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mardi 30 janvier 2018

Christian Thielemann dirige un Or du Rhin visionnaire au Semperoper de Dresde

Christiane Kohl (Woglinde), Simone Schröder (Flosshilde),
Sabrina Kögel (Wellgunde), Janina Baechle (Erda)  © Klaus Gigga

Le Semperoper donne cette saison deux cycles du Ring dans une mise en scène créée par Willy Decker entre 2001 et 2003. Hier soir la production de l'Or du Rhin fêtait sa vingtième de cette mise en scène qui a gardé toute sa force d'impact et sa pertinence. L'expertise wagnérienne et le charisme visionnaire du chef d'orchestre Christian Thielemann, qui préside pour la sixième saison aux destinées de l'extraordinaire Chapelle musicale de Dresde (Sächsische Staatskapelle Dresden), ont attiré à Dresde un public wagnérien international, faisant de ce Ring un des plus grands événements wagnériens de la saison. C'est dire que l'attente était grande et qu'un silence religieux a accueilli le premières mesures du prologue.

Willy Decker utilise avec originalité le procédé connu du théâtre dans  le théâtre: la scène est tout entière occupée par des rangées de fauteuils vus de dos par le public, qui forment autant de vagues pour figurer le Rhin, duquel va  bientôt émerger un grand globe blanc, qui, plus tard, tourné par les Filles du Rhin, se révélera comme un globe doré. Par les fauteuils, la scène prolonge le parterre, ce qui a pour effet d'unir la salle à la scène, et les spectateurs sont ainsi intégrés de fait au grand jeu divin et mythique qui va se dérouler sous leurs yeux. En même temps, les dieux, qui sont fréquemment installés dans les rangées de fauteuils, sont à la fois acteurs et spectateurs de leur propre destinée. Willy Decker  et son décorateur Wolfgang Gussmann, auteur aussi des costumes en collaboration avec Frauke Schernau, introduiront de plus une scène sur la scène, d'abord sous la forme de la grande structure d'un parallélipipède rectangle ayant l'aspect d'un  grand cadre blanc. Les modifications dans le décor se feront quant à elles derrière des rideaux lentement tirés par une fille du Rhin.

Georg Zeppenfeld (Fasolt),
Karl-Heinz Lehner (Fafner) © Klaus Gigga
A l'exception de Loge qui fait figure d'outsider du panthéon, les dieux sont tous habillés de noir, comme s'ils portaient le deuil de leur divinité. Wotan apparaît porteur d'un petit temple grec, une maquette figurant le Walhalla pour lequel il cherche le sommet idéal sur un rideau d'avant-scène représentant des montagnes. Au moment de l'arrivée des géants, un paysage de montagnes lilliputiennes aura été installé parmi lesquelles circulent Fafner et Fasolt, qui , dans leurs costumes boursouflés, apparaissent comme énormes en regard de la petitesse des montagnes au milieu desquelles ils circulent. Pour la scène finale, une passerelle blanche,- le pont d'arc-en-ciel créé par Loge,  aura été installée traversant les rangées de fauteuil en oblique et menant au temple-Walhalla, cette fois de grande dimension. La scène chez Albéric réutilise un cadre parallélipipédique cette fois posé sur son plus petit côté, et qui contient un grand coffre-fort dans lequel le peuple soumis du Niebelheim vient ranger les lingots d'or arrachés à la terre. Decker a travaillé avec une économie de moyens très efficace, réutilisant des éléments de décor dans de nouvelles perspectives: ainsi, lors de la transformation d'Albéric en serpent-dragon, le serpent est-il figuré par l'élévation ondulante de rangées de fauteuils. Plus tard, lorsque Albéric prisonnier fait livrer son or aux dieux par son peuple réduit en esclavage, ce seront de grands blocs d'or aux formes diverses, éléments d'un puzzle 3D que les dieux assembleront pour cacher Freia au regard des géants, et le résultat de l'assemblage ne sera autre que le globe d'or manipulé au départ du spectacle par les Filles du Rhin. Pour l'apparition d'Erda, c'est un autre élément du décor qui est réutilisé: la mystérieuse déesse primordiale chantera derrière un rideau noir translucide qu'elle tire au travers de l'avant-scène. L'unité et l'économie des moyens donnent une excellente visibilité et une grande efficacité au projet de la mise en scène, et le coeur de l'action s'en voit renforcé.

