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vendredi 28 septembre 2018

Aldo Oberdorfer, l'historien italien qui n'aimait pas le roi Louis II.

in Marianne, 14.09.1938, p. 6

L'éditeur Mondadori publia en 1935 en italien une biographie intitulée Il re folle. Luigi II di Baviera due à la plume de l'historien italien Aldo Oberdorfer, un grand connaisseur de l'Allemagne. Une traduction parut en France dès 1937 sous le titre Louis II de Bavière: la légende et la vérité, 1845-1886 , traduit de l'italien par Albert Falcionelli. Le 14 septembre 1938, le grand  hebdomadaire littéraire illustré parisien Marianne publiait une critique de ce livre que signait l'écrivaine Suzanne Normand et que nous reproduisons ci-dessous:

" CE QUE FEMME DIT....

LOUIS II de BAVIÈRE et sa légende

Une chose est désolante, presque atroce. C'est de comparer les deux portraits de Louis II de Bavière qui ornent l'ouvrage que M. Aldo Oberdorfer consacre au roi fou. L'un, sur la couverture, d'une saisissante beauté : vingt ans, un visage pur, ardent, et chimérique, le front inspiré sous les cheveux bouclés, les yeux impérieux et rêveurs. A quarante ans, un peu avant sa mort, ce faciès bouffi et prétentieux, une moustache ridicule sur une bouche édentée, cet air d'adjudant à la retraite. M. Oberdorfer insiste beaucoup sur l'épaississement de Louis II, sur sa laideur presque abjecte. Enfoncez-vous bien ça dans la tête : après qu'on eut repêché dans le lac de Starnberg, ce cadavre de 120 kilos, Louis II sur son lit de mort, n'avait plus rien de l'archange aux yeux d'émail. Un pauvre fou affreux.

Et rien n'irrite notre historien comme la persistance de cette légende autour de cette étonnante figure.

Il l'a retrouvée partout en Bavière, dans les images du roi, dans les propos, dans les souvenirs. Tout cela, juge-t-il, suffit à vous convaincre « que peu de rois grands et sages sont plus vivants dans le souvenir et dans l'amour des peuples que celui-ci, dont les attraits principaux, jusqu'à la beauté de ses yeux rêveurs, ont leur source - conclusion ingrate — dans la folie ».

Depuis le jour où le peuple bavarois avait vu, derrière le cercueil de son roi Maximilien, marcher, comme en songe; l'héritier de la couronne, un grand souffle d'amour avait passé sur Louis II. Jusqu'à la fin, malgré son indifférence, malgré ses excentricités délirantes, jamais le mécontentement, la colère ne franchirent le cercle étroit des ministres et des familiers.

Le peuple qui ne voit jamais son roi, que son roi fuit, dont il ne s'occupe pas, et qu'il ruine, ce peuple bavarois fidèle et enthousiaste, persistera à le chérir.

M. Aldo Oberdorfer n'aime pas Louis II, et il a entrepris — son réquisitoire est d'ailleurs remarquable — d'extraire la vérité de la tenace légende qui l'entoure. Il n'aime pas les Wittelsbach. Un parti pris aussi formel entraîne fatalement à l'injustice. Celle-ci est agressive lorsqu'il s'agit d'Elisabeth d'Autriche. Quelques lignes, mais quel fiel ! On nous montre cette anxieuse, cette pure « rassasiée de caprices charnels » (?). On traite de « Virago » cette femme si belle, si racée, dont chaque geste était un enchantement. Sophie elle-même, sœur d'Elisabeth qui fut fiancée à Louis II avant de devenir duchesse d'Alençon, n'échappe pas à cette malveillance : Les Wittelsbach sont capable de pire. M. Aldo Oberdorfer est presque aussi passionné comme historien que pourrait l'être une femme.

Je sais bien que, en ce qui concerne Louis II, il veut surtout juger du roi et de son règne. Il est donc parfaitement logique et raisonnable de déplorer qu'un chimérique, un fou ait détenu le pouvoir, surtout entre Sadowa et Sedan.

