Crédit photos © Marie-Laure Briane |
Le Theater-am-Gärtnerpltatz a fait appel à Erna Ómarsdóttir, récemment nommée directrice artistique de la Iceland Dance Company, et à Halla Ólafsdóttir, pour monter un ballet inspiré par le célèbre drame de Shakespeare. Erna Ómarsdóttir a fait une brillante carrière de danseuse dans les compagnies de Jan Fabre, Ann Teresa de Keersmaker et Sidi Larbi Cherkoui, avant de se consacrer de plus en plus à ses propres chorégraphies ces dernières années, qu'elle a notamment présentées dans le cadre de la Biennale de Venise.
Dans le Roméo et Juliette d'Erna Ómarsdóttir et Halla Ólafsdóttir, la danse contemporaine, les arts visuels et la musique de Prokofiev se rencontrent. Le spectacle déconstruit l'histoire originale en un faisceau de brins narratifs simultanés, combinant des références de la culture populaire au langage du ballet. Le résultat en est un monde abstrait plein de sang, d'amour, de feu, de danse et de mort. Ici, les rôles de femme et d'homme changent constamment, changeant leurs voix et transformant les corps dansants en paysages dorés. Roméo et Juliette glissent sur les sédiments de la conscience - comme un fleuve sanglant qui se fraye un chemin dans la mer.
Ce sont là les termes édulcorés de la présentation que donne le théâtre du nouveau ballet qui défraie ces derniers jours la chronique munichoise.
Avant même le début du spectacle les 18 danseuses et danseurs viennent se présenter en avant-scène vêtus de collants couleur chair et portant des prothèses de la même couleur figurant des muscles, un torse avec ses puissants abdominaux, des cuisses ou des épaules postiches, des faux culs. Chaque danseur énonce dans sa langue, anglais, espagnol, allemand ou français, le rôle qu'il va danser dans le ballet: un homme dansera Juliette, une femme Roméo, un troisième l'un.e et l'autre, l'une sera le poison, un autre la dague, un autre encore Mercurio, l'un sera l'église, l'autre le tombeau.
Puis s'élève une musique sur le plateau dénudé surplombé des grands spots entouré des coulisses mises à nu. Les décors de Chrisander Brun ne consistent que dans ce dépouillement et, en fond de scène, quelques grandes marches recouvertes d'un grand tissu doré qui, au fil du spectacle s'élèvera vers les cintres ou recouvrira le sol de la scène et s'animera des mouvements des danseurs qui s'y sont glissés. Une musique électronique suscite les mouvements des danseurs que l'on voit s'animer en dressant des tableaux monochromes qui rappellent la complexité des dessins fantasmagoriques de Bosch ou de Brueghel.
Les deux chorégraphes créent un langage de rébellion qui remet en question les catégories établies et déconstruit les stéréotypes et les clichés. Très vite, le titre shakespearien n'apparaît que comme le prétexte d'une opération générale de déconstruction, et le langage des corps lance des questions qui viennent gifler le public qui en prend plein la gueule. Qu'est ce que la danse? Qu'est-ce qu'une danseuse, un danseur? Les catégories du féminin et du masculin volent en éclat, les genres et les sexes se mélangent et se modifient. Ainsi, par exemple, un porté est généralement le porté d'une danseuse par un danseur. Ici les portés dépassent les genres: un danseur ou une danseuse peuvent porter un autre danseur ou une danseuse. Des danseurs portent des seins ou un bassin bien fertile, des danseuses portent des maillots figurant un torse poilu. Roméo et Juliette se démultiplient. un Roméo prend un autre Roméo dans ses bras, une Juliette en aime une autre ou se transforme en Roméo. Les chorégraphes font voler en éclat la vision romantique traditionnelle de Roméo et Juliette si largement répandue depuis le 19e siècle pour revenir au texte primordial, plus direct, plus sexuel, plus violent, plus dérangeant. Seul un grand coeur de néons laissant perler des gouttes de sang rappelle l'image d'Epinal du drame shakespearien.