L'extrême lisibilité des moyens scéniques sert le propos wagnérien car elle laisse à la musique et au texte la place centrale qui leur reviennent. Et la mise en scène y insiste: au final, l'or du Rhin a disparu, devenu la propriété de Fafner qui a tué son frère Fasolt, mais alors que les dieux sont rentrés au Walhalla et qu'on ne voit plus que Wotan en transparence derrière le fin rideau noir, une lumière dorée a envahi l'orchestre, baignant les musiciens et leur chef: l'or véritable, c'est celui de la composition et de son interprétation, beau message de clôture d'une mise en scène réussie.

La distribution est à l'aune de la mise en scène. La basse suisso-ukrainienne Vitalij Kowaljow qui avait récolté un grand succès dans le rôle de Wotan dans l'Or du Rhin au Festival d'Edinbourgh avec le théâtre Mariinski (dirigé par Gergiev), puis dans le même rôle dans la Walkyrie que dirigeait Christian Thielemann au Festival de Salzbourg, reprend ici le même rôle, ainsi que celui du Wanderer dans Siegfried. Il séduit par une voix puissante, dotée d'un timbre aux belles couleurs, avec une diction remarquable, et de belles nuances dans l'expression émotionnelle d'un personnage pour le moins versatile, notamment dans les rapports complexes qu'il entretient avec son épouse. En Fricka,  Christa Mayer justement joue avec une grande finesse d'interprétation davantage l'épouse que la déesse, une épouse qui reste chaleureuse et prompte à la réconciliation malgré sa grandeur blessée. Le baryton basse Albert Dohmen donne un Alberich de bonne composition, un peu gommé dans les aigus, avec une voix bien projetée et qui, s'il ne peut rivaliser sur le plan vocal avec l'excellent Kowaljow, offre cependant un excellent moment d'opéra au moment de  la malédiction sur l'anneau qu'il jette de son timbre bien propre à exprimer la colère et la haine. On apprécie le Mime de  Gerhard Siegel qui ne caricature pas le personnage, comme c'est souvent le cas, mais en rend caractère craintif et résigné qu'il chante de sa belle voix puissante avec une diction qui avoisine la perfection. Kurt Streit, un chanteur au brillant parcours mozartien et baroque, a ces dernière années élargi son répertoire et donne ici un Loge très séduisant qui nous entraîne dans les hauteurs légères de son ténor aérien. Tanzel Akzeybeck, le premier chanteur turc à avoir chanté à Bayreuth (c'était en 2015), continue ici sur sa jeune lancée wagnérienne avec un Froh léger et joyeux qui passe fort bien l'orchestre. Enfin, Georg Zeppenfeld  (Fasolt) et Karl-Heinz Lehner (Fafner) donnent des géants aux voix de stentor dotés de  physiques à la Frankenstein.

C'est à l'orchestre et à son chef Christian Thielemann que vont les plus belles salves d'applaudissements. C'est que Thielemann, maître wagnérien parmi les maîtres, traduit le Ring dans un langage vivant qui énonce la dramaturgie, avec des entrechoquements, des moments d'emphase, des gonflements de tonnerres, une poétique et une musicalité qui lui sont propres, et qui ne laissent jamais indifférent. Sa direction musicale souligne avec force et autorité le bouillonnement énergétique, les tensions et comme l'impatience de la composition, et particulièrement dans les passages orchestraux où, libéré du souci des chanteurs,  il laisse s'élever la vague sonore impétueuse. Plus que de nous y inviter, Christian Thielemann nous entraîne dans sa vision de l'oeuvre, une vision passionnée et glorieuse dont le rythme est le maître mot. 

Voir le site du Semperoper

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