Mais qu'il est donc désolant d'être raisonnable ! On aura beau faire, l'imagination demeure intoxiquée par ce qu'il y a de légendaire dans Louis II. Il est celui qui, à peine sur le trône, se préoccupa de faire vivre un musicien génial qui, avant lui, crevait de faim. On peut bien nous dire qu'à ce moment-là, la question du Schleswig-Holstein était beaucoup plus importante. C'est diablement vrai — et on s'en aperçut mais, n'est-ce pas, Tristan... Parsifal... Ne croyez pas cependant que Louis II fût musicien. Il aimait autant la mauvaise musique que la bonne. Il faut croire tout de même que celle de Wagner atteignait en lui des fibres secrètes, provoquait une résonance unique, longtemps après qu'il eut cessé d'adorer et de subir l'homme, il ne cessait de réclamer sa musique, et de couvrir d'or le musicien.

Il est celui qu'on appela le roi vierge. Certes, c'est beaucoup dire ! Il avait l'horreur des femmes, et sa vie intime fut salie de secrètes hontes. M. Oberdorfer insiste avec mordant sur ce côté lamentable.

Il a peut-être raison — mais cela ne laisse pas que d'être assez triste.

Toutes les données concordent pour démontrer que, bien sûr, Louis était fou depuis toujours — avec, sur beaucoup de points, cette effarante logique des fous. Son frère aîné, Othon, qui aurait dû régner, était interné et tous les Wittelsbach connaissaient un état psychique singulier.

Folie, cette idée fixe de la construction qui lui fait édifier partout en Bavière les résidences les plus insolites, châteaux splendides édifiés dans la solitude des montagnes bavaroises, et décorés avec un luxe dément. Bien sûr, il ruine le trésor royal, accule son pays à la faillite, gâche les millions.

Mais comment ne pas évoquer ce roi misanthrope, roulé dans ses couvertures d'hermine, fuyant dans la nuit au fond de son traîneau doré, attelé de six chevaux blancs, vers ses palais de légende ? II était fou ? Il avait horreur de vivre comme tout le monde.

Eh bien, oui. Mais la forme que prenait cette folie était la plus propre à frapper les foules. Elle se rapprochait de la fable. Dans les contes de fées seulement, on trouve un prince volant sur les neiges, vers une demeure enchantée. Evidemment, il y avait les notes d'architectes et d'entrepreneurs à solder. Et les psychiatres appellent cela « la folie des grandeurs ».

Folie, cette horreur du genre humain qui lui fait haïr le visage de ses pareils.

Folie, cette idée maniaque de prendre comme modèle, les autres Louis, les rois français quatorzième et quinzième du nom. Et avec le premier, n'avait-il pas, en ce qui concernait la fureur constructive, un illustre modèle ? Ah! trouver de l'argent, comme il en trouvait, lui, ordonner à quelque Colbert d'en extraire coûte que coûte, de n'importe où. 

Le besoin d'argent — sa liste civile était modeste et sa fortune nulle — rongeait ses jours. En 1870, désespéré de la victoire de la Prusse (jusqu'à la dernière minute, il avait essayé d'empêcher la participation de la Bavière à la guerre) il repoussa ce que Bismark lui demandait : offrir à Versailles la couronne d'Empereur au roi de Prusse. Le cœur lui crevait de colère et de désespoir. Lui, roi du plus grand Etat allemand, après la Prusse, il deviendrait vassal de celle-ci ?

Il refusa d'aller à Versailles.

A la fin, cependant, il donna son consentement, par écrit. On pense qu'une rente annuelle de trois cent mille marks, versée par Bismark, acheta cette complaisance.

Quand son gouvernement décida de le déchoir de ses droits royaux, et pour ce eut recours aux psychiatres, il eut ce cri, lui, persuadé jusqu'au délire de sa royauté de droit divin :

« Qu'ils m'aient volé le trône, c'est une chose que je puis supporter. Mais qu'ils m'aient déclaré fou, c'est une honte à laquelle je ne puis survivre. »

Comme tous les fous, il se jugeait particulièrement sain d'esprit. Il n'y survécut pas longtemps. Prisonnier dans son propre château, à Berg, il trouva la mort dans le lac où peut-être il avait essayé de fuir.

Le psychiatre qui l'avait arrêté, et interné, il l'étrangla sans doute, contribua à le noyer. Mais M. Aldo Oberdorfer n'aime pas qu'à ce propos l'on parle de désespoir.

Sans doute, dit-il, il s'agit d'une crise d'apoplexie. Louis n'avait pas digéré son dîner.

Ah ! si la légende subsiste, autour de Louis II, ce ne sera certainement pas de sa faute...

Suzanne Normand."

Post précédent sur le sujet: Louis II de Bavière: la légende et la vérité. Aldo Oberdorfer.

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