La Lanterne, journal politique quotidien parisien, avait une ligne républicaine violemment anti-cléricale. Le 24 novembre 1879, le quotidien publie un article aussi mal informé qu'irrévérencieux sur le Roi Louis II de Bavière et son frère Othon, que le journaliste, qui se dit ex-diplomate, affuble du prénom de Léopold. Le propos, sensationnaliste, est extrêmement ciblé et vise à ridiculiser le Roi et son frère.
A noter que La Lanterne publie à cette époque un feuilleton intitulé Le Roi vierge, dû à la plume de Catulle Mendès (ici, au bas de la première page). Ce roman à clef met en scène de manière à peine déguisée le même Roi de Bavière. (voir l'article que lui consacre Michał Piotr Mrozowicki, pp. 193 et suivantes).
Autant de témoignages de la perception française du Roi Louis II autour des années 1880.
Autant de témoignages de la perception française du Roi Louis II autour des années 1880.
"INDISCRÉTIONS DIPLOMATIQUES
LE ROI DE BAVIÈRE
Le roi de Bavière devait se marier vers 1868.
Tout était prêt pour la noce. Le brave homme de roi n'eut-il pas l'ingénieuse idée de faire marier, en même temps que lui, cent couples de ses sujets! A force d'argent, on trouva les cent couples, devenus, tout d'un coup, impatients de goûter les plaisirs du ménage. Mais, hélas! le roi ne se décide plus à fixer le jour des noces générales! Les mois s'écoulent. Les cent couples choisis n'ont pas attendu la cérémonie pour se donner des preuves d'amour; des enfants illégitimes voient le jour, et le roi de Bavière attend, attend toujours!
On le prévient alors de ce qui se passe, en ajoutant que ses désirs sont peu compris et que l'on se moque de lui. Le bon roi se fâche, ordonne de marier régulièrement, et au plus vite, les cent couples déjà mariés devant Dieu.
Quant à lui, il a changé d'idée, il ne veut plus se marier !
La princesse désignée pour monter sur le trône royal de Bavière reçoit un message très joli, l'informant que Sa Majesté a renoncé à son galant projet et il n'est -plus question de mariage royal.
Dans son palais, à Munich, le roi de Bavière s'est fait construira un petit paysage suisse. Ce fait est de la plus grande exactitude. Et le paysage est complet. On voit là un petit lac sur lequel le roi fait des promenades en gondole, et ce lac est entouré de montagnes! de montagnes de théâtre, entendons-nous bien; oui, de montagnes peintes sur des toiles! Et quand le roi fait sa promenade sur le lac, on laisse courir entre les toiles, pour compléter l'illusion, des chèvres, de vraies chèvres, cette fois, et le roi se croit en Suisse!
Quand la guerre éclata entre la France et l'Allemagne, le ministre de la guerre du roi de Bavière voulut, naturellement, consulter son maître. Le maître n'était pas visible. Le ministre, bravant tous les obstacles, se précipite dans le cabinet du roi. Que voit-il? Le roi, avec son intime ami, le compositeur Wagner, tous les deux en costume romain classique, déclamant des vers de Corneille! « Majesté, fit le ministre, la France vient de déclarer la guerre à la Prusse; quel parti prenez-vous? »
« - Laissez-nous finir notre tragédie, répondit le roi; tout à l'heure nous causerons de politique. »
Mille bizarreries de ce genre ont rendu célèbre le roi Louis de Bavière. L'aménité de ses relations en souffrait souvent ; plus d'un grand personnage eut souvent à se plaindre des facéties de sa royale cervelle.
Une autre bizarrerie du roi de Bavière.
Quand il chasse dans les montagnes, il est toujours seul dans sa voiture, ou bien à pied, entouré de valets qui portent ses armes et les provisions. Personne ne prononce une parole et les paysans qui le rencontrent se cachent, car le roi n'aime pas les spectateurs curieux, surtout le soir.
C'est, un spectacle étrange de voir le jeune roi s'avancer, triste, pâle, silencieux, dans l'ombre des montagnes, au milieu des valets et des chasseurs qui secouent leurs torches enflammées dans les étroits défilés. On dirait le spectre de la royauté, à la recherche de son ancien prestige pour toujours disparu.
L'hiver, le roi fait quelquefois des promenades dans un traîneau magnifique, derrière le siège duquel se dresse une statue de la Victoire, tenant une couronne entre ses mains, de façon que la couronne se trouve juste au-dessus de la tète du roi quand il est assis dans le traîneau.
Le roi aime beaucoup son malheureux frère Léopold, qui est atteint de folie et qui suit un traitement dans un château près du lac de "Staremberger See" [sic].
Le pauvre jeune prince était en proie à un accès du mal pendant la bataille de Langensalza. Lorsque la crise approche, il se figure être devenu lion. Il marche à quatre pattes et veut mordre tous ceux qui l'entourent.
Le bon roi de Bavière, moins fou que son frère, mais tout aussi sombre et silencieux que lui, vient souvent le visiter. Il s'assied près de lui, le regarde, le caresse et passe des heures entières à lui dire de ces mots mystérieux qui calment la souffrance. Sa bonté est poussée jusqu'au dévouement.
On l'a vu, quand son malheureux frère se jetait à terre, saisi par la folie, et rugissait comme un lion; on l'a vu, dis-je, se traîner lui-même près du pauvre fou, imiter comme lui la démarche et les rugissements du roi des animaux, espérant procurer ainsi quelque soulagement, quelque distraction à l'infortuné malade.
Puis il retourne à son château et demande à la musique qu'il aime tant quelque diversion à ses sombres pensées. Il va souvent au théâtre royal, à Munich. Alors on joue pour lui seul. Ce n'est pas la quantité qui fait le public, dit le roi, c'est la qualité.
UN EX-DIPLOMATE."
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