Le propos est incompréhensible ou insupportable pour une petite partie des spectateurs qui a quitté le théâtre à l'entracte. La seconde partie s'ouvre sur une orgie sanguinaire: des couples de tous les sexes habillés de linges blancs immaculés se forment, se rapprochent et s'unissent en se maculant de sang que d'autres danseurs viennent leur présenter dans de grands seaux contentant le liquide rouge vif. Ils y plongent leurs mains qui vient caresser leur partenaire ou des éponges qu'ils pressent ensuite sur leurs têtes et leurs vêtements. Est-ce là un rituel d'initiation comme lors des baptêmes des adeptes du culte de Mithra qui étaient aspergés du sang d'un taureau sacré ? Caresses sanguinolentes, peaux poisseuses qui se collent à d'autres peaux. Un rideau de toile vient fermer l'avant-scène et reçoit la projection d'un film qui suit en gros plans très rapprochés les copulations ensanglantées: pendant quelques minutes on ne verra que les pores et les poils des peaux poisseuses de sang dans une séquence filmée au réalisme nauséeux. Une manière peut-être de rappeler que les danseurs et les danseuses suent d'abondance dans l'exercice de leur art, un point sur lequel les chorégraphies même les plus modernes n'attiraient jusqu'ici pas l'attention. L'art iconoclaste des chorégraphes islandaises fait sauter ce dernier tabou. Le final verra un.e danseur/se dont tout le corps n'est qu'un grand ballon noir en forme de coeur tituber et chanceler sur scène avant de s'affaisser.
Le corps de ballet du Theater-am-Gärtnerplatz recueille un succès d'estime pour son très beau travail, mais sans doute le public est-il encore sous le choc des images. Les musiciens de l'orchestre et leur chef Daniel Huppert ont reçu des applaudissements bien plus nourris pour leur interprétation inspirée de la musique du ballet de Prokofiev. Sans doute la seconde partie du spectacle était-elle plus facilement décodable. L'impression générale de la chorégraphie n'est pas sans rappeler le propos des Impressions de Verhaeren : " On part de la chose vue, ouïe, sentie, tâtée, goûtée, pour en taire naître l'évocation et la somme par l'idée. " La forme évocatoire de la relecture de Romeo et Juliette se mêle ici aux rebellions d'un hyperréalisme provocateur.
Un public averti en vaut deux. Mais pour un explorateur des nouvelles formes d'expression artistique, le voyage vaut la peine d'être entrepris.
Prochaines représentations: les 9, 18 et 26 décembre, les 12, 16 et 24 janvier, et le 4 février au Theater-am-Gärtnerplatz. Chemin vers les réservations: cliquer ici.
Ce sont là les termes édulcorés de la présentation que donne le théâtre du nouveau ballet qui défraie ces derniers jours la chronique munichoise.
Avant même le début du spectacle les 18 danseuses et danseurs viennent se présenter en avant-scène vêtus de collants couleur chair et portant des prothèses de la même couleur figurant des muscles, un torse avec ses puissants abdominaux, des cuisses ou des épaules postiches, des faux culs. Chaque danseur énonce dans sa langue, anglais, espagnol, allemand ou français, le rôle qu'il va danser dans le ballet: un homme dansera Juliette, une femme Roméo, un troisième l'un.e et l'autre, l'une sera le poison, un autre la dague, un autre encore Mercurio, l'un sera l'église, l'autre le tombeau.
Puis s'élève une musique sur le plateau dénudé surplombé des grands spots entouré des coulisses mises à nu. Les décors de Chrisander Brun ne consistent que dans ce dépouillement et, en fond de scène, quelques grandes marches recouvertes d'un grand tissu doré qui, au fil du spectacle s'élèvera vers les cintres ou recouvrira le sol de la scène et s'animera des mouvements des danseurs qui s'y sont glissés. Une musique électronique suscite les mouvements des danseurs que l'on voit s'animer en dressant des tableaux monochromes qui rappellent la complexité des dessins fantasmagoriques de Bosch ou de Brueghel.
