédaction de mes Voyageurs de l’Or du Rhin que l’idée me vint de les rééditer. J’en discutai avec des amis wagnériens, dont le Dr Pascal Bouteldja, le très dynamique Président du Cercle Richard Wagner Lyon, qui m’encouragèrent à me mettre à l’ouvrage. 

Il me parut indispensable de rassembler le plus de renseignements disponibles sur Madame Mouchanoff-Kalergis. C’est alors que j’eus l’heureuse surprise de découvrir une biographie qui lui fut consacrée en 1923, une monographie de grande qualité qui avait aussitôt obtenu un prix décerné par l’Académie française, mais qui était tombée dans l'oubli et qui, de même que pour les lettres publiées par La Mara,  n’était plus disponible à l’achat, sauf ici aussi pour de rares exemplaires sur le marché secondaire. Les deux ouvrages se complétaient merveilleusement bien, car le biographe avait réalisé un travail consciencieux d’historien en allant dépouiller les archives de la famille Nesselrode et en se penchant sur les livres de souvenirs et les mémoires de contemporains qui s’étaient intéressées à Madame Kalergis-Mouchanoff. 

Je décidai de réunir les deux ouvrages en un seul livre pour faire revivre la mémoire de cette grande dame et leur ai adjoint des textes (lettres, mémoires ou souvenirs) que des témoins de l'époque ont écrits à son sujet Le travail touche à sa fin, un exemplaire de travail  part à l'impression la semaine prochaine qui je martyriserai jusqu'à Noel. Les premiers exemplaires destinés aux happy few qui en feront l'acquisition sortiront de presse lorsque les Rois Mages s'en retourneront dans leur orient lointain.

L'aventure d'un escrivaillon tombé en amour d'une fée blanche qui lui a déjà procuré de grandes jouissances, celles que m'ont apporté des recherches aussi passionnantes et passionnées. 




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