Les deux chorégraphes créent un langage de rébellion qui remet en question les catégories établies et déconstruit les stéréotypes et les clichés. Très vite, le titre shakespearien n'apparaît que comme le prétexte d'une opération générale de déconstruction, et le langage des corps lance des questions qui viennent gifler le public qui en prend plein la gueule. Qu'est ce que la danse? Qu'est-ce qu'une danseuse, un danseur? Les catégories du féminin et du masculin volent en éclat, les genres et les sexes se mélangent et se modifient. Ainsi, par exemple, un porté est généralement le porté d'une danseuse par un danseur. Ici les portés dépassent les genres: un danseur ou une danseuse peuvent porter un autre danseur ou une danseuse. Des danseurs portent des seins ou un bassin bien fertile, des danseuses portent des maillots figurant un torse poilu. Roméo et Juliette se démultiplient. un Roméo prend un autre Roméo dans ses bras, une Juliette en aime une autre ou se transforme en Roméo. Les chorégraphes font voler en éclat la vision romantique traditionnelle de Roméo et Juliette si largement répandue depuis le 19e siècle pour revenir au texte primordial, plus direct, plus sexuel, plus violent, plus dérangeant. Seul un grand coeur de néons laissant perler des gouttes de sang rappelle l'image d'Epinal du drame shakespearien.
Le propos est incompréhensible ou insupportable pour une petite partie des spectateurs qui a quitté le théâtre à l'entracte. La seconde partie s'ouvre sur une orgie sanguinaire: des couples de tous les sexes habillés de linges blancs immaculés se forment, se rapprochent et s'unissent en se maculant de sang que d'autres danseurs viennent leur présenter dans de grands seaux contentant le liquide rouge vif. Ils y plongent leurs mains qui vient caresser leur partenaire ou des éponges qu'ils pressent ensuite sur leurs têtes et leurs vêtements. Est-ce là un rituel d'initiation comme lors des baptêmes des adeptes du culte de Mithra qui étaient aspergés du sang d'un taureau sacré ? Caresses sanguinolentes, peaux poisseuses qui se collent à d'autres peaux. Un rideau de toile vient fermer l'avant-scène et reçoit la projection d'un film qui suit en gros plans très rapprochés les copulations ensanglantées: pendant quelques minutes on ne verra que les pores et les poils des peaux poisseuses de sang dans une séquence filmée au réalisme nauséeux. Une manière peut-être de rappeler que les danseurs et les danseuses suent d'abondance dans l'exercice de leur art, un point sur lequel les chorégraphies même les plus modernes n'attiraient jusqu'ici pas l'attention. L'art iconoclaste des chorégraphes islandaises fait sauter ce dernier tabou. Le final verra un.e danseur/se dont tout le corps n'est qu'un grand ballon noir en forme de coeur tituber et chanceler sur scène avant de s'affaisser.
Le corps de ballet du Theater-am-Gärtnerplatz recueille un succès d'estime pour son très beau travail, mais sans doute le public est-il encore sous le choc des images. Les musiciens de l'orchestre et leur chef Daniel Huppert ont reçu des applaudissements bien plus nourris pour leur interprétation inspirée de la musique du ballet de Prokofiev. Sans doute la seconde partie du spectacle était-elle plus facilement décodable. L'impression générale de la chorégraphie n'est pas sans rappeler le propos des Impressions de Verhaeren : " On part de la chose vue, ouïe, sentie, tâtée, goûtée, pour en taire naître l'évocation et la somme par l'idée. " La forme évocatoire de la relecture de Romeo et Juliette se mêle ici aux rebellions d'un hyperréalisme provocateur.
Un public averti en vaut deux. Mais pour un explorateur des nouvelles formes d'expression artistique, le voyage vaut la peine d'être entrepris.
Prochaines représentations: les 9, 18 et 26 décembre, les 12, 16 et 24 janvier, et le 4 février au Theater-am-Gärtnerplatz. Chemin vers les réservations: cliquer ici.
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